Par Jacques Kinene-jkine7@yahoo.fr
Le 8 avril 2021, la Société sucrière du Cameroun (Sosucam) a subi un autre revers devant le Tribunal de grande instance (TGI) du Mfoundi dans l’affaire qui l’oppose à Benoît Keuda, un de ses anciens employés brûlé par la soude caustique, un produit hautement toxique alors qu’il dépannait une pompe Moret KSB dans son lieu de service le 22 août 2005. Traduite devant la justice par son ex chef d’équipe mécanique, l’entreprise sucrière avait été condamnée à payer à ce dernier les dommages et intérêts évalués à la somme de 209,5 millions de francs par le TGI du Mfoundi le 25 juin 2020. Le 25 novembre 2020, las d’attendre la réaction de la Sosucam, Me Ngo Bidjeck Suzanne l’avocate de M. Keuda d’alors, remplacé dans la suite de la procédure par Me Djochikou Alphonse, avait par un acte d’huissier de justice procédé à la saisie des comptes bancaires de l’entreprise sucrière, logés dans 12 banques pour l’obliger celle-ci à payer les droits de son client.
En réaction, la Sosucam, dans ce que le plaignant qualifie de dilatoire et de fuite en avant, avait plutôt choisi de demander au tribunal d’ordonner la levée des scellés apposés sur ses comptes bancaires. Dans la décision du 8 avril dernier, le TGI, qui statuait en matière de contentieux d’exécution a déclaré la requête de l’entreprise sucrière irrecevable et non fondée avant de la rejeter. Le tribunal a, en outre, condamné la Sosucam à payer les frais de justice et ordonné la continuation des poursuites judiciaires.
Selon la version des faits de Benoît Keuda, contenue dans la grosse du jugement du TGI du 25 juin 2020, cet ancien mécanicien usine de la Sosucam, qui est actuellement en piteux avait été recruté à l’ancienne Camsuco et déflaté par cette structure après sa dissolution et son remplacement par la Sosucam. Cette dernière l’avait rappelé en 2000 pour y travailler en qualité de chef d’équipe mécanique. Le 22 août 2005, lors du dépannage dans son lieu de service de la pompe Moret KSB, qui refoule la soude caustique, produit extrêmement dangereux, M. Keuda avait été victime d’un accident lui ayant occasionné des brûlures aux pieds, aux mains et aux épaules et causé une incapacité permanente de 85 %. Il avait alors été reçu par l’infirmerie de la société, mais qu’à cause de la gravité des brûlures, il a été conduit de toute urgence et dans un état comateux à l’Hôpital Central de Yaoundé où des soins appropriés et intensifs lui avaient été administrés. Le chef d’équipe mécanique avait soutenu que du fait de cet accident, il avait perdu l’usage de ses doigts et de ses membres inférieurs.
Par ailleurs, la grosse indique qu’en dépit des multiples appels au secours lancés en direction de son employeur, celui-ci est resté indifférent aux malheurs de Benoît Keuda. Ce qui avait obligé le malade à brader tous ses biens pour supporter ses frais médicaux, hypothéquant ainsi l’avenir de sa famille. Pis, l’employeur de Benoît Keuda, à cause de la négligence, n’avait pas déclaré l’accident de ce dernier à la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps) en vue de lui permettre de bénéficier des avantages liés à l’accident de travail. Le mécanicien avait soutenu qu’il s’agissait bel et bien d’un accident de travail
Et cinq ans plus tard, lorsque le plaignant, reprenant ses esprits, avait entrepris de déclarer son sinistre à la Cnps, celle-ci lui avait fait savoir qu’il était forclos, les délais ayant été largement dépassé. Benoît Keuda avait évoqué l’article 17 de la loi du 13 juillet 1977 portant réparation des accidents de travail et des maladies professionnelles qui dispose que «la victime d’un accident de travail, de trajet ou d’une maladie professionnelle doit immédiatement, sauf cas de force majeure, informer l’employeur ou l’un de ses préposés, déclarer dans un délai de trois jours ouvrables tout accident de travail ou toute maladie professionnelle constatée dans l’entreprise. Ce délai court du jour de l’accident ou du jour de la constatation du caractère professionnel de la maladie ou encore du jour où l’employeur a eu connaissance de l’accident ou de la maladie».
Accident de travail
Pour Benoît Keuda, l’accident dont il s’agit étant survenu au sein de l’entreprise, est bel et bien un accident de travail et que le contrat de travail qui le liait à son employeur n’avait aucune incidence sur la nature dudit accident. Il avait donc estimé que les agissements de son ancien employeur lui avaient volontairement privé de son droit de réparation par l’entreprise de sécurité sociale. Raison pour laquelle, le plaignant qui a cessé toute activité rémunératrice est devenu une charge pour sa famille. Il avait saisi la justice et exigé que la Sosucam lui verse en compensation de tous ces manquements, la somme de 322 millions de francs.
Pour sa défense, la Sosucam a toujours contesté l’argumentaire développé par son ancien employeur. L’entreprise pense qu’il n’a pas été établi que sa maladie figure dans le tableau des maladies professionnelles reconnues comme telles et donnant lieu à une réparation par la Cnps ni une maladie consécutive à un accident de travail. Et que même si celle-ci répondait aux critères de ces deux catégories de maladies, la Sosucam ne pouvait pas la déclarer à la Cnps dans les délais réglementaires étant donné que M. Keuda Benoît avait abandonné son poste de travail pour ne réapparaître que deux ans plus tard.
La Sosucam avait soutenu que son ancien employé avait trois ans à compter de la survenance de sa maladie pour déclarer lui-même à la Cnps dès lors qu’il savait que son ex employeur ne l’avait pas fait. L’entreprise avait relevé la contradiction du plaignant qui parlait tantôt d’une maladie professionnelle tantôt d’un accident de travail avant d’indiquer qu’elle ne pouvait pas déclarer une maladie professionnelle dont elle n’avait pas été informée selon la réglementation en vigueur. La Sosucam avait conclu en demandant au tribunal de rejeter la requête de M. Keuda Benoît comme non fondée. Mais le juge du TGI après un examen minutieux du dossier, n’avait pas été convaincu par les arguments de la société sucrière. Il avait condamné cette dernière à verser à son ancien chef d’équipe mécanique la somme de 209,5 millions de francs. Le juge avait également ordonné que la Sosucam paye provisoirement la somme de 15 millions de francs en dépit de toutes voies de recours. Presqu’un an après la décision du TGI, Benoît Keuda qui meurt à petit feu, attend en vain de rentrer dans ses droits. Doit-on penser que la Sosucam a opté pour la méthode de l’usure ou pour la justice des forts dans laquelle le plus fort a toujours raison ? Seul l’avenir nous le dira.
Des accidents du travail et des maladies professionnelles
La loi du 13 juillet 1977 portant réparation et prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dispose en son article 16.que l’incapacité temporaire est l’inaptitude au travail qui s’étend du jour suivant l’accident au jour de la consolidation ou de la guérison ou de la date de reprise de service. L’incapacité permanente, quant à elle, est la réduction de la capacité du travail qui subsiste après de la consolidation. Elle peut être partielle ou totale.
Par ailleurs l’article 17 prévoit que la victime d’un accident du travail ou de trajet doit immédiatement, sauf cas de force majeur en informer l’employeur ou l’un de ses préposés. L’employeur est tenu de déclarer dans un délai de trois jours ouvrables tout accident du travail survenu ou toute maladie professionnelle constatée dans l’entreprise. Ce délai court du jour de l’accident ou du jour de la constatation du caractère professionnel de la maladie ou encore du jour où l’employeur a eu connaissance de l’accident ou de la maladie. En cas de carence de l’employeur la déclaration visée au paragraphe ci-dessus peut être faite par la victime ou ses ayants droit dans un délai de trois ans.
Si la victime n’a pas repris son travail dans les trois jours de l’accident, l’employeur doit en outre faire établir un certificat médical. En ce qui concerne les maladies professionnelles, la date de la première constatation médicale de la maladie sera assimilée à la date de l’accident. Dans tous les cas, la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale prend en charge les accidents du travail et maladies professionnelles survenus au cours d’un travail exercé pour le compte d’un employeur non immatriculé et exerce un recours contre l’employeur intéressé pour la récupération des prestations servies ou en dommages intérêts