Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
Petit à petit, la nouvelle équipe du Conseil national de la Communication (CNC) imprime sa marque. Les neuf membres de l’institution ont tenu leur deuxième session ordinaire le 2 septembre dernier au cours de laquelle trois décisions sanctionnant certains professionnels des médias ont été prises. Contrairement à ce qui se faisait par le passé, M. Joseph Chebonkeng Kalabubse, le nouveau président, a lui-même lu à l’attention des organes de presse présents toutes les décisions adoptées par l’organe de régulation des médias aussitôt la session terminée. Bien que cette lecture ait été un peu hésitante, du fait probable de la formulation du communiqué, l’on a retenu (lire le détail dans l’encadré) que les sentences prononcées étaient relativement souples par rapport à ce qui se faisait par le passé (maximum de 2 mois de suspension pour les journalistes et avertissement pour les éditeurs des entreprises concernées).
Si la forme de la publication du communiqué du conseil a suffisamment retenu l’attention du grand public (c’est un style que le nouveau président avait inauguré lors de la session ayant suivi sa prise de fonction), un fait est passé inaperçu aux yeux de la plupart de ceux qui ont écouté M. Chebonkeng Kalabubsu. Le successeur de Peter Essoka a en effet indiqué, comme première mesure prise par le CNC, que le traitement du dossier concernant le bi-hebdomadaire Eco-Matin a été ajourné. Le communiqué précise «[qu’au] terme de la procédure d’instruction menée par les services administratifs du CNC, le conseil, prenant acte de la demande du directeur de publication de Eco-Matin d’être auditionné par devant la collégialité de ses membres, a décidé d’inscrire cette affaire au rôle de sa prochaine session». Le conseil se prononcera donc sur la base de l’investigation qu’il entend mener lui-même. C’est un fait presqu’inédit.
En prenant langue avec le Directeur de la publication en question, Kalara apprend qu’un incident relativement grave a mis en scène M. Fidieck et M. Jean-Tobie Hond, le secrétaire général du CNC, au cours des jours qui ont précédé la tenue de la session du conseil. Pressentant que son journal était exposé à une sanction arrêté d’avance, le directeur de la publication a donc adressé au président du CNC une correspondance dénonçant «la méthode d’instruction» du CNC, en sollicitant du conseil par le même moyen qu’il soit auditionné par les membres de l’institution eux-mêmes, avant toute prise de décision dans le cas de son journal. Copie de cette correspondance, datée du 30 août 2021, avait été mise à la disposition des huit autres membres du conseil. La démarche du directeur de la publication a apparemment porté des fruits.
Le clash
En fait, M. Fidieck a décrit à l’attention des conseillers le pourquoi de sa méfiance à l’égard de l’équipe chargée d’instruire la requête visant son journal. «Le procédé décrié consiste en des manigances du secrétaire général du CNC, visant à me contraindre à signer une correspondance dans laquelle je fais ‘‘amende honorable’’ pour avoir fait publier l’article incriminé dans mon journal. Faute de quoi, en me pointant du doigt devant témoins, monsieur le secrétaire général du CNC m’a dit, je le cite expressis verbis : ‘‘ok, je vais te faire sanctionner», a écrit M. Fidieck. Qui soutient que l’annonce de la sanction de son journal par le SG avant la tenue du conseil est «constitutive de violation grave des prescriptions de l’article 6 du décret du 23 janvier 2012 portant réorganisation du CNC et du chapitre IV du manuel de procédure de traitement des plaintes du CNC».
Ces deux textes, rappelle le DP, «font du conseil le seul organe habilité à prendre des décisions contre les professionnels du secteur de la communication sociale». Toutes griffes dehors, M. Fidieck dénonce aussi dans sa correspondance ce qu’il appelle une «tentative d’abus de fonctions». Il ajoute que l’attitude du SG est contraire aux énonciations du préambule du manuel de procédure qui affirme le souci du conseil «de garantir l’efficacité de la crédibilité de la procédure de régulation en distinguant les phases d’instruction et de la décision dans le traitement des plaintes». Une division du travail qui aurait échappé à M. Hond, selon le responsable d’Eco-Matin. D’où sa correspondance au président avec copie aux membres du CNC.
En fait, le conflit entre le SG et le DP est né du processus d’examen par la cellule d’instruction des plaintes du CNC d’une requête déposée par l’homme d’affaires indien Avinash Omprakash Hingorani contre le bi-hebdomadaire Eco-Matin et ses responsables. Dans son édition N° 445 parue le 7 juillet 2021, le journal avait en effet publié une enquête faisant état des traitements inhumains infligés par M. Avinash Omprakash au Cameroun à certains de ses employés d’origine indienne comme lui, en même temps qu’il dénonçait ce qui seraient des pratiques fiscales au moins douteuses. Estimant que le contenu de l’article de Eco-Matin était non-fondé, l’homme d’affaires se plaignait aussi bien devant le CNC qu’auprès du service central des recherches judiciaires de la gendarmerie nationale. L’enquête policière menée par la gendarmerie à la suite de la plainte de M. Avinash Omprakash a abouti au renvoi en jugement de M. Fidieck en procédure de flagrant délit devant le Tribunal de première instance de Yaoundé – centre administratif (voir Kalara N°395).
Lettre d’excuse…
Peu avant ce développement judiciaire, M. Fidieck et deux de ses collaborateurs avaient déjà comparu devant la cellule d’instruction du CNC le 10 août dernier, à la suite d’une convocation signée du président de l’organe de régulation des médias du 31 juillet précédent. Ils étaient allés défendre le contenu de l’article mis en cause par l’homme d’affaires indien. «Cette défense était axée sur la présentation des éléments sur lesquels s’est fondée l’enquête, d’une part, et d’autre part sur les démarches de vérification et recoupement entreprises par Eco-Matin auprès du plaignant des informations sur lesquelles s’est appuyée la publication», écrit M. Fidieck dans la correspondance adressée au président du CNC. Il précise qu’à la fin de son audition, il avait sollicité une confrontation avec le plaignant. Confrontation qu’il attend toujours…
Le 26 août 2021, le dossier Eco-Matin va connaître un rebondissement au CNC. Le directeur de la publication est appelé par le chef de la Cellule juridique de l’institution, qui fait office de cellule d’instruction, pour se présenter au siège du conseil. «Alors que j’espérais participer à la confrontation sollicitée avec la partie plaignante, explique M. Fidieck, je me suis plutôt vu proposer une ‘‘démarche de conciliation’’ à laquelle je souscris pleinement, démarche qui s’inscrivait dans la nouvelle approche du CNC visant à rechercher la conciliation entre les parties, plutôt que de faire du CNC un organisme davantage voué à la répression».
Il ajoute que lors de ce rendez-vous, «dans une démarche expéditive, teintée d’une colère et d’une désinvolture inexplicables, M. le SG m’a signifié qu’après ma première audition, son équipe et lui ont conclu que l’article querellé comportait de graves manquements et que mon journal et moi seraient à coup sûr sanctionnés par le conseil. Il m’a alors proposé, pour échapper à la sanction, de rédiger immédiatement à [l’attention du président du CNC] une lettre pour faire ‘‘amende honorable’’». C’est une proposition que le DP a rejetée, suscitant sans le vouloir les menaces qu’il attribue à M. Jean Tobie Hond.
Instructions du président
Le SG du CNC, que Kalara a contacté, nie toute attitude belliqueuse à l’endroit du DP de Eco-Matin, qu’il dit ne pas connaître, en s’interrogeant sur l’intérêt de cette hostilité alléguée. Il affirme d’ailleurs n’avoir pas assisté à l’instruction du dossier proprement dite, mais reconnaît avoir transmis, comme pour tous les dossiers contentieux examinés par la cellule d’instruction, la fiche récapitulative de l’instruction préparée par ses collaborateurs avec un avis qui concluait à l’insuffisance de la démarche de recoupement faite par le journal avant la publication de son enquête.
C’est le président de l’organe de régulation, explique M. Hond, qui a instruit la démarche de «conciliation» à l’égard de tous les dossiers dont l’instruction avait conclu à une faute à l’égard des professionnels concernés. Et cette démarche devrait passer par un engagement écrit, de la part de chacun, à reconnaître ses erreurs éventuelles en s’engageant à s’amender pour l’avenir. «Je n’ai fait qu’exécuter les instructions du président», explique le SG du CNC, en précisant que sur les trois organes relancés pour faire amende honorable, l’un s’est exécuté sans problème et l’autre n’a pas réagi. Il dit n’avoir pas insisté outre mesure pour que M. Fidieck change sa position. Il dit d’ailleurs avoir conseiller au président de faire droit à la demande du DP de Eco-Matin de se faire auditionner par les membres du conseil réunis en session.
Quoi qu’il en soit, le conseil a décidé à l’unanimité des voix de ses membres de renvoyer l’examen du dossier Eco-Matin à la prochaine session. La collégialité des membres auditionnera le DP à l’occasion. Mais, auparavant, une commission ad hoc de trois membres, présidée par le conseiller Guibaï Gatama, aura refait l’instruction préalable du dossier pour baliser le travail du conseil. C’est en tout cas ce que Kalara a appris de différentes sources internes au conseil. Les cartes sont donc rabattues aussi bien pour l’homme d’affaires indien, le plaignant, que pour le patron de Eco-Matin et ses collaborateurs. Depuis la réorganisation du CNC en 2012, ce n’est pas souvent que les plusieurs professionnels mis en cause ont le privilège d’être entendus par les conseillers eux-mêmes. S’il y a avantage dans l’incident entre M. Fidieck et M. Hond, c’est bien celui de mettre les membres du CNC devant leurs pleines responsabilités.
Ces journalistes sanctionnés par le CNC
1- Affaire entre M. Zoa Zoa Joseph Yves, Chef de Cellule de la Promotion de l’Innovation au ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation, et Conseiller municipal de la Commune de Mbandjock à M. Nsimi Jean Jacques Patrick, le directeur-chef de la radio «Galaxy Fm» et M. Mfomo Zanga Engelbert, son journaliste. Le premier a écopé d’un avertissement et le second d’une suspension d’un mois.
2- Affaire opposant Maître Régine Dooh Collins-Ekollo à «TelegramNEWS» et son Directeur de publication, M. Amba Nicaise Dimitri. Avertissement au DP.
3- Affaire M. Omgba Saint Clément, journaliste à la Radio «Satellite Fm», contre M. Bilinga Akong Come, son confrère de la radio « Magic FM ». M. Omgba a été suspendu de la profession du journaliste au Cameroun pour une durée de deux (2) mois. M. Pie Bruno Omgba, manageur de «Satellite Fm», reçoit un avertissement pour défaut d’encadrement.