Le ministère public est sans pitié pour les faussaires. En tout cas, le 6 mai dernier, il a requis la condamnation de cinq personnes en jugement devant le Tribunal criminel spécial (TCS) pour appartenance présumée à un réseau spécialisé dans la perception indue des salaires des fonctionnaires en usurpant le nom et le matricule solde des concernés à l’aide de fausses cartes nationales d’identité. C’était lors de la présentation de son réquisitoire final dans cette procédure. Les plaidoiries de la défense sont programmées le 10 juin 2021.
Pendant plus d’une heure, le ministère public a cherché à faire «comprendre cette fraude» en exposant le fond de l’affaire. Il indique que c’est une dénonciation adressée au Premier ministre en 2017 par Jean Paul Mbarga Owona, enseignant de français au lycée de Makaï dans la région du Centre, qui a mis le feu aux poudres. Alors que l’intéressé attendait l’issue d’une requête introduite au ministère de la Fonction publique en 2015 pour faire rectifier une «erreur matérielle» qui s’est glissée sur son nom, il apprenait qu’un tiers usait du nom mal écrit à l’aide duquel il a obtenu un matricule solde et avait touché un salaire d’un montant global de 6 millions de francs accompagné d’un prêt bancaire. Le faussaire passait pour un enseignant en fonction au lycée de Kakataré près de Maroua.
Pour opérer, les faussaires dérobaient les bons de caisse en souffrance à la Trésorerie général (TG) de Yaoundé et se faisaient fabriquer des cartes nationales d’identité avec le nom des titulaires des bons comportant leur visage. «Ils admettent avoir utilisé une fausse identité pour spolier l’Etat, mais se refusent de reconnaître l’étendu du préjudice», a indiqué le ministère public [lire Kalara N°369].
Cerveau de la fraude
En effet, Nathan Eba Ndzana, cadre au ministère des Sports, reconnaît avoir usurpé le nom de Willy Dogmo Djiofack. On lui impute un supposé détournement de 11,6 millions de francs. Thomas Edili Omam, agent d’entretien à la BEAC, avoue avoir frauduleusement porté le nom de Marcel Nguia. Il répond d’un détournement présumé de 21,2 millions de francs. Elisabeth Mouale passait pour Véronique Eye Ngono. Elle répond d’une supposée distraction de 10,4 millions de francs. Claudine Chanase Seleck passe en jugement pour 26,7 millions de francs pour avoir supposément empoché le salaire de Angèle Odette Atanga. L’accusation évalue le préjudice subi par l’Etat à 73 millions de francs enregistré entre 2013 et 2017.
Le cinquième accusé, Simon Pierre Ambole, était en fonction à la Trésorerie générale (TG) de Yaoundé au moment des faits. On l’indexe comme celui qui dérobait puis fournissait aux membres du réseau les bons de caisse querellés. Pour le ministère public, «il ne fait aucun doute que Simon Pierre Ambole est le véritable cerveau de l’entreprise criminelle […] Il est celui qui encaissait indirectement, mais en toute connaissance de cause, le fruit du détournement pour en rétrocéder une partie aux autres membres». Selon lui «il s’agit bel et bien d’une obtention frauduleuse des deniers publics évalués à 73 millions de francs». Il a enfoncé le clou en disant que la fraude décriée «n’aurait pas connu le succès sans la participation active d’une personne ayant une parfaite connaissance de la Trésorerie générale de Yaoundé dans laquelle étaient entreposés les bons de caisses» litigieux.
Pour noircir M. Ambole, le ministère public s’est appuyé sur les déclarations faites par ses coaccusés. Or l’article 311 du Code de procédure pénale dispose que «le tribunal ne peut fonder sa décision sur la déposition d’un coprévenu, à moins qu’elle ne soit corroborée par des témoignages d’un tiers non impliqué dans la cause ou par un autre moyen de preuve». Pour battre en brèche cette éventuelle défense, a-t-il indiqué, «Nous avons produit les procès-verbaux des auditions qui constituent des moyens de preuves écrites distinctes de la preuve testimoniale administrée devant vous par les accusés déposant comme témoin sous serment».
Rappelons que les accusés sont en détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé. Dans cette affaire l’accusation a exclu du procès les fonds issus des prêts bancaires obtenus par les accusés sur la base des matricules querellés. Des fonds que la parquet a qualifiés de «patrimoine privé des banques».
Louis Nga Abena