Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
C’est un marché de dupes qui a conduit deux amis devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Qui de Ulrich Armel Sikana et de Pierre Célestin Atangana Bengono a cherché à spolier l’Etat ? Ils passent en jugement pour une présumée tentative de détournement en complicité de 771,2 millions de francs en rapport avec le paiement avorté de deux marchés publics qualifiés de fictif.
Les parties auraient dû se retrouver le 12 mai dernier pour échanger leurs listes des témoins. Malheureusement ce jour était déclaré férié et chômé à cause de la fête du Ramadan. Et le rendez-vous est reporté le 21 juin prochain Le rapport de l’enquête judiciaire dressé par le juge d’instruction résume les faits au centre du procès. Tout part d’une décision du ministre des Finances (Minfi) signé le 26 mai 2019 autorisant le paiement d’une partie de la dette intérieur de l’Etat à hauteur de 2,3 milliards de francs.
Parmi les bénéficiaires de la décision du Minfi figurait en effet un paiement de 413,2 millions de francs relatif à un marché attribué aux Etablissements (Ets) Siks, dont le promoteur est Ulrich Armel Sikana. Il était dit que le marché en question avait été attribué à cette entreprise par le ministère de l’Elevage, des Pêches et des Industries animales (Minepia) le 30 décembre 2013 portant sur la fourniture des équipements au Centre de collecte de lait.
Equipement de foins
Après la publication de la décision du ministre des Finances, un dossier des Ets Siks était aussitôt déposé à la division de la Préparation du budget du Minfi en vue de l’obtention du paiement annoncé au profit de l’entreprise.
Le problème : deux mois après la signature de sa décision, le 17 juillet, le ministre des Finances avait adressé une lettre à son collègue du Minepia sollicitant de ce dernier la transmission de sa décision validant le paiement du marché de 413,2 millions de francs au profit des Ets Siks. En réaction, le ministre de l’Elevage répondait que le marché en question «n’a jamais existé». Et précisait que c’est plutôt un marché de 13,2 millions de francs qu’il avait attribué aux Ets Siks le 11 novembre 2013 pour la fourniture des équipements dans deux centres de collecte de lait dans la région de l’Adamaoua.
Un mois plus tard, le 7 août, M. Atangana Bengono était interpellé dans les locaux du Minfi. En fait, les responsables du Minfi avaient monté un traquenard en miroitant à l’accusé que le traitement du dossier des Ets Siks en vue du paiement attendu nécessitait urgemment des pièces complémentaires. Le chef de la cellule juridique du Minepia avait salé la note prétendant qu’en dehors du marché de 413,2 millions de francs, M. Atangana Bengono avait également sollicité, sans succès, le paiement de 358 millions de francs pour un autre marché «fictif» relatif à la livraison imaginaire des équipements de foins à la Station d’impulsion moderne d’Elevage (Simel).
Devant le juge d’instruction, M. Atangana Bengono a nié les faits clamant même sa bonne foi. Pour se justifier, il raconte qu’en janvier 2019, M. Sikana l’a sollicité afin de lui permettre d’obtenir les paiements à problème. En cas de réussite, indique-il, son coaccusé promettait lui reverser 5% du montant qui serait recouvré. C’est de cette manière qu’il a reçu de son compagnon d’infortune toute la documentation afférente aux marchés querellés.
Dès mai 2019, M. Atangana Bengono affirme avoir rencontré diverses personnalités au sujet du paiement des deux marchés parmi lesquelles le ministre des Finances et le chef de la division de la Préparation du Budget. Selon lui, c’est un certain Foe Magloire Désiré, qu’il présente comme un employé de M. Sikana, qui a déposé les dossiers des Ets Siks au Minfi. Il soutient que c’est lors de son interpellation qu’il a lui-même découvert la fraude déplorée.
Facilitateur du paiement
Pour sa part, M. Sikana a partiellement rejeté la version des faits de son partenaire d’affaires. Il reconnaît avoir sollicité les service de M. Atangana Bengono, mais précise que c’était uniquement pour être «facilitateur» auprès du Minepia en vue de l’obtention du paiement du marché d’un montant de 13,2 millions de francs. Ce marché, dit-il, a été livré en septembre 2014 mais le Minepia traîne les pieds pour la réceptionner définitive de la commande pour des raisons inavouées. Il soutient mordicus que la seule mission qu’il a confiée à son coaccusé ne visait qu’à faire aboutir ce dossier. Autant il nié connaître M. Foe, qui a été mis hors de cause par le juge d’instruction pour «défaut d’identification». Les deux hommes d’affaires médient sur leur sort à la prison de Kondengui depuis près d’un an. Ils risquent la perpétuité s’ils sont reconnus coupable…
Bon à savoir que M. Atangana Bengono n’est pas un inconnu des milieux judiciaires. Il avait écopé d’une peine d’emprisonnement dans la célèbre affaire dite Pierre Désiré Engo, du nom de l’ancien directeur général de la Caisse nationale de Prévoyance sociale.