L’ancien ministre de l’Economie et des Finances, Polycarpe Abah Abah, avait à cœur d’interroger lui-même son coaccusé, Amadou Vamoulké, dans la procédure judiciaire qui les concerne devant le Tribunal criminel spécial (TCS) pour détournement des deniers publics. Il le fera peut-être le 6 juillet prochain, date de la prochaine audience. En fait, lors du dernier rendez-vous de ces deux personnalités, le 18 juin dernier, l’ancien ministre a connu un important coup de fatigue en arrivant au tribunal. Une frayeur qui a poussé le représentant du ministère public à informer lui-même le service médical du Secrétariat d’Etat à la Défense (SED) chargé de la gendarmerie du malaise connu par M. Abah Abah. C’est dans l’une des casernes de ce camp militaire baptisé prison secondaire de Yaoundé que le coaccusé de M. Vamoulké est en détention provisoire.
Si dans ce procès dit volet 2 de l’affaire Crtv les accusés répondent d’un présumé détournement des fonds publics d’un montant global d’environ 3,9 milliards de francs, l’ancien ministre est poursuivi pour ce qui le concerne en coaction avec l’ancien DG de la Crtv pour la distraction alléguée d’une partie de l’enveloppe supposée distraite, soit 594,9 millions de francs. Il s’agit selon l’accusation d’une somme prélevée du compte de la Crtv et déposée dans un compte privé. Le compte en question était celui de la Mutuelle du personnel de la Direction des impôts. Elle représentait des commissions payées au fisc en rétribution de la collecte de la redevance audiovisuelle au bénéfice de la Crtv. Les deux accusés nient avoir détourné la somme en question et d’avoir jamais agi en commun. M. Abah Abah profite de la présence de M. Vamoulké dans le box des témoins pour obtenir quelques clarifications sur les faits qui leurs sont reprochés.
C’est gros et grossier…
Cet exercice avait démarré lors de l’audience du 27 mai 2021, avant le rendez-vous de la semaine dernière. Mais ce sont les avocats du ministre Abah Abah qui avaient posé leurs questions. Ils ont poursuivi l’interrogatoire de l’ancien DG pendant une quarantaine de minutes, en lui posant une question assez large : «les ordres de retrait que vous effectuiez sur le compte de la redevance audiovisuelle étaient-ils préalablement soumis au ministre des finances?» Réponse de M. Vamoulké : «Il s’agit de la cuisine interne au ministère des Finances.» Autre question : «avez-vous décaissé ensemble et de concert avec M. Abah Abah la somme de 594,9 millions de francs pour aller la déposer dans un compte privé?» Réaction de l’ancien DG : «c’est gros et grossier de penser qu’un ministre des Finances qui a une signature au FMI et à la Banque Mondiale se fasse accompagner par le DG d’une entreprise publique pour aller décaisser de l’argent dans une administration qui dépend de lui. De plus, sachez que nous ne sommes pas des amis pour travailler de concert.»
Lors de la précédente audience, M. Vamoulké avait déjà raconté une anecdote pour dire que son coaccusé et lui n’étaient pas des amis. Le contre-interrogatoire s’est poursuivi avec une autre question : «Quel est le montant exact des sommes décaissées?» Etonnement de l’ancien DG face à cette question : «Sommes décaissées? Sachez que je n’ai jamais mis les pieds à la trésorerie générale». La défense du ministre va poser une dernière question avant de solliciter le renvoi du fait de l’état de santé de M. Abah Abah : «Existe-t-il dans le dossier une pièce à conviction prouvant un transfert du compte du trésor vers un compte privé?» Réponse : «la réponse à votre question devrait se trouver à la Trésorerie générale.» La suite du procès va être ajourné pour le 6 juillet prochain.
Rappelons qu’à l’audience du 17 mai 2021, M. Vamoulké avait déclaré qu’au moment de sa nomination à la Crtv, M. Abah Abah n’était plus directeur des impôts, mais ministre chargé des Finances. Il avait expliqué n’avoir jamais rien fait «ensemble et de concert» avec son coaccusé. Il avait affirmé que le DG de la Crtv n’avait besoin d’aucune autorisation pour que l’entreprise encaisse son argent, précisément les ressources de la Redevance audiovisuelle.