L’inspecteur d’Etat Joseph Mpouli Mpouli est maintenant régulier au Tribunal criminel spécial (TCS). Après sa première comparution devant la juridiction d’exception le 5 janvier 2021, il a honoré un second rendez-vous le 4 février dernier. Unique témoin de l’accusation dans le deuxième procès intenté à l’ex-recteur Bruno Bekolo Ebe et ses compagnons d’infortune, son attitude a quelque peu soulagé la défense. Pour cause : depuis le mois d’avril 2020, date de l’enrôlement de cette affaire en audience publique, le début de l’examen public du dossier était suspendu à sa comparution. Et chaque fois que l’accusation signalait son absence, les autres parties piaffaient d’impatience.
En fait, M. Mpouli Mpouli occupe aujourd‘hui les fonctions d’inspecteur général au ministère de l’Eau et de l’Energie. Mais du 12 août au 12 novembre 2012, c’est lui qui a conduit la mission de vérification du Contrôle supérieur de l’Etat (Consupe) dépêchée à l’Université de Douala pour passer à la loupe la gestion de cette institution pendant la période allant de 2007 à 2010. Cette mission a retenu plusieurs «fautes de gestion» à l’endroit de certains dirigeants de l’université d’Etat à l’instar de M. Bekolo Ebe, le recteur au moment des faits.
Le rapport de cette mission de vérification du Consupe sert de base aux poursuites judiciaires engagées contre l’ex-recteur et ses coaccusés, précisément Louis Max Ayina Ohandja, l’ex-directeur de l’Institut universitaire de technologie (IUT) de Douala, Augustin Marie Mboudou, l’ex-directeur des affaires administratives et financières (DAF), M. Akumah Fon Ruben, l’ex-agent comptable ainsi que Jean Pierre Pokem, l’ex-intendant principal des restaurants de l’université.
Ordre de passage
En réalité, le 4 février dernier, l’accusation a poursuivi l’interrogatoire de M. Mpouli démarré il y a un mois. Ce dernier a étayé les différents griefs retenus contre les accusés. Mais lorsque la défense a voulu le contre-interroger, il a exprimé une préférence dans l’ordre de passage des interlocuteurs. Il a suggéré au tribunal de différer les questions de l’ex-recteur et celles de ses avocats. «Je peux répondre aux questions des autres inculpés parce qu’ils n’ont pas beaucoup de charges mais, pour le Pr Bruno Bekolo Ebe, je préfère qu’on me laisse un peu de temps pour mieux me préparer», a-t-il préconisé.
Le duo d’avocats de l’ex-recteur ne l’a pas entendu de cette oreille, arguant que M. Mpouli n’a pas à s’ingérer dans la stratégie de la défense. «Il a fallu hausser le ton pour que ce témoin vienne ici. Le parquet a usé de ses moyens régaliens pour le contraindre à comparaître…», va réagir Me Ndjodo Bikoun. Ce dernier exprimait, de manière déguisée, sa crainte que le témoin disparaisse pour ne pas avoir à affronter leurs questions. Le tribunal s’est montré rassurant en acceptant la proposition du témoin de l’accusation. «Depuis qu’on a ouvert son audition, il comparaît. Il viendra chaque fois qu’on aura besoin de lui. Nous avons tous les moyens de le contraindre à venir aux audiences».
Dans cette affaire, M. Bekolo Ebe répond d’un prétendu détournement de la somme de totale de 4,2 milliards de francs, qui aurait été opéré tantôt en coaction, tantôt à titre individuel.
Pendant son interrogatoire par l’accusation, M. Mpouli Mpouli a expliqué que s’agissant des faits en coaction, l’ex-recteur est en jugement en compagnie de l’ex-agent comptable Akumah, déclaré en fuite. On leur impute la supposée distraction de la somme globale de 3,8 milliards de francs. Pour le témoin, cette charge résulte du fait que les deux dirigeants avaient cosigné les chèques à base desquels les fonds querellés ont été décaissés soit à la Trésorerie générale (TG) de Douala, soit dans les comptes bancaires de l’université. Il a donné lecture d’une disposition de l’instruction générale du ministre des Finances sur l’exécution du budget du 1er octobre 2002 selon laquelle : «les ordonnateurs doivent s’abstenir de signer les chèques ou autres documents comptables donnant lieu au retrait direct des fonds ou au règlement des dépenses. Ils sont tenus de désigner un ou deux collaborateurs à l’effet de contresigner avec l’agent comptable les chèques en règlement qu’ils autorisent». De plus, indique le témoin, les fonds litigieux n’étaient pas reversés dans les caisses de l’université, ni déposés dans ses comptes bancaires. Selon lui, ils ont été dépensés «sans pièces justificatives» ou avec des «justificatifs insuffisants».
Chèques consignés
Le témoin a précisé, entre autres, que la somme globale de 1,2 milliard de francs a été décaissée «en espèce» à la TG de Douala sur la subvention accordée par l’Etat à l’université de Douala mais n’a pas été reversée dans les caisses de l’universités, dit-il. Pareil pour la somme de 958,7 millions de francs sortie des différents comptes bancaires de cinq facultés «sans justificatifs probants». Un sort identique pour les salaires payés à la caisse ou à la banque dont le préjudice est évalué à 189,1 millions de francs.
«Est-ce que la responsabilité de l’agent comptable n’est pas entière au regard de la loi de finance de l’Etat puisque vous dites qu’il est payeur, caissier et juge de la régularité ?», interroge le représentant de l’Université de Douala au procès. «Le chèque est un mode de paiement qui incombe exclusivement au comptable public. Le recteur ayant pris sur lui la responsabilité de cosigner les chèques avec l’agent comptable s’est mis en position de comptable de fait […] de ce fait, ils sont et demeurent solidairement responsables», répond le témoin.
Pour ce qui est des supposés détournements imputés à l’ex-recteur seul, ils sont évalués à 161,4 millions de francs. Les griefs concernent le l’octroi présumé des «avantages excessifs» à des personnels, de la perception qualifiés d’indemnités indues, «l’application illicite des prix», de la non application des pénalités de retard, entre autres.
Pendant l’audience, M. Bekolo Ebe a abondamment pris des notes. Il a sans doute beaucoup à demander à l’inspecteur d’Etat Mpouli Mpouli. Leur face à face est programmé le 17 et le 18 mars prochain.
Au titre de rappel, M. Bekolo Ebe est embastillé à la prison centrale de Yaoundé depuis trois ans. Dans une première procédure judiciaire qui l’a opposé à l’Etat, l’ex-recteur était poursuivi pour un détournement de 348 millions de francs. On lui reprochait de n’avoir pas prélever et reverser les cotisations sociales des personnels de l’Université de Douala. Mais il a été acquitté pour fait non établis. Il convient de signaler que le rapport du Consupe évoqué plus haut fait l’objet de contestation devant le Tribunal administratif du Centre où l’ex-recteur sollicite son annulation. Le verdict dans cette procédure judiciaire est attendu le 23 mars prochain.