A cause de la Tabaski, fête musulmane célébrée le 20 juillet dernier, le dénouement de certaines affaires de «l’Opération épervier» a d’office été ajourné à la Cour suprême, la journée ayant été déclarée férié et chômé au Cameroun. On peut citer pour les plus connues, l’une des batailles judiciaires opposant l’Etat du Cameroun à Polycarpe Abah Abah, l’ex-ministre de l’Economie et des Finances, de celle mettant aux prises le ministère public à Paulin Abono Moampamb, l’ancien maire de la commune de Yokadouma dans le département de la Boumba et Ngoko.
En fait, il y a deux mois, le 11 mai, la Section spécialisée de la haute juridiction qui juge en dernier recours les affaires de détournement de fonds publics a estimé que ces dossiers étaient en état de connaître un examen final.
La Section spécialisée avait prévu rendre le verdict dans l’affaire dite remboursement des crédits TVA après d’intenses débats le 11 mai dernier. Dans cette procédure, on fait le reproche à M. Abah Abah d’avoir, en avril 2000 lorsqu’il occupait le poste de directeur des Impôts déplacé les fonds destinés au remboursement des crédits TVA de la BEAC (Banque des Etats de l’Afrique centrale) vers la Commercial Bank Cameroon, puis dans son compte bancaire personnel logé dans ladite banque. Ce qui a entraîné le détournement allégué de 1,8 milliard de francs. L’ex-ministre s’est toujours défendu en expliquant que c’est la banque qui avait d’autorité effectué le virement décrié à son insu et l’a ensuite effacé et annulé. Le 11 mai 2000, la CBC lui a plus tard présenté des excuses dans une correspondance dans laquelle elle endossait toute responsabilité à propos de cette affaire [Kalara N°389]. Le 3 novembre 2016, M. Abah Abah avait écopé de 20 ans d’emprisonnement devant le Tribunal criminel spécial.
Après trois reports, l’affaire dite Paulin Abono Moampamb est passée à un doigt de connaître son dénouement final le 11 mai dernier. Ce jour-là, le conseiller-rapporteur, le haut magistrat qui a préalablement analysé le dossier pour le compte de la cour, a débuté la lecture de son rapport. Une phase qui précède habituellement les dernières observations des parties dans la procédure. Mais à peine avait-il lu les premières phrases de son document, il était brusquement interrompu par le président de la collégialité des juges. Ce dernier faisait remarquer qu’une partie au procès, notamment le ministère de l’Administration Territoriale, partie civile dans la procédure jusque-là, n’a pas été formellement informée de la date de la tenue de cette audience. Un «obstacle technique», a-t-il qualifié, en suspendant l’examen du dossier.
Aux côtés de ses deux compagnons d’infortune, M. Abono Moampamb, tout de blanc vertu, va brièvement expliquer à la Cour que depuis que cette affaire a démarré au Tribunal de grande instance (TGI) du Boumba et Ngoko en 2008 en passant par la Cour d’appel de l’Est, le ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation de l’époque n’a honoré aucun rendez-vous. Une manière de dire à mots couverts que la situation ne changera pas devant la Cour suprême. Et précisait que depuis 2018, le ministère de l’Administration Territoriale n’est même plus la tutelle des mairies pour continuer d’être présenté comme partie civile, cette compétence incombe désormais au ministère de la Décentralisation et du Développement local.
Malgré les allégations de l’ex-maire, la cour n’est pas revenue sur sa position. Le greffier était instruit de citer concurremment la mairie de Yokadouma et le ministère de la Décentralisation et du Développement Local comme partie civile. Et l’affaire était renvoyée au 20 juillet, une date considérée par la cour comme un «délai raisonnable». Un rendez-vous qui ne sera finalement pas respecté à cause de la fête du mouton.
Rappelons que Paulin Abono Moampamb, fraîchement débarqué du poste de secrétaire d’Etat au ministère des Travaux publics, était écroué à la prison principale de Yokadouma le 13 mars 2008 pour s’expliquer devant le TGI de la Boumba et Ngoko sur six chefs d’accusation en rapport avec sa gestion à la tête de la mairie de Yokadouma entre 2002 et 2007. On lui imputait une coaction de détournement présumé de 1,2 milliard de francs. Un supposé forfait réalisé en compagnie de certains de ses anciens collaborateurs à travers le «détournement d’un excédent budgétaire» de 250 millions de francs, le non-reversement de la taxe sur la valeur ajoutée ainsi que des cotisations sociales des personnels de la mairie, des irrégularités dans la gestions des fonds issus de la redevance forestière, la violation des procédures de passation de marchés publics, l’émission des mandats en régularisation.
En août 2011, M. Abono Moampamb écopait de 30 ans de prison ferme. Le 24 mai 2012, le jugement était partiellement annulé devant la Cour d’appel de l’Est qui a raccourcis la durée de la peine à 12 ans d’emprisonnement et ne retiendra qu’une seule infraction : le détournement présumé de 151 millions de francs par l’émission de mandat en régularisation. Depuis le 19 mars 2020, l’ex-maire a recouvré sa liberté de mouvement après avoir passé 12 ans derrière les barreaux. La bataille judiciaire qui l’oppose à l’Etat attend toujours un dénouement final.