Après plus de 10 mois d’inactivité, la Section spécialisée de la Cour suprême a enfin repris du service mardi dernier, le 9 mars 2021. Ce jour-là, la haute juridiction chargée d’examiner en dernier recours les dossiers de «l’Opération épervier», nom de baptême que certains ont affublé à la répression des faits présumés de détournement des fonds publics au Cameroun, a tenu une audience publique. Le dernier rendez-vous du genre remontait au mois de mai 2020. Ce qui faisait grincer les dents à la prison centrale de Yaoundé et Douala où sont incarcérés certains mis en cause en attente d’examen de leurs recours.
En effet, la collégialité des juges présidée par Daniel Mounom Mbong avait au menu cinq affaires à examiner, toutes de moindre envergure. Mais seuls deux dossiers ont effectivement fait l’objet d’un examen au fond, précisément l’affaire opposant le Port Autonome de Douala (PAD) à l’expert-comptable Ernest Jérémie Konguep Tchale et consorts, ainsi que l’affaire opposant la microfinance First Loan Trust à la Cameroon Postal Service (Campost) et autres [lire page 4]. En revanche, le jugement des trois autres dossiers a été ajourné. Ces affaires ont été sortie du rôle. L’une d’elle a programmé pour l’audience du 13 avril prochain
L’audience de mardi passé avait un côté un peu particulier, car c’était la première fois que M. Mounom Mbong prenait part, notamment comme président à une procès devant la Section spécialisée. Pour cause : l’intéressé trône désormais à la tête de la Section spécialisée comme président depuis le 26 janvier 2021. Il succède à Jean Pierre Mvondo Evezo’o qui a été mis à la retraite à l’issue de la dernière session du Conseil Supérieur de la magistrature tenue au Palais de l’Unité le 10 août 2020, après un séjour de cinq ans passés au fauteuil de président de ladite juridiction.
Coup d’accélérateur
Lors de cette audience, le président Mounom Mbong était entouré de six autres membres, notamment Mme Fofung Justine épouse Wacka (l’unique femme de la Section), Emmanuel Sandeu, M. Owoundi Mballa Bruno, Mbenoun Théodore, M. Bonny Paul et M. Monglo Todou. Ces derniers sont tous d’anciennes figures de la Section spécialisée version Mvondo Evezo’o. Ils y siégeaient déjà soit comme membre titulaire, soit comme suppléant.
Le nouveau président de la Section spécialisé a aussitôt affiché un style diamétralement opposé à celui de son célèbre prédécesseur : moins bavard et plutôt flegme. Il ne s’est néanmoins pas privé de lâcher de petits mots taquins. Par exemple, «prêter lui votre micro, au Cameroun on fait toujours avec les moyens de bord». «Ce que vous dites là est un moyen de droit ou un moyen occulte», a-t-il demandé à Me Oyie Albert, un avocat du Port Autonome de Douala, qui dénonçait à mots couverts de supposées basses manœuvres visant à faire perdre le procès à sa cliente coûte que coûte. «Je souhaite qu’on instruise ce dossier avec moins de suspicion, plus de sérénité pour faire prévaloir la justice», a-t-il ajouté.
Mounom Mbong a aussi donné l’impression de vouloir faire accélérer l’examen des procédures judiciaires pendantes devant sa juridiction parfois depuis des décennies. Il a hésité à reporter l’examen du dossier de l’affaire du PAD déjà évoquée alors que toutes les parties étaient présente, excepté l’avocat de l’un des accusés qui a fait dire à la Cour qu’il était en «route pour l’audience». Après la lecture du rapport, le «vieux» juge a demandé à l’accusé de faire ses observations : «prenez votre destin en main. C’est vous qui êtes accusé même si, à la Cour suprême l’office d’un avocat est obligatoire». L’accusé s’y est plié alors que son avocat s’est finalement fait substituer par un confrère.
En s’adressant aux autres membres de la Cour à basse voix alors qu’il croyait avoir arrêté son micro on n’a pu l’entendre fustiger «la non rédaction des rapports» indiquant que «ce sont des choses qui retardent les dossiers». Le greffier de la Section spécialisée n’a pas été épargné. On l’a exhorté à plus d’équité dans la notification des informations de la Cour aux parties. En fait, Me Engo Assoumou Christian, avocat du ministère des Finances dans l’un des dossiers dont l’examen a été reporté, venait de se plaindre de n’avoir pas été mis en demeure d’avoir à présenter son mémoire pour le compte de son client. Le greffier a dû se justifier séance tenante.
Le public présent dans la salle d’audience a bénéficié de l’attention du juge Mounom Mbong : «est-ce qu’il est nécessaire que le public se lève. Restez assis». Chose inimaginable sous l’ère Mvondo Evezo’o. Pour la première fois en 5 ans, le piquet-d‘honneur constitué des éléments de la gendarmerie nationale est reparti de la haute juridiction sans recevoir de sévères remontrances du président.
Un juge intègre
La désignation du juge Mounom Mbong comme président de la Section spécialisée vient en quelque sorte réparer une injustice née par la dernière session du Conseil supérieur de la magistrature du fait du non-respect du principe de la pyramide des grades si chère au corps des magistrats. Ce principe veut qu’un magistrat plus ancien au grade ne puisse être sous les «ordres» ni membre d’une collégialité présidée par un moins capé que lui. Ce qui est malheureusement le cas aujourd’hui au siège de la Cour suprême. Tous les présidents des trois Chambres de la haute juridiction (Judiciaire, Administrative et des Comptes) sont loin d’égaler son ancienneté au sommet des grades
Âgé de 65 ans, anciens présidents de cour d’appel, M. Mounom Mbong compte neuf ans d’ancienneté comme magistrat hors hiérarchie premier groupe, le sommet de la pyramide des grades. Il est donc le juge (conseiller) à la Cour suprême toute chambre confondue le plus ancien au grade le plus élevé derrière Daniel Mekobe Sone, le premier président, puis Mme Ntyame Ondo Suzanne veuve Mengue Zame, par ailleurs présidente du Conseil d’administration de l’Université de Yaoundé 1 et juge à la Cour africaine des droits de l’Homme. Il n’y pas d’autres magistrats plus gradés que lui au sein de la haute juridiction, y compris quand on prend en compte le parquet général…
Avant sa désignation aux fonctions de président de la Section spécialisée, le juge Mounom Mbong était quasiment à l’étroit à la Cour suprême du moment où il ne pouvait prendre part comme membre que dans les collégialités des juge présidées soit par M. Mekobe Sone soit par Mme Ntyam Ondo. C’est donc «un bricolage ponctuel» que le premier président a opéré en le désignant… M. Mounom Mbong a la réputation d’un juge intègre.
Covid-19
Bon à savoir, l’ordonnance de Daniel Mekobe Sone, le premier président de la Cour suprême, portant désignation de Daniel Mounom Bong au poste de président de la Section spécialisée signée le 26 janvier 2021, est intervenue sept jours après la parution de l’édition de Kalara N° 369 du 19 janvier dernier qui comportait un article intitulé «la Cour suprême bloque les affaires de détournement de fonds publics». Dans cette édition, Kalara décrivait les conséquences de l’absence des audiences consacrées à l’examen des affaires de l’Opération épervier.
Au départ, dû aux mesures sanitaires imposées par le gouvernement pour endiguer la propagation de la Covid-19, la situation s’était empirée au niveau de la Section spécialisée à l’issue de la dernière session du Conseil supérieur de la magistrature présidé par le chef de l’Etat le 10 août 2020. Cette assise avait été suivie par un important mouvement du personnel magistrat, y compris à la Cour suprême.
Plusieurs hauts magistrats jusque-là en fonction dans la haute juridiction avaient été mis à la retraite ou déployés ailleurs. La Section spécialisée qui est constituée de 7 conseillers (juges) n’a pas échappé au vaste mouvement. Ainsi, M. Mvondo Evezo’o déjà évoqué a été appelé à faire valoir ses droits à la retraite. Pareil pour M. Njumbe Ernest Njumbe. Pour sa part, Jean Claude Robert Foe a été nommé procureur général près la Cour d’appel du Littoral. Depuis ce temps, la nomination de nouveaux membres était attendue.
Rappelons que la loi portant création d’un Tribunal criminel spécial (TCS) du 14 décembre 2011 modifiée et complétée le 6 juillet 2012 crée au sein de la Cour suprême une Section spécialisée. Selon l’article 13 de ce texte, la Section spécialisée est composée des magistrats du sièges des trois Chambres de la Cour suprême (Judiciaire, administrative et des Comptes) désignés par le premier président à raison de deux magistrats par Chambre. L’alinéa 2 de ce texte précise : «cette section est présidée par le premier président ou par un magistrat du siège de la Cour suprême désigné par lui à cet effet». L’alinéa 3 ajoute : «cette section dispose d’un délai maximum de 6 mois pour vider sa saisine». Le délai donné à la Cour n’est toujours pas respecté. Du coup de centaines dossiers de l’Opération épervier s’amoncellent attendant un hypothétique dénouement finale.