Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
Le 24 novembre 2018, l’ordre des avocats du Cameroun se dotait de nouveaux dirigeants à la suite d’une assemblée générale élective très courue tenue à Douala. Le président et le vice-président de l’Assemblée générale ainsi que les 15 membres du conseil de l’ordre avec, à leur tête, le bâtonnier de l’ordre des avocats avait été désignés par vote après une campagne électorale parmi les plus acharnées de ce corps. Heureux d’accéder à la prestigieuse fonction de Bâtonnier de l’ordre, Me Charles Tchakouté Patie donnait rendez-vous à ses confrères deux ans plus tard, c’est-à-dire autour du 24 novembre 2020, selon les prescriptions légales.
Il a malheureusement passé l’arme à droite le 4 octobre 2020, à la veille de l’expiration de son mandat, alors qu’il venait de s’offrir une harassante tournée dans le pays (à l’occasion des prestations de serment de la dernière cuvée des avocats admis au grand tableau de l’ordre) dans ce que certains de ses confrères considéraient comme une entrée en matière de la campagne pour sa réélection. Et plus de 10 mois après la disparition du Bâtonnier, alors que le mandat inauguré en novembre 2018 a expiré, l’ordre des avocats n’a pas encore renouvelé ses organes dirigeants. De la sorte, Me Claire Atangana Bikouna, avocate justifiant de la plus grande ancienneté au grand tableau de l’ordre parmi les membres du conseil de l’ordre, qui avait été désignée, le 7 octobre 2020, en qualité de doyenne pour mener à son terme le mandat du bâtonnier disparu, est en passe de s’éterniser dans l’intérim, estiment certains de ses confrères.
Face à cette situation, la troupe commence à afficher de plus en plus son impatience à voir émerger des dirigeants auréolés d’une légitimité conquise par la voie des urnes au point où quelques avocats ont lancé, le 19 août dernier, une pétition en vue de mettre un terme à la prolongation de fait du mandat de leurs confrères élus depuis bientôt trois ans. Dans un texte baptisé «appel à pétition en vue d’une Assemblée générale extraordinaire de l’ordre des avocats au barreau du Cameroun» arrivé à la rédaction de Kalara, un groupe de neuf avocats, avec comme porte-parole M. Victor Siewe et M. Tamfu Ngarka Tristel Richard expliquent les raisons de leur démarche, qui est quasiment inédite.
Me Sylvain Souop
Ces avocats rappellent diverses dispositions légales régissant leur corps (lire encadré), notamment la durée des mandats électifs, pour dire que l’équipe en poste doit être renouvelée. Ils citent l’article 47 de la loi N°90/059 du 19 décembre 1990 portant organisation de la profession d’avocat comme base de leur action, notamment la possibilité pour «la majorité absolue» des membres du barreau de faire convoquer une assemblée générale extraordinaire de leur ordre. Ce qui est visé par la pétition. Ils rappellent qu’avant le bâtonnier, un autre membre du conseil de l’ordre, Me Sylvain Souop, pour ne pas le nommer, avait raccroché la robe et qu’une élection partielle aurait du être organisée pour lui trouver un remplaçant au sein du conseil.
Pour les initiateurs de la pétition, le président de l’Assemblée générale de leur corps ne se montre pas à la hauteur du défi qui consiste à faire organiser l’assemblée générale élective dans le respect des textes qui encadrent le fonctionnement de l’ordre des avocats. Ils déplorent que ce dernier ne se soit expliqué devant ses confrères qu’à travers deux correspondances, le 12 avril et le 28 mai 2021, «pour justifier l’immobilisme». Ils lui reprochent de prétendre préparer la convocation du rendez-vous attendu, sans indiquer le moindre horizon auquel il entend faire aboutir ses démarches. «Rendu à date, écrivent les pétitionnaires, il va de soi que nous sommes dans une impasse créée par ce dernier pour la simple et évident raison qu’il n’a pas indiqué pendant combien de temps devraient durer ses tractations avec ses supposés plénipotentiaires». Ils appellent en conséquence les avocats «ayant encore une fibre pour la dignité de [leur] corporation, à signer la pétition mise en circulation.»
Pour l’heure, Kalara n’a pas pu avoir une indication sur le nombre des avocats qui ont déjà adhérer à cette démarche tout en rupture, quoi que parfaitement légale. Mais, il faut autour de 2000 signataires (évaluation qui n’a pas été confirmée) pour réunir la «majorité absolue» des avocats du grand tableau. C’est un objectif difficile à atteindre, mais à la portée des initiateurs de la pétition si l’on tient compte de l’ambiance sourde de veille de campagne électorale qui se vit au sein de la corporation. De nombreux états-majors travaillent de façon acharnée pour conquérir le bâtonnat et placer un maximum de partisans dans le prochain conseil de l’ordre.
Mesures-barrière
Pour l’instant, aucun candidat n’a officiellement annoncé sa candidature pour devenir bâtonnier, mais plusieurs sources font état de ce que Me Claire Atangana Bikouna entend conserver le bâton. Membre de la mouvance Tchankounté Patie qui avait fait quasiment un raz-de marrée lors de l’AG de novembre 2018 à Douala, elle devrait avoir comme principal adversaire, si les ambitions des uns et des autres restent intactes, Me Mbah Eric Mbah, un autre éminent membre de la mouvance Tchakounté Patie, qui est l’actuel représentant du bâtonnier dans la région du Nord-Ouest. Selon des indiscrétions internes au barreau, Me Mbah Eric Mbah était le successeur désigné du défunt bâtonnier si ce dernier avait pu effectuer deux mandats à la fonction. C’était, semble-t-il, l’un des accords de la campagne de 2018 dans le sens de l’alternance anglophone-francophone.
Des ambitions pour le poste de bâtonnier sont également prêtées à Me Fojou Pierre, membre du conseil, actuellement représentant par intérim du bâtonnier dans les régions du Centre, du Sud et de l’Est. La candidature de Me Ngoula Fotso, ancien membre du conseil qui a déjà compétit à deux reprises, sans succès, pour conquérir le bâton. A côté de ceux-là, la liste étant loin d’être exhaustive pour le moment, il y a plusieurs avocats qui aiguisent leur appétit d’être tout simplement des membres du conseil. Cette émulation n’est pour autant pas suffisante, selon certains observateurs, pour assurer un succès à la collecte des signatures par les pétitionnaires. Il est cependant trop tôt pour dire ce qui se passera en fin de compte.
Si une majorité absolue des avocats arrive à être mobilisée par la pétition pour la tenue de l’assemblée générale extraordinaire souhaitée, il risque de se poser le problème de moyens matériels de son organisation pratique. L’une des principales hypothèques à la convocation de cette assemblée générale est l’environnement sanitaire actuel. Avec l’arrivée de la maladie à Covid 19, le gouvernement, par l’organe du Premier ministre, a édicté des mesures dites barrière, pour limiter la propagation de cette pandémie.
26 millions de francs…
Or, selon des informations puisées à bonne source, lors des démarches engagées par l’actuel président de l’Assemblée générale de l’ordre, en vue de la convocation du rendez-vous électif, le ministre d’Etat en charge de la Justice, M. Laurent Esso, avait dit ne pas avoir de réserve personnelle à l’organisation de cette AG, tout en indiquant qu’il n’entendait pas personnellement transgresser la directive primo-ministérielle, qui limite à 50 le nombre maximum de personnes susceptibles de prendre part à une réunion en un même lieu. Une mesure qui n’est respectées par ailleurs que pour se donner bonne conscience, tant les grands marchés de toutes les métropoles du Cameroun grouillent de monde comme si la Covid n’a jamais frôlé les frontières du Cameroun.
Depuis avril 2021, disent des sources proches du président de l’AG, ce dernier chercherait des voies et moyens d’obtenir une dispense du PM pour que le corps des avocats renouvelle ses dirigeants selon ce que prévoit les textes. Cette contrainte sanitaire a aussi pour conséquence de tuer l’idée d’une AG à Buéa, tel que souhaité depuis des années, la nécessité d’avoir un espace plus approprié au respect des mesures-barrière pour organiser le rendez-vous désignant Yaoundé et le Palais des sports comme la ville hôte de l’AG projetée.
Reste le problème des moyens matériels. «L’AG de 2018 a coûté 26 millions de francs mobilisés en grande partie grâce à l’entregent personnel de Barister Nico Hale», le président de l’AG de l’époque. Son successeur ne semble pas disposer du même carnet d’adresses. Pour cette raison, dans les instances actuelles du barreau, une assemblée générale élective ne peut être organisée dans ces conditions dans le cas de figure le plus optimiste qu’en 2022. Dans le camp des pétitionnaires, certains estiment que ce sont des raisons soutenues par les adeptes de l’immobilisme. Quoi qu’il en soit, ils s’organisent pour mobiliser leurs confrères afin de réunir la majorité absolue des signatures nécessaire pour faire élire les dirigeants du barreau dans les meilleurs délais. Un défi immense.
Les textes qui encadrent la pétition du groupe de 9
Loi N°90/059 du 19 décembre 1990 portant organisation de la profession d’avocat.
Article 47
(1) : L’Assemblée générale est composée de tous les avocats.
(2) Elle se réunit sur convocation de son président ou de son vice-président au moins une fois par an en session ordinaire, et le cas échéant, en session extraordinaire à la demande, soit de la majorité absolue de ses membres, soit du Conseil de l’ordre, soit du ministre chargé de la Justice.
Article 48
(1) – L’Assemblée Générale :
-Élit pour deux ans son président et son vice-président qui son rééligibles.
-Élit les membres du Conseil de l’ordre puis le Bâtonnier.
Article 51(4) :
Les élections générales ont lieu à l’époque et pour le temps fixé par le règlement intérieur de l’ordre. Les élections partielles sont faites dans les deux mois de l’évènement qui les rend nécessaires.
Article 53(2) :
En cas de décès, démission, empêchement ou radiation du Bâtonnier, l’intérim est assurée par le membre du Conseil de l’ordre le plus ancien dans l’ordre d’inscription au tableau et les élections ont lieu dans les délais visés à l’article 51( 4) ci-dessus.
Règlement intérieur du barreau du Cameroun du 12 avril 2005.
Article 4 :
– L’Assemblée Générale est composée de tous les avocats inscrits au tableau de l’ordre et autorisés à exercer. […]
– Elle se réunit à titre extraordinaire sur convocation de son président, du ministre de la Justice, ou à la demande de Conseil de l’ordre des avocats, ou encore à la demande de la majorité absolue des avocats autorisés à exercer. Dans cette dernière hypothèse, il devra être établi un procès-verbal signé par eux, et le président de l’assemblée générale sera tenu de procéder à convocation de ladite assemblée par lettre individuelle avec un délai minimum de trente (30) jours francs.
Article 8 :
– Leurs fonctions prennent fin à l’expiration du mandat de deux ans ou, en cas de décès, démission, suspension, radiation, et dans le cas où ils seraient démis par l’Assemblée pour une cause grave et présentant un caractère particulier d’urgence. Dans ce cas, et pour pouvoir à leur remplacement, une Assemblée Générale extraordinaire sera convoquée par le Conseil de l’ordre dans le mois de la cause de l’empêchement dans les conditions de l’article 47 de la Loi portant organisation de la profession d’Avocat.
– Les élections générales ont lieu un mois après l’expiration du mandat des organes ordinaux.
Article 9 :
Le Conseil de l’Ordre est élu pour deux ans.