Par Louis NGA ABENA – louisngaabena@yahoo.fr
Il faut s’armer de patience pour comprendre le fondement des infractions au centre du procès de M. Edgard Alain Mebe Ngo’o devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Ce jeudi, 18 février 2021, l’accusation va en principe poursuivre avec la présentation de nouveaux éléments de preuves tendant à asseoir la dizaine de charges retenues contre l’ancien ministre de la Défense (Mindef) et ses coaccusés.
Il y a un peu plus d’une semaine, le 2 et le 3 février 2021, l’accusation, qui a décidé de ne pas faire entendre de témoins dans cette procédure judiciaire, a versé aux débats deux premiers lots de preuves. Les documents en question concernaient, clame-t-elle, les supposés détournements réalisés à travers des «marchés spéciaux» qualifiés tantôt de fictifs et tantôt d’avoir fait l’objet de surfacturations. De supposés forfaits effectué lors de l’acquisition des effets militaires entre 2010 et 2014.
L’accusation estime en effet que 21 marchés spéciaux passés pendant la période querellée ont fait l’objet de surfacturation pour près de 2,7 milliards de francs. Que 29 marchés d’une valeur de 16,1 milliard de francs ont été réglés «sans pièces justificatives». Et qu’une somme totale de 1,6 milliard de francs a fait l’objet d’un déblocage «en espèces et sans pièces justificatives» dans le cadre des dépenses concernant l’organisation du défilé des 20 mai dans la période 2010 à 2016. Ces marchés mettent en scène principalement la société Mag Force International, mais aussi les entreprises Join China, Vanko Holdings Ltd, Marck et T2M.
Signature du SG/PR
Aucune des pièces présentées jusqu’ici par l’accusation ne fait ressortir le rôle que les coaccusés de M. Mebe Ngo’o auraient joué dans l’affaire. Alors que le juge d’instruction a estimé dans son rapport d’enquête judiciaire que les marchés spéciaux querellés ont été attribués par M. Mebe Ngo’o «dans l’ignorance de ses collaborateurs» en principe chargés des tâches y afférentes, en plus de l’absence d’une autorisation écrite du chef de l’Etat habilitant le ministre délégué à la Défense à engager de telles transactions, certains marchés querellés portent curieusement les signatures des secrétaires généraux à la présidence de la République au moment des faits, notamment M. Laurent Esso, l’actuel ministre de la Justice, et son successeur toujours en poste, Ferdinand Ngoh Ngoh.
Dans leurs observations sur les pièces, les avocats de la défense ont estimé que les pièces dont se prévaut l’accusation ne méritent pas d’être admises au dossier du tribunal. Ils indiquent qu’elles ont été certifiées conformes par une autorité incompétente notamment le greffier en chef de la Chambre des Comptes. Pour eux seul le ministère de la Défense peut certifier lesdites pièces parce qu’il détient les originaux des documents brandis. Selon eux, un greffier en chef n’a aucune qualité à poser de tels actes, son rôle se limite à délivrer des expéditions (copies) des jugements. Ils ont également décelé que certains documents présentés avaient subi des «surcharges», d’autres étaient «illisibles» parfois certaines pièces dans la liasse.
Dispositions de la loi
Selon l’article 30 du Code des marchés publics, «les marchés spéciaux sont des marchés qui ne répondent pas, pour tout ou partie, aux dispositions relatives aux marchés sur l’appel d’offres ou aux marchés de gré à gré. Ils comprennent essentiellement les marchés relatifs à la défense nationale, à la sécurité aux intérêts stratégiques de l’Etat». L’article 31 du même code précise : «Les marchés visés à l’article 30 ci-dessus comportent des clauses secrètes pour des raisons de sécurité et d’intérêts stratégiques de l’Etat et échappent de ce fait à l’examen de toute commission des marchés publics».
L’article 13 du décret du 31 mai 1986 portant réorganisation de la Commission permanente des marchés de défense et sécurité stipule : «Le présent marché spécial ne deviendra définitif qu’après sa signature par le ministre, secrétaire général de la présidence de la République, et n’entrera en vigueur qu’après sa notification au fournisseur».
A titre de rappel, M. Mebe Ngo’o répond des infractions présumées de «détournement», de «blanchiment de capitaux», «complicité de corruption active» en rapport avec l’acquisition du matériel militaire. Il passe en jugement aux côtés de son épouse Bernadette Minla Nkoulou, du lieutenant-colonel, Ghislain Victor Mboutou Elle, de l’inspecteur du Trésor, Maxime Mbangue, et de l’ancien directeur adjoint de la banque SCB, Victor Menye. Selon l’accusation, les faits ont favorisé un détournement présume d’environ 220 milliards de francs.
Mebe Ngo’o victime d’un braquage à Kondengui
On a failli ne plus jamais revoir Edgard Alain Mebe Ngo’o. L’ancien ministre de la Défense a frôlé la mort à la prison centrale de Yaoundé-Kondengui le 4 février 2021. Son codétenu appelé Yakana Yakana l’a poignardé avec un couteau après s’être violement emparé de sa chaîne de luxe. L’ancien ministre n’a eu la vie sauve que grâce à la prompte intervention d’un autre détenu, son «majordome». Cette scène s’est déroulée devant Bernadette, l’épouse de l’ex-ministre.
Ce jour-là, il est 16 heures passé, les époux Mebe Ngo’o sortent du parloir du pénitencier. Ils viennent de se séparer de leur fille venue leur rendre visite en prison. Chacun regagne son «quartier». Ils sont suivies par le «majordome» de l’ex-ministre. En traversant la cour intérieure de la prison, M. Mebe Ngo’o est agressé par son bourreau qui coupe violemment sa luxueuse chaîne. En dépit du butin, M. Yakana dégaine son couteau dissimulé dans son pantalon. L’ex-ministre reçu un coup de poignard qui l’a blessé à la main droite. Il est conduit à l’infirmière de la prison. La blessure au niveau de l’auriculaire a nécessité cinq sutures. Il a des hématomes au niveau du coup. Des écorchures au genou droit. Il sera entendu le même jour par le commandant de la brigade de gendarmerie de Kondengui venu s’enquérir de la situation à la prison. Le bourreau est placé en garde à vue dans la cellule de la prison centrale.
Le malheureux incident est viral sur la toile. Certains établissent un lien avec l’ouverture des débats dans le procès de l’ancien ministre de la Défense. Beaucoup arguent du transfèrement imminent de M. Mebe Ngo’o à la «prison secondaire» de Yaoundé située dans l’enceinte du secrétariat d’Etat à la Défense (SED) en charge de la gendarmerie. Or, ce n’est pas la première pas la première fois qu’un prisonnier VIP est violenté à la prison de Kondengui. On se souvient de la bastonnade subie par l’ex-PM Inoni Ephraiim, M. Urbain Olanguena Awono ou M. Iya Mohamed lors de l’émeute de juillet 2019.