Le magistrat décédé qui avait obtenu 200 ha de terres…

Par Goni Waday – goni.waday@gmail.com Le différend est arrivé devant le juge de l’administration il y a plus de vingt ans ! Un recours contentieux introduit auprès de la chambre administrative de la Cour suprême le 2 août 2021 dans le but de retirer deux titres fonciers délivrés en Sanaga-Maritime et d’en suspendre provisoirement les effets. Après la réorganisation décentralisant la justice administrative en 2012, cette demande échoit au tribunal administratif du Littoral. Elle a enfin pu être exposée après moult péripéties dont l’avocate des requérants, Me Georgette Batamake Sende, témoigne en tant que fille du village où naît l’affaire. «Depuis la nuit des temps», souligne le recours de la communauté villageoise Lom-Edea, du village Ndog-Mbenan, ce groupe de gens occupe des terres dans la contrée du même nom. Une partie de ces espaces avait été affectée en bail agricole à la mode africaine, sans écrits, à un investisseur portugais, Antonio Sax, en vue d’y exploiter des palmiers à huile. Ce qui fut fait. Une huitaine de managers des palmeraies se sont succédés dans cette entreprise jusqu’à ce que les fruits de l’activité ne soient plus intéressants. Les locataires s’en vont et le village récupère ses terres. On est en 1970. Chapelet d’irrégularités Une vingtaine d’années plus tard, dans le voisinage, la famille Bonny Ebumbu a entrepris d’exploiter les mêmes terrains, à en croire le récit des plaignants devant le juge. Mieux encore, elle en a réclamé la propriété. Puisque devant le tribunal de première instance d’Edéa saisi pour ordonner le déguerpissement de certains villageois de Lom-Edéa, propriétaires par l’ancestralité, les Bonny Ebumbu ont «excipé deux titres fonciers portant les numéros 2295 et 2377» de la Sanaga-Maritime. Les deux titres ayant été délivrés successivement le 10 octobre 1995 et le 31 octobre 1996 pour une assiette totale de quelques 189 hectares. Le chapelet des irrégularités qui ont conduit à la délivrance de ces titres fonciers est composite, remarque l’avocate des Ndog-Mbenan. Le premier, le numéro 2295, a été établi à la suite d’une réquisition en régularisation du 3 octobre 1995 au profit de Paul Jacques Bonny Ebumbu, magistrat à la retraite. Ce dernier est décédé depuis le 19 septembre 1988, comme le prétendent les requérants. En tout état de cause, la loi oblige le service des domaines qui a préparé l’acte de propriété à vérifier que le bénéficiaire est encore sujet de droit, à vérifier son identité et sa capacité à agir. Ce d’autant plus que le «mort» reviendra à la charge pour le deuxième établissement de titre, le 2377, en octobre 1996. Moins spectaculaire est l’anomalie du lieu où le contrat de vente aura été passé. «Bonny Ebumbu fonde son droit de propriété sur un acte de vente n°1561 passé le 21 décembre 1972 par devant Maître Socka Bongue, notaire à Nkongsamba» , ont remarqué les requérants. Comme eux, le représentant du ministère public attirera l’attention du tribunal sur la violation de la loi de 1960 qui répartit les ressorts territoriaux des notaires. Sauf à nous tromper, Edéa ne dépend pas de Nkongsamba, même si on remonte à l’époque lointaine du contrat supposé, dira en substance le représentant du parquet afin de convaincre le tribunal de la nécessité d’annuler les titres querellés. Pour lui, la faute de l’administration est manifeste dans ces circonstances et la fraude du bénéficiaire encore plus. Mutisme de l’administration Surtout quand on peut ajouter dans le moulin des plaignants que le fondement de la propriété des vendeurs n’est pas indiqué dans l’acte de cession. Les procès-verbaux de descente sur les lieux ne portent pas des dates exactes et omettent de dire quels voisins témoignent. Une route centrale menant au village est finalement contenue dans le titre 2295… tout cela viole diverses lois. Autant d’irrégularités pour lesquelles, visiblement, l’administration a préféré faire le mort. Son représentant n’était pas présent à l’audience du 6 avril 2023. Et tout au long de la procédure, on remarque son mutisme. Idem pour les bénéficiaires des titres fonciers lors de ce dernier épisode devant les juges. Toutes choses qui devraient faciliter la tâche au collège qui va rendre son verdict le 4 mai 2023 sur les deux aspects de la demande : le retrait pour lequel plaignant et ministère public sont en accord ; la suspension au sujet de laquelle le procureur a convié la requérante à mieux se pourvoir car le tribunal administratif serait incompétent selon lui pour ce faire.

Le magistrat décédé qui avait obtenu 200 ha de terres…

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