Par Emile Kitong – ekitong@gmail.com
«Logiquement, je n’attends (…) rien qui me soit favorable dans cette seconde procédure. Ce que j’ai vu et entendu pendant huit ans ne me permet pas de rêver». Ce propos est le dernier tenu le 12 août 2024 par M. Amadou Vamoulké, ancien Directeur général de la Cameroon Radio Television (Crtv), en clôture de sa défense lors de son procès, le second, devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Le journaliste s’exprimait à la suite des deux derniers avocats de la défense qui venaient de plaider la cause de leurs clients respectifs. Il a d’ailleurs été le seul accusé à saisir la perche tendue par le trio des juges pour dire un dernier mot juste avant que ces derniers déclarent la fin des débats dans cette procédure. Et ce fut pour dire qu’il a perdu toute confiance en la justice camerounaise après 8 ans de procédures et de bagne (lire l’intégralité de son propos ci-dessous). On saura, le 28 août prochain, l’écho que les juges renvoient à ce désaveu public de la justice, puisque l’affaire a été mise en délibéré pour que le tribunal se prononce sur la culpabilité des mis en cause à cette date-là.
La dernière phase des débats dans cette procédure où M. Amadou Vamoulké et ses coaccusés répondent d’une accusation de détournement de deniers publics d’une valeur globale de 15 milliards de francs avait démarré le 02 mai 2024 par les réquisitions du procureur général. Mais, 24 heures plus tard, Mme Siewe, le seul membre du trio des juges à avoir été présent à toutes les audiences de l’affaire depuis l’ouverture du procès en 2019, était décédée. Ce décès subit a, d’une manière ou d’une autre, impacté la procédure au-delà de la tristesse qui va avec. D’autant qu’elle a été retardée d’au moins trois mois, la présidente de la juridiction étant obligée de réaménager le collège des juges. Confiant ainsi la conduite du procès à un collège des juges dont aucun n’a assisté aux débats depuis leur ouverture, mais qui se retrouvent en position de la trancher. C’est une violation de la loi que Me Pondi Pondi, conseil de M. Amadou Vamoulké, dénonce avec vigueur, soutenant que cette situation devrait déboucher à la remise en liberté de son client.
Plaidoiries laconiques
Dans cette affaire dont les débats ont débuté en 2019, soit plus de 4 ans d’audiences publiques, les avocats ont tous été sobres et concis dans leurs plaidoiries, signe probable que le dossier n’était pas aussi dense que laissent croire le nombre des chefs de poursuite, huit au total, le nombre total des audiences et le montant des sommes en cause. D’ailleurs, dans ses réquisitions finales, le parquet avait donné le ton, résumant l’affaire sans véritablement faire allusion aux débats, excepté pour contester l’authenticité de certains éléments de preuve transmis au tribunal par les accusés ; pièces à convictions qu’ils avait paradoxalement trouvée authentiques, c’est-à-dire conforme à la loi, au moment de leur admission dans le dossier des juges. Le parquet s’était cramponné à sa position initiale, sauf s’agissant du montant du détournement allégué à travers l’un des chefs d’accusation, pour demander la condamnation de tous les mis en cause pour détournement des deniers publics.
En faisant leurs observations à la suite des réquisitions finales du parquet général, à l’audience du 05 août 2024, soit trois mois plus tard, les avocats du ministère des Finances (Minfi) et celui de la Crtv se sont montrés tout aussi laconiques que le procureur général. Ils se sont tous associés aux réquisitions finales en se gardant la plupart du temps d’évoquer les débats, ces derniers constituant en grande majorité de vigoureuses contestations des affirmations faites au début du procès par l’unique témoin de l’accusation, l’expert-comptable Isaac Joël Bela Belinga, dont le rapport d’audit financier et comptable commandé par M. Charles Ndongo, le successeur de M. Vamoulké à la direction générale de la Crtv, constitue l’élément déclencheur du procès. D’ailleurs, sur la plus grosse accusation de cette procédure, relative à un prétendu détournement de la somme de 10,663 millions de francs, les avocats de l’Etat se sont contentés du silence…
Cette accusation monumentale repose justement sur les déclarations jamais étayées de M. Bela Belinga. Tout en reconnaissant n’avoir jamais mis les pieds à la Trésorerie générale de Yaoundé où se trouve logé le compte de la redevance audiovisuelle (RAV), l’expert-comptable controversé avait dit avoir constaté deux transactions financières importantes suspectes, parce que non renseignées selon lui dans les livres comptables de la Crtv. C’est ce qu’il avait qualifié de détournement de deniers publics. Le Minfi, qui a constitué jusqu’à trois avocats dans ce procès, n’a jamais produit les pièces attestant des transactions financières alléguées à la Trésorerie générale de Yaoundé, pourtant un de ses services, en dépit des promesses plusieurs fois faites par ses conseils.
Trésorerie générale
Mais en face, les accusés, dont M. Vamoulké et ses anciens collaborateurs dont notamment Mme Ngamva Lucie, ancienne directrice des affaires administratives et financières (DAF), et M. Abel Gara, ancien sous-directeur de la comptabilité et des finances, avaient unanimement contesté les faits portés à leur charge, estimant que les prétendues transactions financières en cause leurs étaient totalement étrangères, des «opérations internes au Trésor public», disaient-ils. Et dans le cadre de leurs défenses respectives, les accusés, particulièrement M. Gara, avaient présenté au tribunal des extraits certifiés du compte de la RAV mettant en exergue les écritures comptables en rapport avec l’accusation, effectivement des écritures de la Trésorerie. Des pièces publiquement discutées et unanimement admises comme authentiques et d’ailleurs authentifiées par la Crtv elle-même…
Mieux, M. Gara obtenait le témoignage d’un comptable public expérimenté, l’inspecteur principal du Trésor, M. Assengue Joseph, ancien chef de service de la centralisation des états comptables à la TGY. Et ce dernier fut sans nuance pour dire que les responsables de la Crtv n’étaient en rien concernés par les écritures querellées, soit un solde des sorties (8,563 milliards de francs) opérées par la TGY dans un ancien compte (4705340) et reporté dans un nouveau compte (4201007000), d’une part, et une sortie financière (1,910 milliard de francs) compensée par une entrée du même montant le même jour. Tout en reconnaissant n’avoir jamais audité le compte de RAV à la Trésorerie générale de Yaoundé, M. Bela Belinga avait dit avoir débusqué des malversations financières dans cette administration où il n’a jamais mis les pieds au cours de ses travaux controversés.
De toutes les façons, les avocats de tous les accusés ont fait chorus dans leurs plaidoiries pour dire l’absurdité de l’accusation sur tous les chefs d’accusation. Certains se sont étonnés que les accusés comparaissent alors que l’accusation n’a jamais été en mesure de démontrer les faits mis à leur charge. D’autres ont mis en exergue les pièces comptables déclarées inexistantes dans la comptabilité de la Crtv, ce qui constituait un détournement de deniers publics pour l’expert-comptable, mais des pièces comptables dont les copies certifiées conformes par la Crtv elle-même, sur la base des originaux classés à la comptabilité de l’entreprise, ont été présentées au tribunal pour plus de 525 millions de francs…
Attention soutenue
La même impression de légèreté de l’accusation a été soulignée dans les plaidoiries de la défense au sujet de l’accusation de détournement de presque 879 millions de francs, une somme dépensée pour l’acquisition des droits de retransmission de la Can 2010, dont tous les images de tous matches furent diffusées. Un fait que M. Bela Belinga trouve insuffisant, parce que la comptabilité n’aurait pas établi avec le fournisseur une attestation de service fait… Bis repetita concernant une autre accusation de détournement de 2,14 milliards de francs, par effacement de certaines créances compromises de la Crtv, loin des regards du conseil d’administration et de la commission financière, alors qu’un procès-verbal du conseil d’administration attestant du contraire avait été admis comme pièce à conviction par le tribunal.
Parmi les avocats constitués pour les parties au procès, l’un a fait sensation par une plaidoirie particulièrement captivante par l’agencement des faits et des arguments de droit en faveur de son client, l’un des coaccusés de M. Vamoulké. Me Diane Tchamologne, puisqu’il s’agit d’elle, a réussi l’exploit de retenir, d’un bout à l’autre de sa plaidoirie, l’attention soutenue de tous les acteurs judiciaires (magistrats et avocats) dont certains se sont surpris à opiner parfois de la tête pour apprécier une phase de la démonstration. Alors qu’elle plaidait sur des faits suffisamment graves qui ont entrainé la mort de l’un des accusés en prison (M. Mbiaga Jean-Pierre), l’avocate de M. Gara a réussi à faire sourire d’admiration tous ceux qui l’écoutaient.
Les juges pourront-ils gardé cette bonne humeur par leur décision attendue le 28 août prochain sur la culpabilité ou non des mis en cause, en les acquittant tous ? M. Amadou Vamoulké a déjà donné la réponse pour ce qui le concerne. Tous en se disant innocent, l’ancien DG n’attend rien du verdict annoncé.