Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Pendant que les débats sur le second procès intenté contre Bruno Bekolo-Ebe tardent à démarrer devant le Tribunal criminel spécial (TCS), l’examen de la régularité ou non de la décision du Conseil de discipline budgétaire et financière (Cdbf), prise le 17 janvier 2014, et qui fonde ces poursuites judiciaires a été amorcé au Tribunal administratif (TA) de Yaoundé le 17 octobre 2020.
Le célèbre enseignant d’économie a, en effet, saisi le Tribunal administratif d’un recours pour solliciter l’annulation de la décision du Cdbf lui imputant 27 fautes de gestion prétendument constatées dans sa gestion de l’Université de Douala lorsqu’il occupait le fauteuil de recteur, et ayant eu une incidence financière de 2,4 milliards de francs au cours de la période allant de 2007 à 2010. Embastillé à la prison centrale de Yaoundé depuis trois ans, M. Bekolo-Ebe a pris part aux débats, et pendant lesquels le représentant du Consupe est apparu comme à court d’arguments. L’examen du dossier se poursuivra ce 17 novembre.
Dans cette affaire, une mission de vérification du Contrôle supérieur de l’Etat (Consupe) avait été dépêchée à l’Université de Douala en 2010 en vue d’éplucher la gestion de cet établissement universitaire. Cette mission avait décelé de supposées irrégularités financières et comptables imputées à certains responsables de l’Université de Douala parmi lesquels M. Bekolo-Ebe. Ce dernier sera ensuite traduit au Cdbf où, outre les griefs déjà soulignés, il a écopé d’une «amende spéciale» de 2 millions de francs et d’une interdiction d’exercer une fonction publique pendant 5 ans.
Rapport caché
Selon M. Bekolo-Ebe, le rapport du Consupe à l’origine de la décision du Cdbf critiquée est truffé de nombreuses irrégularités. Un argumentaire que ces avocats ont développé de manière identique dans leurs plaidoiries. En effet, au rang des irrégularités, l’ancien recteur relève, entre autres, que les missionnaires du Consupe ne l’ont jamais invité à venir se justifier en violation du principe du contradictoire. Il fustige en outre la «formulation floue de l’accusation» : «absence de pièces justificatives ou pièces justificatives insuffisantes». On lui impute aussi maladroitement la gestion de certains de ses anciens collaborateurs, doyens de facultés et directeurs d’établissements. «Le premier problème dans ce dossier est que nous avançons à la sauvette. Je ne suis même pas en capacité totale de me défendre. Je n’ai pas vu le rapport du Consupe. Même au Cdbf ; on me disait qu’il est destiné au président de la République.»
L’ancien recteur se plaint en plus de ce qu’on lui «demande d’assumer la culpabilité» de certains doyens et chef d’établissements au moment des faits. Il explique que dans une université publique, le recteur est l’ordonnateur principal des dépenses, les doyens des facultés et directeur de grandes écoles étant des «ordonnateurs délégués». Les tâches sont reparties entre ces responsables. Et le budget indique les dépenses spécifiques à chaque établissement et les dépenses communes. Les dépenses communes sont du ressort du recteur.
Le plaignant a étayé son argumentaire avec des dispositions légales et réglementaires. «Je ne suis pas juriste, mais à mon petit niveau, je crois que les choses sont claires sur qui doit faire quoi», a-t-il indiqué. Avant de poursuivre: «ce n’est pas parce qu’on est recteur qu’on gère le budget seul. Le chef d’établissement n’a pas besoin de l’autorisation du recteur pour engager ses dépenses. Le recteur prend connaissance de la gestion des chefs d’établissement au moment de la confection du compte administratif.» Le plaignant trouve que les agents du Consupe ont brillé par une méconnaissance des textes régissant les universités publiques. «Je mets au défi le Consupe de sortir un seul dossier où j’avais signé dans le chapitre d’un établissement.» M. Bekolo-Ebe va ajouter que la décision du Cdbf n’indique pas non plus dans quel établissement de l’Université de Douala il aurait commis les prétendues fautes de gestion. «Chaque fois, il m’a été opposé un chiffre global de 950 millions de francs. Il s’agit d’avancer les yeux bandés à l’abattoir.»
«Trois sacs de pièces…»
Concernant le grief du défaut de pièces justificatives, l’ex-recteur a précisé que c’est l’agent comptable de l’université qui est le «gardien des pièces comptables». Il indiquera que toutes les pièces des dépenses effectuées à l’université sont soumises au contrôle préalable du contrôleur financier qui vérifie leur régularité. De plus, le comptable est tenu de déposer sa comptabilité à la Chambre des comptes. Avant de présenter au tribunal les copies des arrêts rendus par la haute juridiction sur la gestion de l’Université de Douala entre 2004 et 2010. «C’est pour dire que le compte de gestion ne peut pas être produit et jugé s’il n’y a pas de pièces justificatives.»
Pendant son intervention, le représentant du Consupe s’est montré confus devant la plupart des questions que le tribunal lui a posée. Il n’a cessé de déclarer que le Cdbf s’intéresse uniquement à «la phase administrative de la dépense». Il indiquera que l’ex-recteur a cosigné des chèques de retrait de fonds alors qu’il n’avait pas qualité. «Où sont ces chèques ? Est-ce que vous pouvez apporter ces pièces ?», interrogera le tribunal. «J’avoue que je prends le dossier en cours. L’aîné qui a commencé le dossier en 2014 a dû les verser. Je me contente des mémoires qu’il a rédigés», répondra le représentant de l’Etat. L’ex-recteur va réagir en indiquant avoir versé «trois sacs de pièces» au Cdbf et dont la confrontation a permis de démontrer que toutes les opérations décriées ont une trace dans le livre comptable de l’université.
M. Bekolo Ebe va raconter que Luc Ebe Ebe, son défunt frère cadet, avait été impliqué dans un scandale de détournement alors qu’il occupait les fonctions de caissier principal à l’Université de Douala en 2010. Il a été condamné avec d’autres personnes au TGI du Wouri puis est mort en détention en juin 2011 [Notre édition 277 parue le 17 décembre 2018]. Mais la mission du Consupe dépêchée à l’université à la suite de cette affaire a implicitement considéré que le recteur Bekolo-Ebe avait une implication personnelle dans cette affaire. «C’est les mêmes montants qu’on m’impute au TCS», a dit l’ex-recteur.