Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
M. Mothna Jonathan Esaka ne remettra peut-être plus jamais l’uniforme de fonctionnaire de la police. En tout cas, mardi dernier, 15 juin 2021, il a échoué devant le Tribunal administratif de Yaoundé à faire annuler l’arrêté du chef de l’Etat signé le 2 mai 2017 le révoquant des effectifs de la Sûreté nationale. La décision attaquée impute au flic une «compromission portant atteinte à la considération de la police par appropriation des objets saisis appartenant à autrui». Au moment des faits, le plaignant était inspecteur de police premier grade.
Outre l’annulation de l’arrêté critiqué, M. Mothna espérait aussi récolter au moins 20 millions de francs de dommages et intérêts au terme de la bataille judiciaire qu’il a engagée contre l’Etat du Cameroun. Il n’aura rien, le tribunal ayant jugé toutes ses prétentions recevables en la forme mais non justifiées au fond. Son conseil a néanmoins annoncé en quittant la barre, après le prononcé du verdict, qu’il compte attaquer le jugement devant la Chambre administrative. Cette sentence est tombée après une heure de débats entre les parties au procès.
Les déboires de M. Mothna ont en effet débuté dans la nuit du 20 au 21 mars 2012, alors qu’il était en fonction dans une unité de la police à Douala. Cette nuit-là, le plaignant participait à une patrouille en compagnie de 6 autres collègues lorsqu’ils ont interpellé un gang de malfrats qui venaient de dévaliser une boutique. Ces braqueurs, qui opéraient à bord d’une moto, étaient en possession d’un important arsenal constitué de plusieurs objets de valeur donc des appareils électroniques (ordinateurs portables, des téléphones androïdes, des clefs USB etc.). Un butin saisi par les policiers.
Recel aggravé
Mais au lieu de mettre sous-scellés les biens récupérés entre les mains des malfrats, les policiers se sont plutôt partagés les effets saisis. L’affaire était parvenue aux oreilles des autorités. M. Mothna et ses compagnons d’infortune étaient renvoyés en jugement devant le Tribunal de grande instance (TGI) du Wouri pour s’expliquer sur les faits qualifiés de coaction de «recel aggravé» et de rétention sans droit de la chose d’autrui. Parallèlement, ils étaient traduits au conseil de discipline de la Délégation générale à la Sûreté nationale (Dgsn).
Dans son jugement, le TGI du Wouri avait condamné les mis en cause à différentes peines. M. Mothna Jonathan Esaka s’était tiré d’affaire avec 10 ans d’emprisonnement donc 3 ans avec sursis. Cette peine était suivie de «lourdes amendes». Mais ce jugement était rendu par défaut c’est-à-dire en l’absence des accusés. A la suite du jugement, le chef de l’Etat, sur proposition du conseil de discipline de la police, avait révoqué six policiers incriminés et infligé la sanction d’abaissement en grade au dernier.
Néanmoins, M. Mothna trouve que l’arrêté contesté est prématuré et entaché d’un excès de pouvoir. Selon lui, il viole certaines dispositions du Statut particulier des fonctionnaires de la Sûreté nationale du 12 mars 2001, car basé sur un jugement non définitif. Or, conformément à l’article 135 alinéas 4 et 5, la révocation d’un policier accusé de «crime ou délit touchant à la torture ou à la probité notamment pour vol, faux, escroquerie, corruption, détournement de deniers publics et abus de confiance» n’intervient que lorsque les poursuites judiciaires engagées contre le mis en cause sont devenues définitives.
En clair, le plaignant indique que c’est en 2020, 4 ans après sa révocation, qu’il a été «formellement» notifié de sa condamnation rendu au pénal en son absence. Et le 24 février de la même année, il a formé opposition dudit jugement devant le TGI du Wouri. Dans ce cas, la loi fait obligation à la juridiction à réexaminer le dossier en ce qui le concerne pour qu’il présente ses arguments sur les faits mis à sa charge. Cette procédure est pendante, dit-il. Par conséquent, l’arrêté critiqué n’a respecté ni la «présomption d’innocence» ni les «droits de la défense».
Passage en force
Mais M. Mothna a avoué avoir pris connaissance du jugement lors de son passage devant le conseil de discipline le 2 août 2016. Les débats ont essentiellement achoppé sur deux points : la requête contre l’arrêté de révocation introduite le 13 novembre 2017, et l’opposition au jugement formulée en 2020.
«Pourquoi vous avez attendu 4 ans pour faire opposition ?», interroge le tribunal. Le conseil de M. Mothna répond : «On n’a pas à prendre connaissance d’une décision de Justice. Elle doit vous être notifiée. Lorsque cette formalité a été remplie nous avons exercé les voies de recours», indique-t-il. Et d’ajouter : «La Dgsn est passée en force. Ils ont statué sur une expédition et non sur une grosse. Ils ont voulu faire du sensationnel sur les faits alors qu’il s’agit du droit».
Pour sa part, le représentant de la Dgsn a d’abord fait constater que durant l’échange des écritures entre les parties, le plaignant «n’a pas renseigné l’administration» sur son opposition au jugement. Indiquant que Mothna est d’ailleurs passé aux aveux devant le conseil de discipline. Il a ensuite longuement justifié que la Dgsn a sanctionné le plaignant «au plan moral et disciplinaire». Le parquet a fait chorus avec la Dgsn précisant que de toutes les façons l’opposition au jugement est tardive. Le tribunal a finalement débouté le policier «receleur».