Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
Les débats au fond du procès des 17 personnes renvoyées en jugement pour répondre de la disparition atroce de Martinez Zogo, en décembre 2022, commenceront-il enfin le 9 septembre 2024, date de la prochaine audience de cette affaire rocambolesque ? Le Tribunal militaire de Yaoundé (TMY) semble avoir pris une option claire dans ce sens lors de sa dernière audience tenue le 19 août dernier, soit cinq mois quasiment après la première audience. Cependant, de nouveaux risques de blocage du procès sont apparus. Contre toute attente par rapport au motif de renvoi de la précédente audience, lequel conditionnait la continuation des débats au rétablissement préalable (au greffe du tribunal) du dossier de procédure initialement transféré à la Cour d’appel du Centre, les juges chargés de l’affaire ont décidé de passer outre.
En dehors de tout élément nouveau, le tribunal s’est aussi dédit, en entérinant de façon tout aussi curieuse la volonté du parquet et de certains accusés d’enlever à la Direction générale de la Recherche extérieure (Dgre), représentant de l’Etat dans la procédure, sa qualité de «partie civile dans le procès», amoindrissant volontairement son influence dans la recherche de la vérité. De ce fait, la Dgre ne conserve plus que la casquette de «civilement responsable» dans la procédure. Il s’agit d’une personne physique ou morale pressentie, en cas de condamnation finale des accusés, pour participer à la réparation des torts causés aux victimes de l’affaire et/ou à leurs ayants-droit. C’est une évolution de la situation qui ouvre tout aussi la voie à de probables rebondissements.
Pour bien comprendre l’enlisement du procès qui se profile encore, il importe de revenir, en trois temps temps, sur les débats de la dernière audience, avec un bref rappel des épisodes passés de la procédure, qui laissent apparaître une collusion entre certains acteurs majeurs de l’affaire.
- De la volte-face du tribunal pour la poursuite des débats
Lors de l’audience précédente tenue le 29 juillet 2024, les échanges entre parties avaient achoppé autour de la possibilité de relancer le procès par l’ouverture proprement dite des débats, moment au cours duquel le tribunal procède à la notification solennelle des charges retenues contre chacun des accusés en même temps qu’il enregistre leurs réponses à la question rituelle de savoir s’ils plaident coupable ou non. L’audience se tenait alors au lendemain du rejet, par la Cour d’appel du Centre, du recours engagé par certains acteurs contre la décision «avant-dire droit» (ADD) du tribunal ayant refusé d’autoriser la reproduction en leur faveur du dossier d’instruction.
En effet, le dossier du Tribunal militaire avait été (théoriquement ?) transféré à la Cour d’appel pour les besoins d’examen des recours enregistrés. Ce dossier n’étant pas encore revenu de la Cour d’appel et le TMY n’étant pas formellement notifié de l’arrêt de la Cour d’appel, les juges avaient renvoyé l’affaire au 19 août 2024 pour la poursuite éventuelle de la procédure, en espérant que ce dossier soit déjà «rétabli» au greffe du tribunal à cette date.
Le dossier de l’affaire est-il donc effectivement revenu de la Cour d’appel du Centre entre-temps pour que le tribunal militaire décide de relancer le procès ainsi qu’il l’avait annoncé dans le motif de renvoi de l’audience précédente ? La réponse à cette question n’est pas clairement ressortie des débats, ces derniers ayant été parasités par une autre controverse sur le caractère suspensif ou non des effets des recours introduits par certaines parties contre l’arrêt de la Cour d’appel, en sollicitant désorbait l’arbitrage de la Cour suprême.
En fait, dans ses deux prises de parole au cours de la dernière audience pour s’exprimer sur le rétablissement du dossier de procédure au greffe du TMG, le Commissaire du gouvernement a tergiversé. Dans un premier temps, il a déclaré avoir reçu une «notification administrative de l’expédition de l’arrêt de la Cour d’appel», c’est-à-dire la décision intégrale non timbrée telle que rédigée par la Cour d’appel. La «notification administrative» en question informe le Commissaire du gouvernement que l’arrêt du 18 juillet 2024 a fait l’objet de pourvoi, sans être accompagnée du dossier physique de la procédure.
Et pourtant, toujours au cours des débats lors de l’audience du 19 août, lorsqu’il est appelé à prendre ses réquisitions dans le débat concernant la poursuite ou non du procès, M. le Commissaire du gouvernement est sans nuance : «Le dossier devrait être retourné au greffe et c’est le cas», déclare le lieutenant-colonel Cerlin Bélinga. Le parquetier prend de ce fait position pour que le procès se poursuive, d’autant que, pour lui, le pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel, ne suspend pas le procès. «Jusqu’à preuve du contraire, dit-il, la loi est claire sur les effets du pourvoi». Il s’est fermement opposé à toutes les opinions contraires exprimées jusque-là par certains acteurs, principalement les auteurs des pourvois en question.
Il se trouve qu’en face, notamment dans le camp de la défense de M. Maxime Léopold Eko Eko, ancien patron de la Dgre poursuivi comme l’un des commanditaires des tortures infligées en son temps à Martinez Zogo, l’on est totalement opposé aux déclarations du Commissaire du gouvernement. Me Justin Ofomo Toueli, l’un de ses avocats qui dit avoir fait les diligences au greffe de la Cour d’appel du Centre avant d’arrivée à l’audience du TMY, déclare que le dossier de la procédure s’y trouve encore. Il explique que les formalités administratives y sont en cours pour son transfert à la Cour suprême, en exécution des recours enregistrés contre l’arrêt du 18 juillet 2024.
D’ailleurs, ajoute cet avocat, certains de ses confrères qui ont fait pourvoi comme lui, tel Me Assira Claude, sont attendus pour se faire notifier les actes en rapport avec la mise en état du dossier avant son acheminement à la haute juridiction. Par ces informations, le conseil de l’ancien patron de la Dgre souient que la «notification administrative» évoquée par le commissaire du gouvernement ne saurait signifier que le dossier est parti de la Cour d’appel pour le greffe du TMY. Le motif du renvoi de la précédente audience reste donc de mise.
Pour soutenir davantage leur opposition à ce que le procès reprenne, d’autant qu’ils ont introduit une demande que la suite du procès soit renvoyée à une date inconnue, en attendant que la Cour suprême se prononce sur les pourvois introduits, la défense de M. Eko Eko rappelle que la loi dispose que le parquet, comme toutes les autres parties au procès, doit préalablement et obligatoirement être notifié de l’arrêt de la Cour d’appel et du rétablissement du dossier au greffe avant la reprise des débats. Ce qui n’est pas encore le cas. «Lorsque le dossier sera retourné au TMY, toutes les parties seront informées», dit Me Ofomo Toueli, en précisant que «la porte d’entrée du TMY, c’est le président».
Depuis l’audience précédente, Me Claude Assira, avocat de l’Etat, auteur lui aussi d’un pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel du Centre, avait estimé que ledit recours n’avait aucun effet suspensif sur le procès, en s’appuyant sur l’article 503 du Code de procédure pénale. L’avocat de la Dgre avait ainsi rejoint sur ce point la position du collège des conseils de M. Jean-Pierre Amougou Bélinga, qui estime que même la saisine de la Cour d’appel pour une question de procédure n’empêchait déjà pas la poursuite de l’examen du dossier par le tribunal. Dans le camp favorable à la reprise du procès se trouvent, naturellement, toutes les autres avocats qui n’avaient pas relevé appel contre l’ADD du tribunal militaire et qui estime que leurs clients, embastillés, ont besoin que justice leur soit rendue rapidement. Mais, lors de la dernière audience, ce camp a été rejoint par Me Mbunny, l’avocat de Justin Danwé, l’accusé principal de l’affaire, farouche contradicteur du bâtonnier Charles Tchoungang, le chef de file des avocats de M. Amougou Bélinga, lors de l’audience précédente.
Donc, seuls les avocats de M. Maxime Léopold Eko Eko, ancien patron de la Dgre, et les conseils des ayants-droit de Martinez Zogo, restent dans le camp de ceux qui soutiennent la suspension du procès. De ce fait, la prise de parole du parquet en faveur de l’ouverture effective des débats va provoquer leurs réactions. Me Joseph Kenmoe, l’un des avocats de l’une des parties de la famille de l’animateur-radio assassiné, décide d’introduire ce qu’il appelle une «exception préjudicielle», expliquant longuement que les droits de la défense sont bafoués et qu’il y a nécessité pour le tribunal d’ordonner un «sursis à statuer». Pour lui, l’article 503 du code de procédure pénale évoqué par ses contradicteurs fait l’objet d’une mauvaise lecture. Le pourvoi en matière pénale est suspensif, soutient-il, dès lors que l’article 503 du Code de procédure pénale énumère les cas pour lesquels le pourvoi n’est pas suspensif.
En effet, l’article 503 est ainsi libellé : «1) Le pourvoi en cassation n’a pas d’effet suspensif notamment dans [trois@ cas» énumérés. Plusieurs autres plaideurs sont du même avis. Mais le tribunal va se monter peu sensible à leurs arguments. Dans la décision qu’il rend en adhérant aux réquisitions du parquet, le collège des juges balaie les exceptions soulevées par certains conseils. Il déclare que le pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel du Centre, qui n’est pas un arrêt avant-dure droit (ADD), n’a pas d’effets suspensifs. Il ordonne «la continuation des débats». On ne parle plus du rétablissement du dossier au greffe…
- M. Eko Eko refuse de lâcher prise
Une semaine après la décision du Tribunal militaire de Yaoundé d’ouvrir les débats de l’affaire Martinez Zogo sans attendre que la Cour suprême se prononce sur l’arrêt de la Cour d’appel du 18 juillet 2024, le pool des avocats de M. Eko Eko Léopold Maxime, patron de la Direction générale de la Recherche extérieure (Dgre) à l’époque des faits au centre du procès a décidé de s’exprimer. Dans un communiqué de presse parvenu à la rédaction de Kalara (objet d’une annonce en page 11), les conseils de l’ancien DG se disent déterminés à poursuivre le combat de la recherche de la vérité. «En dépit de sa mise en cause et de son incarcération injustifiées ainsi que des atteintes aux droits fondamentaux dont il a été l’objet depuis le début de cette affaire, écrivent lesdits avocats parlant de leur client, M. Eko Eko Léopold Maxime reste déterminé et engagé à œuvrer à la manifestation de la vérité, seul moyen de trouver et de condamner les véritables auteurs et commanditaires de l’enlèvement et de la mort de M. Martinez Zogo.»
En fait, les conseils de M. Eko Eko se disent confrontés, depuis même la phase des enquêtes, à de «nombreuses entraves» dans leur mission qui «vise surtout à permettre la manifestation de la vérité, gage de la justice pour tous et en particulier pour les victimes». Le pool des avocats de l’ancien Dgre considère que les positions adoptées par le TMY lors de la dernière audience de l’affaire ne garantissent pas la manifestation de la vérité. Ils ne disent pas ce qu’ils envisagent concrètement de faire, au plan judiciaire, pour inverser les choses. Mais leur communiqué laisse présager une réaction de leur part visant à revenir à ce qu’ils considèrent comme la gestion orthodoxe d’une affaire pénale.
La détermination des avocats de M. Eko Eko n’est pas nouvelle. Et, d’ailleurs, pour cette équipe, le combat pour l’obtention des pièces du dossier avait démarré depuis le début l’information judiciaire avec le tout premier juge d’instruction chargé de l’affaire, M. Oyono Ebessa Prosper. En réponse à une «demande de délivrance d’une expédition du dossier de procédure» faite par Me Ofomo Toueli et ses collègues, le 14 mars 2023, ces derniers s’étaient heurtés à une espèce de juridisme entretenue par le magistrat pour ne pas s’exécuter. Malgré un recours à la Cour d’appel du Centre, la situation n’avait véritablement évolué qu’à la suite du remplacement de ce premier juge d’instruction par un second, le lieutenant-colonel Sikati Kamwo Florent Emile. Sans résistance, ce magistrat militaire avait accédé à la demande formulée par les conseils de Eko Eko. Jusqu’au remplacement de M. Sikati Kamwo par le colonel Nzié Pierrot.
Ce dernier arrive au lendemain de la signature, par son prédécesseur, d’une ordonnance levant d’office les mandats de détention provisoire de M. Eko Eko et de M. Amougou Bélinga dont l’exécution fut paralysée, comme on sait, par le ministre délégué chargé de la Défense sous le prétexte que l’ordonnance en question était un faux. M. Nzié Pierrot entre donc en scène dans un contexte ou le politique contrôle de plus prêt désormais le travail du juge d’instruction, pour éviter toute nouvelle surprise.
C’est sous le magistère de ce juge d’instruction que M. Martin Stéphane Savom, le maire de Bibey, est interpellé et placé en détention provisoire à son tour. Avec la prise de M. Savom, le dossier prend une autre tournure. Ce dernier est en effet inculpé d’assassinat. Cette infraction sera étendue à plusieurs autres inculpés, parmi lesquels au moins quatre anciens responsables ou agents de la Dgre. L’enquête étant quasiment bouclée pour ce qui le concerne, M. Eko Eko, via ses avocats, va décider de se faire délivrer pièces du dossier relatives à la nouvelle tournure des choses.
Une correspondance est adressée à M. Nzié Pierrot le 21 février 2024 pour la «délivrance des copies certifiées conformes de l’ensemble des actes d’instruction posés après le 14 novembre 2024». La demande du pool des avocats de l’ancien DG de la Dgre repose sur l’article 165 alinéas 5(a) et (b), puis 6 du code de procédure pénale. Ces dispositions légales stipule que «5(a) le Ministère Public peut se faire délivrer par le greffier d’instruction, copie certifiée conforme de tous les actes de procédure ; (b) les autres parties peuvent également, à leur requête et contre paiement des frais, se faire délivrer copie de toute pièce de la procédure ; 6) Les copies peuvent être établies à l’aide de tout procédé de reproduction».
Lorsque cette requête est faite, ses auteurs prennent le soin d’expliquer au juge d’instruction qu’ils veulent «se mettre au même niveau d’information que le tribunal et, en cas de besoin, de mieux préparer les étapes suivantes auxquelles cette information judiciaire pourrait bien conduire [leur] client.» Nul ne sait si le colonel-magistrat a reçu des consignes pour faire obstruction à cette demande, mais il ne la satisfera point. Au départ, ce juge d’instruction va demander aux conseils de M. Eko Eko de préciser la nature des pièces dont ils sollicitent la reproduction. Cela est fait dans une correspondance déposée au Tribunal militaire le 26 février 2024 (ci-contre). Mais l’ancien Dgre ne recevra aucune des pièces sollicitées jusqu’à la clôture de l’information judiciaire et au renvoi des 17 inculpés en jugement. Lesdits documents lui font toujours défaut jusqu’à date.
Comme cela apparaît sur la première page de la correspondance publiée ci-contre, il s’agit notamment des PV d’audition de M. Savom ; des PV de confrontation entre le maire de Bibey et M. Danwé, M. Amougou Bélinga, séparément, puis avec ces deux derniers inculpés (à l’époque de l’instruction). Il s’agit aussi des PV de transport judiciaire (les perquisitions) à la Dgre et au domicile de M. Savom.
Selon les informations reçues par Kalara des conseils de plusieurs parties, dont le bâtonnier Charles Tchoungang, les documents listés ici font partie de ceux qui seraient introuvables au greffe du Tribunal militaire de Yaoundé, en tout cas dans le lot de celles qui sont ouvertes à la consultation sur place par les avocats. Ces documents ne sont pas les seuls : l’ordonnance du 1er décembre 2023 du juge d’instruction portant levée d’office des mandats de détention provisoire de M. Eko Eko et M. Amougou Bélinga, et toutes les autres pièces liées à cette ordonnance, manqueraient aussi à l’appel… Et tout cela nourrit les soupçons de manipulation du dossier de l’affaire.
Au vu des documents «introuvables», qui se rapportent pour beaucoup à l’enquête autour de M. Savom, la question est inévitable : qui aurait intérêt à ce que lesdites pièces disparaissent de la circulation ? Pour cacher quoi ? Pour l’instant, difficile d’apporter des éléments de réponse…
Depuis que le procès est à la phase du jugement public, M. Eko Eko se voit opposé, comme les autres parties, l’argument selon lequel l’article 165 du Code de procédure pénale ne s’applique qu’à l’étape de l’enquête judiciaire, mais plus en phase de jugement. L’ancien DG se voit opposé les dispositions légales qui ne prévoient plus que la consultation du dossier au greffe. On peut comprendre que, dans leur communiqué signé lundi dernier, les conseils de M. Eko Eko dénoncent «les nombreuses entraves» auxquelles leur client est confronté jusqu’ici. Mais, bien qu’il fasse partie de la première vague des personnes interpellées au début de l’affaire Martinez Zogo, l’ancien Dgre reste déterminé à obtenir tout ce qu’il faut pour que la vérité éclate.
- Quand la Dgre inspire la peur aux parties…
A peine le tribunal a-t-il décidé par mention que les débats doivent continuer, que le commissaire du gouvernement prend la parole pour poser un problème inattendu. Il dit revenir sur les conclusions de Me Mbuny à l’audience du 04 avril 2024, pour poser ce qu’il appelle le «problème de la casquette ambigüe des représentants de l’Etat» dans le procès, à savoir les avocats commis à la veille du démarrage du procès public par la Dgre, pour défendre, pour son compte, les intérêts de l’Etat dans la procédure dans la posture d’une partie-civile. Etant donné que la plupart des accusés dans cette affaire sont d’anciens employés ou responsables de la Dgre ayant joué ou non de leurs positions professionnelles respectives pour jouer un rôle, selon l’accusation, dans l’enlèvement, les tortures et l’assassinat de Martinez Zogo, le tribunal avait accepté de citer la Dgre comme «civilement responsable» à la demande de Me Joseph Kenmoe. C’est cette accumulation de casquettes, acceptée par le parquet en avril, que ce dernier remet en question sans raison nouvelle.
«On ne à la fois partie civile et civilement responsable», déclare le commissaire du gouvernement, d’autant, ajoute-t-il, que «chaque posture entraîne des droits et obligations ; elle peut impacter la procédure». Le lieutenant-colonel Cerlin Belinga clarifie son propos en demandant que «la qualité de partie civile soit retirée à la Dgre», parce que, pour lui, «lorsqu’un agent de l’Etat a commis un acte, qu’il soit ou non détachable du service public, l’Etat doit en être responsable». Le parquetier évoque des dispositions légales et réglementaires en appui de sa requête. Il cite l’article 26 du décret portant Statut général de la Fonction publique qui prévoit la responsabilité civile de l’Etat qui se substitue à celle de l’agent public fautif, avec la possibilité pour l’Etat d’engager ensuite une action récursoire contre son employé. Il évoque aussi certaines dispositions de la loi de 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des Tribunaux administratif qui va dans le même sens. Il requiert donc que le tribunal constate que «l’Etat est en principe civilement responsable des actes commis par ses agents et de revoir la disposition de façon logistique de l’Etat aux côtés du ministère public» dans la salle d’audience.
Front consolidé
L’avocat de M. Danwé, qui déjà a partagé la position du parquet tendant à la reprise des débats, n’a pas besoin de se faire prier pour soutenir la demande du commissaire du gouvernement. Pour une fois, l’harmonie est totale entre l’avocat de la figure centrale de la disparition de Martinez Zogo, selon les enquêtes, et le patron des poursuites dans le dossier. Me Mbunny va reprendre ses arguments passés, sans manquer de lire des conclusions déposées par Me Claude Assira Engoute, tête de file des avocats de la Dgre dans cette affaire, pour stigmatiser son parti-pris déjà exprimé contre son client et certains de ses coaccusés. En s’exprimant avec de grands gestes, il demande aux juges d’éloigner les avocats de l’Etat de la place du ministère public.
Me Mbunny sera rejoint, sans surprise, par Me Tchoungang, qui extériorise sa crainte du fait de la casquette de partie civile portée par la Dgre, qui est, entre autres, dotés des équipements électroniques susceptibles de perturber le procès. Pour le bâtonnier d’ailleurs, il n’est pas exclu que des gens aient cachés des preuves à la Dgre. Par ailleurs, le bâtonnier apporte ce qu’il considère comme un éléments juridique supplémentaire militant pour la destitution de la Dgre comme partie civile avant même l’ouverture des débats dans le procès. Il évoque l’article 75 alinéa 1 du code pénal qui demande, selon sa lecture, «d’établir un préjudice direct, certain et réel» subi par la partie qui souhaite se constituer partie civile, avec que ce statut lui soit accordé. Il se dégage désormais, depuis le début de l’audience, une espèce de consolidation d’un front formé par les avocats de M. Danwé, M. Amougou Bélinga et le ministère public…
Les avocats constitués pour les intérêts des ayants-droits de Martinez Zogo ne vont pas beaucoup s’exprimer au sujet de la demande formulée par le parquet, eux qui interviennent aussi sous la casquette de partie civile. Si Me Magnimb fait observer, sans insister, que parmi les accusés se trouvent d’anciens hommes de la Dgre et d’autres qui sont sans lien avec ce service de l’Etat, ses autres confrères du même bord se préoccupe de savoir que le tribunal a correctement mentionné la décision de reprise des débats qu’il vient de prendre, indiquant qu’ils ne vont pas manquer de s’en prévaloir dans des actes dont il ne donne aucune précision…
Revirement à 360°
En l’absence de Me Claude Assira, indisponible, il revient à ses autres collègues de la défense de la Dgre de prendre le contre-pied de ceux qui ne veulent manifestement pas de leur client dans la procédure. Me Willy Nikefack s’étonne devant le «revirement à 360°» (Sic) du ministère public au sujet de la constitution de partie civile de la Dgre alors qu’aucun élément nouveau n’est survenu depuis que le débat avait été ouvert sur cette question pour la première fois, le parquet trouvant prématurées les contestation de la constitution de l’Etat dans l’affaire comme partie civile. Puis, il interpelle le collège des juges qui avait déjà «acté», depuis l’audience du 15 avril 2024, la constitution de partie civile de la Dgre. «Pouvez-vous, sans vous dédire, demande-t-il, revenir sur une position que vous avez déjà prise ? Le tribunal n’a qu’une seule parole».
Ensuite, l’avocat interroge le fondement juridique de la demande du parquet : «en l’état actuel, le non-cumul des casquettes de partie civile et de civilement responsable de l’Etat repose sur quel fondement juridique ? Qu’il nous soit donné lecture des dispositions qui disent qu’une partie ne peut cumuler les deux positions». Il soutient que du moment où il n’y a pas de texte qui ordonne de poser un acte, on est contraint de s’abstenir. Il rappelle l’Article 13 du code de justice militaire et l’article 385 du code de procédure pénale aux termes desquels «la constitution de partie civile doit, à peine d’irrecevabilité, être faite avant la clôture des débats». Pour lui, le parquet a lancé «un faux débat qui n’a pas lieu d’être». Il demande au tribunal de maintenir les deux casquettes de l’Etat.
Intervenant à sa suite, Me Zonthe va contester la compétence du Tribunal militaire à connaître de la responsabilité de l’Etat vis-à-vis de ses agents, considérant qu’il s’agit d’un «tribunal à compétence spéciale», donc d’une «juridiction d’exception». S’il y a une casquette à enlever à l’Etat du Cameroun dans ce procès, plaide cet avocat, c’est la casquette de civilement responsable. Après sept heures d’audience, la plus longue depuis le démarrage de ce procès, le collège des juges va interrompre les débats pour se retirer afin de préparer sa réponse au problème posé par le commissaire du gouvernement. Comme souvent jusqu’ici, le tribunal s’aligne sur la position du parquet en prenant à son compte les arguments de celui-ci. Il déclare donc qu’il ne reconnaît plus à l’Etat dans ce procès, à l’orée des débats, que «l’unique qualité de civilement responsable». C’est une décision que certains observateurs occasionnels vont interpréter, à tort, comme la condamnation à l’avance de l’Etat du Cameroun comme responsable des atrocités mortelles infligées à Martinez Zogo.
Récusation du tribunal ?
Tel que la disqualification de l’Etat comme partie civile a été amenée, elle sonne comme une vengeance du parquet et du tribunal vis-à-vis des avocats de la Dgre. Les divergences de Me Claude Assira avec le commissaire du gouvernement, notamment au sujet du refus de faire admettre la possibilité de multiplier les pièces du dossier issu de l’information judiciaire, sont évidentes. A l’audience du 06 mai 2024, l’avocat de la Dgre n’avait pas manqué de dire au tribunal qu’il s’est laissé tromper par le commissaire du gouvernement en rejetant la demande de reproduction des pièces du dossier formulée par les avocats de tous bord.
Dans une audience précédente, il s’était prononcé de façon tonitruante pour que tout soit déballé dans cette procédure pénale, l’Etat étant engagé à ce que tout se fasse de manière transparente pour le public. Lors du rendez-vous du 29 juillet 2024, l’avocat avait fait remarquer au collège des juges son habitude à venir à l’audience avec un grand retard au mépris de l’heure qu’il a lui-même arrêtée. Ce genre de liberté ne semble pas rassurer le parquet, qui agit en principe avec la collaboration des parties civiles dans un procès pénal. Ni le commissaire du gouvernement, qui s’arcboute sur le refus de la multiplication du dossier dans cette affaire, position tranchée qu’il n’a pas l’habitude d’expérimenter dans les autres procédures, ni les avocats de M. Danwé et de M. Amougou Bélinga, qui se sont accommodé à certaines positions du parquet, la présence des avocats de la Dgre sur la place des parties civiles n’est pas rassurante pour le sort de leurs clients, tel que cela ressort de leurs prises de parole.
Depuis l’extérieur du pays où il a suivi à distance le procès, Me Assira a déclaré à votre journal que l’Etat du Cameroun ne va pas se laisser écarter du procès par ce passage en force. La loi, dit-il, a prévu selon l’article 385 alinéa 1 du code de procédure pénale, dispose que «toute personne qui prétend avoir subi un préjudice du fait d’une infraction, peut se constituer partie civile à l’audience, par conclusions écrites ou orales». C’est un droit sans restriction que l’avocat n’entend pas lâcher. «Quelque chose sera fait pour que ce droit soit préservé», prévient Me Assira. Une récusation des juges ? Un autre recours ? Rien n’est exclu pour l’avocat de la Dgre. Et ce n’est pas pour assurer que la sérénité, pour le moment, au démarrage effectif des débats au cours du procès de l’affaire Martinez Zogo.