Des quelques 24 hectares qui appartenaient à son défunt père, Jeanne Mvoy Atangana pourrait se retrouver sans un mètre carré. Un scénario difficile à imaginer pour la représentante de la succession Atangana qui fait des pieds et des mains depuis 2016 pour garder ne serait-ce qu’une partie de son héritage. Médecin de profession et autochtone du village Nkomo II, feu Maurice Atangana avait acquis des droits sur les plus de 24 hectares appartenant à son père, dans le quartier Ekounou, arrondissement de Yaoundé IV. Il avait ensuite procédé à l’immatriculation auprès des autorités territorialement compétentes de l’ancêtre du ministère des Domaines, du Cadastre et des affaires foncières (Mindcaf). Il obtient le titre foncier N° 1709/Mfoundi en novembre 1966.
Contre toute attente, en 1969, un décret présidentiel réquisitionne son terrain pour la réalisation de l’extension de l’aérodrome de Yaoundé, sur une superficie de 233 hectares. Heureusement pour lui, les travaux engagés n’occupent pas toute la superficie et donc son terrain n’est pas totalement incorporé dans le domaine privé de l’Etat. Des 24 hectares qu’il avait, Maurice Atangana peut encore se prévaloir d’un peu plus de 12 hectares, toujours protégés par le TF N° 1709/Mfoundi. Sur ses terres, le père de famille va continuer à faire pousser des cultures vivrières et construire un abri pour sa famille qui s’agrandit, dans une quiétude qui ne sera que provisoire pour les siens.
Des éléments du Mindcaf à l’affût
Plus d’une vingtaine d’années après la mort de Maurice Atangana va commencer la bataille juridique de ses enfants. Dans ses écritures de la saisine du Tribunal administratif du Centre, en juillet 2021, Jeanne Mvoy raconte qu’en 2016, un dénommé M. Awono, délégué départemental du Mindcaf, est arrivé dans leur domicile pour les informer qu’ils sont en infraction s’ils ne libèrent pas l’espace qu’ils occupent. L’homme justifie la réquisition par un projet de construction d’un lycée technique et des logements devant servir pour la CAN 2019, que devait organiser par le Cameroun. Malgré l’injonction, la famille continue son exploitation du terrain querellé.
A leur grande surprise, deux années plus tard, c’est un autre individu qui se pointe pour exiger des droits sur une partie du domaine. Le dénommé Brandy Bodio à Bodio, inspecteur général au Mindcaf réclame 1000 m² et procède à la destruction des plantations trouvées sur le site. Devant la réticence des Atangana à renoncer à ce lopin de terre, M. Bodio revient quelques jours plus tard et exige la libération des lieux, avec une arme à l’appui, selon Jeanne Mvoy.
Pour se mettre à l’abri de nouvelles menaces, la plaignante va adresser une correspondance au Sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé IV dans laquelle elle va expliquer la situation. L’autorité administrative va pencher du côté de son adversaire et demander à la plaignante de libérer la superficie sollicitée par M. Bodio. Jeanne Mvoy se tourne alors vers le préfet du Mfoundi qui lui rend une décision favorable. Il décide de l’arrêt des travaux entrepris et à entreprendre par M. Bodio sur le terrain convoité. Un ouf de soulagement pour la famille Atangana qui ne se doute pas que ce n’est qu’une victoire d’étape dans la bataille où elle est embarquée, avec le Mindcaf.
Premier ministre
Le répit ne sera que de courte durée car plus d’un hectare de leurs terres sont transférées à un tiers, par un arrêté signé du 27 novembre 2018 par le Mindcaf, soit 10 mois à peine après l’affrontement avec M. Bodio, le bénéficiaire de la procédure de vente encadrée par le Mindcaf. Les autorités de ce ministère disent obéir à une haute instruction du premier ministre. Thomas Wozejouo, le nouveau propriétaire, recevait ainsi cette superficie pour la réimplantation de son établissement scolaire prétendument détruit par un projet du ministère des Postes et Télécommunications. Thomas Wozejouo se voit octroyer la parcelle qui serait encore considérée par le Mindcaf comme une propriété privée de l’Etat. La construction de cet établissement a comme alibi l’utilité publique, car il avait en son sein plus de 2000 élèves et plus de 200 enseignants sans infrastructures pour une nouvelle année scolaire.
L’attribution du terrain devait, selon l’arrêté du premier ministre, qui l’ordonnait, compenser la destruction de son établissement, l’institut La Méthode, et ses 27 salles de classe. Ceci aurait causé le chômage des enseignants et le décrochage scolaire des élèves, occasionnant des pertes évaluées à un milliard de francs. Pour les terres qui lui ont été cédées, selon les registres de la conservation foncière, ils sont voisins à ceux de MM. Brady Bodio A Bodio (sous-directeur du domaine privé de l’Etat à cette date), Nkolo Belibi (délégué départemental du Mindcaf du Mfoundi), Wilson Yunji (géomètre chargé de la Commission et chef de Brigade de Yaoundé 1er), François Mpon (directeur des affaires générales au Mindcaf), Mbessa (responsable au Mindcaf). Il n’est fait aucune mention du titre foncier 1709/Mfoundi mais plutôt de celui N° 51796/Mfoundi du 23 mai 1966, considérant la superficie demandée par l’Etat pour la construction prévue de l’aérodrome.
Un jeu d’intérêts
Dans le dossier de Thomas Wozejouo, fourni au secrétaire général des services du premier ministre, dont Kalara a eu la copie, ce dernier n’évoque pas de pièces justificatives de l’existence légale de l’établissement qui doit être recasé. Il en est de même pour l’autre dossier envoyé au ministère des Enseignements secondaires pour demander une intervention en sa faveur pour l’octroi du site avant la rentrée scolaire 2016-2017. Le Mindcaf ne lui aurait attribué pour la première fois que 3500 mètres carrés et dans ses écrits, Thomas Wozejouo accusait dès lors les responsables de ce ministère d’avoir fait une vente irrégulière «au profit des responsables du Mindcaf chargés de (lui) attribuer le terrain».
Pour un premier temps la raison à ce refus était officiellement la difficulté de trouver «en zone urbaine une parcelle pouvant atteindre un hectare». Ce n’est qu’après insistance qu’il obtient finalement la parcelle d’un hectare à proximité des lopins de terres des responsables du Mindcaf. Il aura fallu deux années au promoteur scolaire pour obtenir gain de cause mais certainement plus pour les autres protagonistes de cet imbroglio, car après ce dernier, ont encore fait surface le ministère des Enseignements secondaires (pour la construction d’un lycée technique) et Adoha, une entreprise marocaine.
Selon les éléments du cadastre approchés par Jeanne Mvoy, les nouveaux occupants ont eu leurs parcelles grâce à un morcellement du terrain de l’Etat couvrant le TF N°51796/Mfoundi, préalablement attribué au ministère des Postes et Télécommunications en mars 2005. Face à cette confusion, la plaignante va demander une expertise cadastrale en 2019 dont les conclusions sont claires à savoir que: le titre foncier des Atangana et du domaine privé de l’Etat ont une limite commune, mais que celui des autres protagonistes (Thomas Wozejouo, le lycée technique et Adoha) empiètent sur le terrain des Atangana.
S’appuyant sur ces observations, la plaignante écrit au secrétaire des services du premier ministre, en charge du dossier mais sa doléance n’est pas acceptée. Toujours acharnée au combat, Jeanne Mvoy attend la programmation de son cas dans le rôle du Tribunal administratif du Centre pour se défendre et espérer jouir à nouveau de la propriété des terres léguées par ses ancêtres.