Par Jacques Kinene – jkine7@yahoo.fr
«Je n’ai pas détourné les deniers publics. Je n’ai pas été corrompu. Je ne me suis pas livré au blanchiment des capitaux pour obtenir les biens que je possède». Ces propos sont ceux de Edgard Alain Mebe Ngo’o, qui a rejeté en bloc toutes les accusations portant sur les supposés détournements et complicité de détournements des deniers publics, la corruption, le blanchiment des capitaux et la prise illégale d’intérêt qui lui sont reprochés. Il a soutenu que le colonel Mboutou Elle Ghislain, Maxime Léonard Mbangue, Victor Emmanuel Menyé et Bernadette Minla Nkoulou épse Mebe Ngo’o, ses coaccusés, sont également innocents des faits pour lesquels ils sont poursuivis. C’était au cours des deux derniers jours de la première phase de son témoignage qui se tenait devant le Tribunal criminel spécial (TCS) les mercredi 25 et vendredi 27 août 2021.
On se rappelle que lors de ses réquisitions intermédiaires le parquet avait estimé que les nombreux biens accumulés (voir encadré) par Edgar Alain Mebe Ngo’o n’étaient pas proportionnels à ses revenus. C’est la raison pour laquelle le parquet avait estimé que la fortune de ce haut commis provenait des chefs d’accusation mis à la charge de ce dernier. Les représentants du parquet s’appuyaient sur l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction du TCS qui a renvoyé en jugement les cinq personnalités.
Pendant son témoignage Edgar Alain Mebe Ngo’oa donné sa version des faits sur le point que l’opinion attendait et sur lequel l’ancien ministre ne s’était jamais exprimé publiquement depuis son arrestation en 2019, notamment, son immense fortune. Pour sa défense, M. Mebe Ngo’o a expliqué que ses biens n’ont pas une origine douteuse. Pour étayer son argumentaire, il a parlé de sa longue carrière professionnelle. C’est ainsi qu’il a dit avoir bénéficié de nombreux avantages statutaires matériels et financiers qui justifient clairement l’acquisition du patrimoine au centre du procès. D’abord il a indiqué avoir passé 12 ans dans l’administration préfectorale comme préfet de l’Océan à Kribi et du Mfoundi. Ensuite, il s’en est suivi 21 ans de service dans des fonctions de rang ministériel, notamment, plus de 7 ans au poste de directeur du Cabinet civil de la présidence de la République, 5 ans à celui de Délégué général à la Sûreté nationale, 6 ans ministre comme Délégué à la Défense et 3 ans à la tête du ministère des Transports.
Avantages statutaires
Dans la suite de son exposé, l’ancien ministre indique que ces différentes fonctions lui avaient donné droit à des frais de souveraineté, des indemnités pour achat de véhicules de prestige, des frais d’équipement trimestriels, des frais annuels de fonctionnement de l’hôtel particulier, des frais tirés de nombreuses missions à l’étranger. L’accusé a précisé que ces nombreux avantages ont été réinvestis depuis 1985 par sa défunte maman et son épouse, également fonctionnaire, dans des activités génératrices de revenus. Il s’agit de la vente des effets vestimentaires, des activités agricoles, pastorales et piscicoles. C’est dans le cadre de ces activités que Bernadette Mebe Ngo’oa gagné le premier prix au comice agro-pastoral d’Ebolowa à cause de son unité d’huile de palme d’une capacité de production quotidienne de 1000 litres.
Par ailleurs, Mebe Ngo’o cite, entres autres investissements, l’hôtel la Marée, construit en 1993 à l’aide des prêts bancaires, à l’époque où il était préfet de l’Océan à Kribi. En 1997, il note que son épouse Bernadette Mebe Ngo’o avait créé une PME de location de chaises, tentes et chapiteaux. La création de cette structure avait coïncidé avec son passage à la tête de la préfecture du Mfoundi. En 2005, cette PME est devenue une société à responsabilité limitée (Sarl) dénommée «Limousines prestige services». La nouvelle société avait, dit-il, étendu ses activités à la commercialisation des véhicules d’occasion. «Je m’interroge donc sur l’inventaire qui a été effectué sur mes biens dès lors que l’article 66 de la Constitution portant sur la déclaration des biens n’est pas appliqué. Je ne dois rien à l’Etat du Cameroun. Il me semble qu’une hypothèque ne peut être inscrite sur mes biens, surtout pas par le juge d’instruction qui n’a pas la compétence de le faire». Il dénonce le fait que tous ses biens obtenus « sur la base des avantages statutaires et des activités commerciales de son épouse » soient saisis alors qu’il bénéficie encore de la présomption d’innocence. Il se dit victime d’un acharnement inexplicable et parle d’une dérive du juge d’instruction, étant donné que les biens obtenus pendant la période de 2010 à 2015 avant qu’il n’accède aux fonctions de Mindef ont également été saisis.
S’agissant du débat portant sur les détournements et la complicité de détournements des deniers publics, l’ancien Mindef a dit que les dépenses des marchés publics faisaient l’objet de vérification préalable du contrôleur financier, le juge de la conformité de la dépense publique. Il a précisé que les bons d’engagement étaient signés du Mindef, ordonnateur des dépenses et du contrôleur financier avant le paiement à trésorerie générale. La liasse des documents ayant permis ces paiements est aussitôt, dit-il, transmise à la Chambre des Comptes qui les archive.
Cet argument a été corroboré par les témoignages des anciens trésoriers payeurs devant le juge d’instruction. M. Mebe Ngo’o s’indigne du fait, d’une part, que l’accusation refuse de demander à la haute juridiction lesdites pièces devant participer à la manifestation de la vérité d’autre part, que les responsables du Ministère des Finances et de l’Agence nationale d’Investigation financière ne comparaissent pas pour soutenir leurs accusations devant la barre. Il déclare que l’Anif a été saisi sur la base des déclarations mensongères et que le rapport bâclé de la brigade financière de Paris est un mensonge. L’ancien ministre a soutenu n’avoir jamais fait l’objet d’une procédure devant le Conseil de Discipline budgétaire et financière, chargé de sanctionner les irrégularités et fautes de gestion commises par des ordonnateurs et gestionnaires des crédits publics et des entreprises publiques. «Ce procès est entaché d’incongruités et absurdités arithmétiques. Dans le but d’émouvoir l’opinion nationale et internationale, l’accusation a gonflé les montants qui me sont imputés ainsi que mes coaccusés. Les fonds que l’accusation nous réclame ne sont pas sortis des caisses de l’Etat», a-t-il déclaré. Il a ajouté que les prestataires nationaux et internationaux ont été régulièrement désintéressés ce qui veut dire que les fonds querellés n’ont pas été détournés, d’après lui, par des accusés.
«Limousines Prestiges Services»
En ce qui concerne le blanchiment des capitaux, Edgar Alain Mebe Ngo’o s’étonne que l’accusation manque de précision et utilise le terme approximatif pour désigner le montant qui lui est imputé dans cette infraction aussi grave que le financement du terrorisme. Il a déclaré que cette infraction n’est pas autonome étant donné qu’elle est souvent liée à celles de détournement des deniers publics, de la corruption et la vente des drogues et stupéfiants qui ne sont pas constitués dans cette affaire, d’après lui. L’ancien ministre a indiqué en outre que «Limousines Prestige Service» dont les biens ont été «abusivement saisis» n’est pas partie à ce procès et est une personnalité morale différente de son épouse. Il a ajouté que c’était pour des raisons sécuritaires que le choix a été porté sur cette structure pour l’organisation de toutes les cérémonies militaires présidées par le Président de la République ou par le ministre délégué à la Défense. Il explique qu’il fallait s’assurer du matériel utilisé au cours de ces cérémonies délicates pour éviter tout acte terroriste étant donné que le Cameroun était en face des menaces de la piraterie maritime dans la région du Sud-Ouest, les attaques armées dans la région de l’Est par des factions rebelles en provenance de la République centrafricaine, le braconnage armé dans le septentrion en provenance du Soudan et la secte terroriste Boko Haram.
Après cette première phase du témoignage de l’accusé, ce dernier va maintenant faire face au contre interrogatoire de son coaccusé Victor Emmanuel Menyé et surtout des magistrats du parquet et des avocats de l’Etat du Cameroun. Une phase qui promet certainement des étincelles compte tenu des enjeux de ce procès.
Rappelons que M. MebeNgo’o passe en jugement devant le TCS aux côtés de son épouse Bernadette MinlaNkoulo, du colonel Mboutou. Elle de l’inspecteur du trésor Ghislain Maxime Léonard Mbangue et du banquier Victor Emmanuel Menyé. Ils doivent s’expliquer sur un supposé détournement de plus de 200 milliards de francs. L’affaire revient les 19 et 30 octobre 2021.
53 immeubles, 39 véhicules et 21 comptes bancaires
Dans l’ordonnance de renvoi le juge d’instruction liste pour le couple 53 immeubles dont 18 dans le Mfoundi, 15 dans le Dja-et-Lobo, 9 dans l’Océan, 7 dans le Mefou-et-Afamba, 3 dans la Mvila ainsi qu’1 à Aubervilliers, en France. A ces immeubles, s’ajoutent 21 comptes courants dans lesquels plus de 300 millions de francs auraient été gelés.Le juge recense également 39 véhicules et engins lourds, notamment douze Mercedes, quinze Toyota, une Lexus, une fourgonnette Renault, deux Peugeot, deux Nissan, quatre Volkswagen et deux Caterpillar. Source : ordonnance de renvoi.