A les voir de près, Thomas Loko, Rodrigue Paulin Soh Beutcheko et Éric Joël Adjap Ekoalea présentent la mine de misérables. Incarcérés à la prison centrale de Yaoundé, ils passent pourtant en jugement devant le Tribunal criminel spécial (TCS) pour répondre d’un détournement présumé de 147 millions de francs. Un supposé forfait qu’ils auraient réalisé au préjudice de la Cameroon Water Utilities Corporation (Camwater) en vandalisant le réseau de distribution de l’eau potable dans la ville de Douala.
L’examen public de cette procédure s’est ouvert devant le TCS jeudi dernier, 8 juillet 2021. Une première audience qui n’a duré que le temps d’une étoile filante, les coaccusés de M. Loko ayant signalé au tribunal qu’ils étaient dépourvus de moyens pour s’attacher les services d’un avocat. Ils ont prié le tribunal de leur attribuer des conseils d’office. Leur compagnon d’infortune François Tiotsop, est déclaré en fuite et sous le coup de mandat d’arrêt.
Le rapport de l’enquête judiciaire dressé par le juge d’instruction retrace l’ensemble des faits au centre du procès. Cette procédure a pour socle une plainte contre inconnu déposée par le directeur régional de la Camwater de Douala à la division régionale de la police judiciaire. Cette plainte dénonçait le sabotage du réseau hydraulique résultant du déterrement, du vol des tuyaux lourds, des robinets de vanne, des robinets et colliers de prise en charge, des compteurs, des ventouses, des coudes, etc.
La récrimination indiquait que le saccage du réseau perturbait la distribution de l’eau potable dans la capitale économique. Le matériel d’adduction d’eau dérobé par des inconnus était revendu dans le marché noir. Une bonne partie du matériel soustrait avait été enregistrée dans les quartiers Logpom et Japoma en mai 2020.
L’accusation prétend qu’après le dépôt de la plainte, une source avait informé les enquêteurs que M. Loko, gérant d’une quincaillerie au quartier Déido-Douala, «vendait certaines pièces provenant des démantèlements du réseau de distribution d’eau».
Flagrant délit de transaction
En fait, M. Loko est un vendeur de matériels de branchement et de raccordement hydrauliques. L’accusation indique que la descente effectuée dans sa boutique en juin 2020 a permis non seulement la saisie d’une importante quantité de pièces «identifiées comme appartenant à la Camwater» mais aussi de le surprendre «en flagrant délit de transaction» avec M. Adjap Ekoalea, «tâcheron à la Camwater». M. Loko aurait avoué que certains effets récupérés dans sa boutique lui ont été fournis par les agents de la Camwater eux-mêmes. Les responsables de la Camwater ont évalué à 3,4 millions de francs la valeur des objets saisis dans sa boutique.
Le juge d’instruction a renvoyé M. Loko en jugement au motif que l’un des témoins à charge un certain Guy Obame Minko, a expliqué que les matériels saisis dans sa boutique n’étaient pas en état neuf, «ce qui induit que ces biens mis en vente sont la propriété de la Camwater».
Le 16 juin 2020, M. Soh Beutcheko, conducteur de mototaxi, était lui-aussi interpellé alors qu’il se trouvait dans la quincaillerie de M. Tiotsop «contenant une grande quantité de matériel d’adduction d’eau», initialement estimé 444 millions de francs.
Mme Nga Essomba épouse Bakone A Ziem et Clémentine Nikaise Mbock, respectivement sous-directeur des stocks et chef de service du stock technique à la Camwater, ont été mises hors de cause au terme de l’information judiciaire. Témoins à charge au début des enquêtes, les deux dames avaient été inculpées pour détournement de biens publics. Elles étaient soupçonnées d’avoir couvert ou entretenu le vol de matériel déploré. Pour leur défense, les deux dames ont expliqué, de manière constante, que les demandes de sortie de matériel s’opéraient sur la base des demandes adressées au directeur du Patrimoine de la Camwater après avis du directeur général de l’entreprise publique. De plus, les matériels par la Camwater entre 2008 et 2018 n’ont pas été mis à leur disposition lors de leurs nominations en 2019.
Signalons que les mis en cause avaient d’abord été traduits devant le Tribunal de première instance (TGI) de Douala-Bonanjo qui a transmis le dossier au Tribunal de grande instance (TGI) du Wouri, qui s’est à son tour dessaisi de l’affaire au profit du TCS.