Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
Les jours se suivent et semblent se ressembler pour M. Cyrus Ngo’o. A peine une dizaine de jours après sa condamnation pour «abus de pouvoir» notamment par le Tribunal de première instance (TPI) de Douala – Bonanjo à six mois de prison avec sursis pendant cinq ans et à de lourds dommages et intérêts dans une procédure l’opposant à une homme d’affaires d’origine libanaise, l’actuel Directeur général (DG) du Port autonome de Douala (PAD) fait aujourd’hui l’objet d’une attention particulière du corps des officiers de police judiciaire (OPJ) du Tribunal criminel spécial (TCS). Depuis le 13 août 2021, l’homme est destinataire d’une lettre-convocation de cette unité de police rapidement devenue culte sur les réseaux sociaux. Il est invité à s’y présenter dès ce mercredi, 18 août 2021, «en qualité de suspect».
Placé au-devant de la scène médiatico-judiciaire depuis que, malgré lui, il est devenu la vedette d’un bras de fer qui oppose l’Etat du Cameroun aux actionnaires de référence de Douala International Terminals (DIT), la société concessionnaire de la gestion du Terminal à conteneurs (TAC) du port de Douala, M. Ngo’o connaît sans doute les moments les plus difficiles de sa carrière de DG du PAD. Comme certains de ses trois derniers prédécesseurs (Alphonse Siyam Siwé et Dayas Mounoume notamment), il est appelé à se justifier à son tour des accusations portant sur sa gestion des ressources de l’organismes portuaire. D’après les informations de Kalara, c’est une dénonciation parvenue on ne sait trop comment pour le moment entre les mains du procureur général près le TCS qui est à l’origine de ses malheurs judiciaires.
25,4 milliards de francs
En effet, selon diverses sources concordantes, l’enquête policière qui est à l’origine de la comparution annoncée de M. Cyrus Ngo’o ce mercredi devant les OPJ du TCS a été déclenchée par M. Lazare Atou, huissier de justice en attente de charge, très connu dans certains milieux comme gestionnaire controversé des actifs résiduels des liquidations de l’ex-Régie nationale des Chemins de fer du Cameroun (Rncf) et de l’ex Office national des Ports du Cameroun (Onpc, ancêtre des ports autonomes du Cameroun). La dénonciation en question concerne la mise en œuvre d’un marché spécial «pour la sécurisation du périmètre et de contrôle des accès du Port de Douala». C’est un marché attribué le 13 avril 2018 à travers une procédure de gré à gré à une discrète société dénommée Portsec SA. D’un montant (semble-t-il initial) de 25,4 milliards de francs (net à payer) environ, ce marché porte la signature de M. Ngoh Ngoh Ferdinand, secrétaire général de la présidence de la République.
Qu’est-ce qui justifie que M. Cyrus Ngo’o se retrouve à devoir subitement répondre dudit marché devant la police judiciaire ? Les sources de Kalara laissent entendre que la dénonciation de M. Atou attribue au DG du PAD quelques paiement douteux effectués en faveur de Portsec SA dans un compte ouvert dans un paradis fiscal, précisément dans les livres de la Volksbank Aktiengesellschaft au Liechtenstein. Problème : deux ordres de paiement d’un montant identique de 2 milliards de francs, le premier, signé le 26 octobre 2018 à partir du compte du PAD ouvert dans les livres d’Afriland First Bank, le second, le 22 janvier 2019, depuis un autre compte bancaire du PAD ouvert cette fois à la Société général de Banques (SGC) à Douala ont exactement le même motif : «paiement avance 1 du décompte de l’avance de démarrage suivant marché spécial […] du 13 avril 2018». Cette identité de motif est vu par le dénonciateur comme un «double paiement» d’une même prestation, assurent les sources de Kalara.
La question est incontournable ? De quoi se mêle M. Lazare Atou de la gestion financière du PAD et comment a-t-il été tenu informé des deux ordres de paiement sur lesquels M. Cyrus Ngo’o devrait s’expliquer ? Concernant cette dernière question, Kalara n’a pas reçu de réponse. Mais la curiosité suscitée par première interrogation conduit à découvrir que le Dg et l’huissier de justice ne sont pas les meilleurs amis du monde. Selon certaines sources, M. Atou en voudrait à M. Ngo’o d’avoir manœuvré avec succès pour que soient reversés dans le patrimoine du PAD les actifs résiduels de l’ex Onpc. Il s’agit d’un important capital matériel qui a nourri de nombreux appétits depuis 1998 et sur lequel l’huissier de justice a régné sans partage pendant de nombreuses années. De toutes les façons, les motivations de M. Atou et son intérêt direct par rapport à la gestion financière du PAD sont de peu d’importance aujourd’hui, dès lors qu’une procédure judiciaire pénale peut être déclenchée même par une dénonciation anonyme…
Essimi Menye
Pour autant, le fait que M. Atou Lazare soit le dénonciateur dans la procédure en cours n’est pas regardé de façon anodine dans les milieux politico-judiciaires. Présenté (à tort ou à raison) comme un proche du ministre d’Etat en charge de la Justice, M. Laurent Esso, l’huissier de justice a la réputation d’être lui-même pour le moment tout au moins, un intouchable de la justice. Il a survécu à toutes les suspicions faites sur sa propre gestion pourtant sujette à de multiples controverses des actifs résiduels des grandes entreprises publiques dont l’ex-Onpc. Mieux, certains de ceux qui ont essayé jusqu’ici d’abréger son mandat de gestionnaire desdits actifs ont été broyés par la machine judiciaire. C’est le cas de l’ancien ministre des Finances, M. Essimi Menye. Exilé aux Etats-Unis d’Amérique depuis quelques années, ce dernier est sous le coup de trois condamnations à vie toutes prononcées contre sa personne par le TCS.
Mais, au-delà de M. Cyrus Ngo’o, qui est désigné comme suspect par les enquêteurs du Corps spécialisé des OPJ du TCS, certains voient en la personne du ministre d’Etat Ngoh Ngoh, la cible éloignée de la dénonciation de M. Atou. Signataire du marché spécial controversé du 13 avril 2018, le secrétaire général de la présidence de la République apparaît depuis quelques années comme le vrai dirigeant du PAD. Ses instructions régulières adressées au DG de l’organisme portuaire «d’ordre du président de la République», éclipsent désormais presque totalement la tutelle technique (ministère des Transports), la tutelle financière (ministère des Finances) et le conseil d’administration du PAD, dans leurs rôles respectifs.
Quoi qu’il en soit, la gestion des marchés du PAD, qui a toujours aiguisé des appétits, depuis l’instauration officieuse d’un régime spécial au sein de l’entreprise, fait de l’érection des régies comme le moyen de récupération (en violation de la loi) de la gestion par l’organisme public des activités marchandes du port de Douala pourtant destinées à la concession en faveur des privés, n’est pas pour apporter la sérénité aux gestionnaires actuels du PAD. Pour l’heure, bien qu’aucune procédure judiciaire pénale ne puisse en principe être déclenchée devant le TCS contre le patron d’une entreprise publique de première catégorie comme le PAD sans l’accord du président de la République lui-même, il est peu probable que la liberté de M. Cyrus Ngo’o fasse l’objet de restriction (garde à vue) du fait des OPJ du TCS tant qu’il est en poste comme DG.