Par Jacques Kinene –jkine7@yahoo.fr
«N’entre pas à l’Ecole nationale supérieure polytechnique qui veut, mais qui peut». Ces propos sont ceux de M. Mohomed Mourtala poursuivi pour faux diplôme, notamment un baccalauréat scientifique qu’il dit avoir obtenu au Tchad. Il lui est reproché de s’être servi de ce parchemin contesté pour entrer et sortir de l’Ecole nationale supérieure polytechnique. Pis, il aurait, d’après l’accusation, bénéficié du concours de Ignace Essomba, chef de service de l’homologation et de la validation des formations à la Sous-direction des équivalences au ministère de l’Enseignement supérieur (Minesup) et d’Ernest Essono Onana, cadre dans le même service pour l’obtention frauduleuse d’un arrêté d’équivalence dudit baccalauréat.
Pour sa défense, M. Mohomed Mourtala, en détention à la prison centrale de Yaoundé Kondengui depuis le mois de mars 2020, explique avoir suivi un cursus scolaire au lycée bilingue et au lycée classique de Garoua. Il dit avoir présenté et obtenu en 2004, l’examen du baccalauréat tchadien, série C avec mention bien. L’original dudit diplôme et une photocopie certifiée par un huissier et l’office national des examens du Tchad ont été présentés au tribunal pour démontrer aux juges en charge du dossier qu’il s’agit bel et bien d’un diplôme authentique. L’accusé a indiqué, en outre, avoir été admis au concours d’entrée à l’Ecole nationale supérieure polytechnique dans la filière du génie civile sous réserve du baccalauréat. «J’ai terminé avec brio ma formation d’ingénieur de conception avant de présenter avec succès le concours d’entrée à la Fonction publique. Recruté au ministère de l’Habitat et du Développement urbain, j’ai été porté à la tête d’une direction de ce département ministériel par la force du travail. Mon diplôme est authentique et n’a jamais été contesté», a-t-il déclaré.
A la question de savoir ce qui peut justifier le fait qu’il se retrouve devant la barre pour une affaire de faux diplôme avec un parcours aussi élogieux ? M. Mohomed Mourtala confie que c’est le père de son épouse qui est à l’origine de ses déboires judiciaires. Il indique que pour des raisons tribalistes, ce dernier s’opposait à leur mariage qui a fini par se concrétiser. Et depuis lors, son beau-père a, dit-il, tissé de toutes pièces cette affaire pour régler son compte. Il a ajouté qu’il ne connaissait pas ses coaccusés avant le déclenchement de cette procédure avant de conclure n’avoir jamais vu son nom dans la liste des personnes dont les demandes d’équivalence avaient été rejetées.
Un dossier vide ?
Ernest Essono Onana a, quant à lui, nié avoir signé un quelconque document en faveur de M. Mohomed Mourtala qu’il ne connaissait pas personnellement. Il déclare que le secrétariat technique de la Commission des équivalences dans lequel, il faisait partie a pour mission d’apprêter et de présenter les milliers de dossiers à l’appréciation des commissaires. «Je suis allé en mission à Ndjamena pour l’authentification des diplômes. Je ne sais pas si le dossier de M. Mohomed Mourtala faisait partie du lot. Je précise que je n’ai jamais traité de manière particulière le dossier de ce dernier avec Ignace Essomba », a-t-il noté. Comment expliquer que d’une commission à une autre, le même diplôme passe de faux à authentique ? L’accusé répond que ce cas se compte parmi tant d’autres.
M.Essomba Ignace à qui il est reproché d’avoir visé la lettre d’authentification fabriquée pour les besoins de la cause par son collaborateur Ernest Essono Onana, laquelle lettre aurait trompé la vigilance de la commission des équivalences et conduit à l’obtention d’un arrêté du ministre des Enseignements supérieurs, a corroboré les déclarations de son coaccusé. Il a déclaré avoir conduit la mission dépêchée à Ndjemena lors de la session 92-93 au cours de laquelle le diplôme de M. Mohomed Mourtala avait été reconnu faux. Il précise qu’il n’est qu’un maillon de la longue chaîne des équivalences et que son visa n’est pas l’élément décisif qui détermine la commission des équivalences. Pour lui, le Minesup reconnaît le diplôme de M. Mohomed Mourtala comme étant authentique.
Pendant les témoignages des accusés, les avocats de la défense ont attiré l’attention du tribunal sur ce qu’ils qualifient de curiosités dans ce procès. D’abord le parquet qui conduit l’accusation n’a ni témoin encore moins les pièces de soutien à l’accusation. Ensuite, le baccalauréat et la lettre d’authentification argués de faux n’ont jamais été présentés aux accusés. Enfin certains responsables du Minesup concernés par cette affaire et pouvant éclairer davantage le tribunal, ont été écartés du procès pour des raisons inavouées.
En rappel M. Mourtala avait été au centre d’une dénonciation faite par son propre beau-père auprès du ministre de I ’Enseignement supérieur. Il accusait alors l’ingénieur polytechnicien d’avoir usé d’un faux baccalauréat tchadien au moment de son admission à l’Ecole nationale supérieure polytechnique.
Cette première dénonciation n’avait pas prospéré. Et le beau-père repartait à la charge, cette fois par le truchement de la Commission nationale anticorruption (Conac). Et le 13 janvier 2020, dans le cadre d’une investigation initiée pour en savoir davantage sur le caractère authentique du baccalauréat détenu par M. Mourtala, Dieudonné Massingams adressait une correspondance au Minesup. Cette requête du président de la Conac va faire mouche.Une enquête interne va être déclenchée par le ministre d’Etat, Jacques Fame Ndongo, à la Sous-direction des Equivalences. Plusieurs cadres et responsables de ce service sont suspectés d’avoir fraudé dans l’examen du dossier de demande d’équivalence de M. Mohomed Mourtala. Seuls Ernest Essono Onana et Ignace Essomba avaient été curieusement renvoyés en jugement. La suite des débats avec les réquisitions du ministère public et les plaidoiries des avocats lors de la prochaine audience prévue le 25 juin 2021, s’annonce houleuse.