Un couple policiers rétrogradés pour avoir dénudé une gamine

Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr «Même un criminel pris en flagrant délit mérite d’être traité avec un minimum de dignité.» C’est un représentant de la Délégation générale à la Sûreté nationale (Dgsn) qui rappelle ce principe des droits de l’homme à la barre du Tribunal administratif (TA) du Centre. Il tente à travers cette explication de convaincre les juges de rejeter le recours de M. Koumnde Likeng Jules Apollinaire qui sollicite l’annulation du décret présidentiel ayant retiré une étoile dorée sur ses épaulettes de commissaire de police. Or, la procédure disciplinaire couronnée par le décret attaqué est émaillée de multiples irrégularités, selon le plaignant, car les «droits de la défense» n’ont pas été respectés. Daté du 30 janvier 2019, le décret en question est exactement libellé comme suit : «[inflige] la sanction d’abaissement de grade à M. Koumnde Likeng Jules Apollinaire, commissaire de police principal, pour indélicatesse commisse dans la vie privée et préjudiciable au renom de la police et usage abusif d’une arme de service. Faits commis le 14 mars 2017. Ramené immédiatement au grade de commissaire de police de 9 e échelon ». Un jour plus tôt, le 29 janvier, son épouse, la nommée Mvogo Afana Mireille Joceline, également commissaire de police principal au moment des faits, avait essuyé un sort légèrement identique. Dans le décret signé ce jour, le chef de l’Etat lui a infligé la sanction d’«abaissement d’échelon» pour les mêmes griefs reprochés à son mari, excepté l’usage abusif d’une arme. Les époux ont séparément attaqué les actes présidentiels. Tir de sommation C’est la plainte de M. Koumnde Likeng qui a été examinée devant le TA du Centre le 2 mai 2023. Les malheurs du couple en tenue résultent en effet de ce que ces époux auraient interpelé une fillette de 15 ans à qui ils auraient infligé «un traitement dégradant», «l’exposant à un grave danger». En fait, soutient l’accusation, la fillette avait été déshabillée, tabassée, brulée au feu avant d’être menottée sur un poteau électrique. Lorsque le public terrifié par ces actes avait essayé de porter secours à la petite, M. Koumnde Likeng s’y était opposé en faisant des tirs de sommation. Tous les sévices corporels subis par la victime ont été constatés par un certificat médico-légal dressé à l’Hôpital régional de Garoua, trois jours après la survenance des faits. A travers son recours, M. Koumnde Likeng raconte de son côté qu’en service à Garoua comme chef d’antenne opérationnelle à l’aéroport de la ville, son domicile faisait «régulièrement» l’objet de nombreux «coups de vol». Le 14 mars 2017, il a fini par attraper l’auteure de ces forfaits la main dans le sac, notamment Kadidiatou (c’est le surnom que nous lui donnons, son identité réelle n’ayant pas été dévoilée lors des débats). Interrogée, cette dernière est passée aux aveux complets, selon le commissaire de police Koumnde Likeng. M. Koumnde Likeng indique en effet qu’il a d’abord conduit Kadidiatou dans une unité de la ville, mais ils ont été «refoulés» au motif qu’il n’y avait pas assez de places dans les cellules pour la placer en garde à vue. Il a ensuite fait appel à l’Esir, unité d’intervention rapide de la police. Alors qu’on embarquait Kadidiatou, les membres de sa famille, suivis d’une foule en furie, ont déferlé dans son domicile pour en découdre. Face à la situation, se sentant menacé, il s’est vu obligé d’utiliser son arme de service pour faire un «tir de sommation» . Ce geste servait à dissuader et à disperser les assaillants, compte tenu du droit à la «légitime défense» , explique-t-il. Il nie les sévices corporels qu’on lui impute. Quatre mois plus tard, sa carrière professionnelle a basculé. En fait, le délégué régional du contrôle des services de la police du Nord a d’autorité initié contre lui une procédure disciplinaire en rapport avec ces malheureux événements. Or, en principe, c’est à son chef hiérarchique directe qu’incombe une telle initiative. S’appuyant sur des dispositions du code disciplinaire de la police «violées», M. Koumnde Likeng a égrené une série de vices fragilisant le décret présidentiel attaqué. Premier grief, il n’a jamais reçu de demande d’explication visant à recueillir sa version des faits. Second grief, lorsqu’un policier est traduit devant le conseil de discipline, rappelle-t-il, la convocation doit être formellement adressée au concerné «7 jours avant» la tenue de la session. Ce qui lui permet de consulter le dossier de procédure et d’organiser sa défense. De plus, la «fiche disciplinaire» doit mentionner les sanctions encourues. Toutes ces formalités n’ont pas été respectées, dit-il. Ce n’est que 5 jours avant la tenue dudit conseil que le rapporteur de la session, «le commissaire principal M. Oko Petis» , l’a appelé au téléphone lui demandant de comparaître. Il est parti de Garoua en catastrophe. Judoka, ceinture noire Poursuivant son récit, le plaignant ajoute que bien que formellement identifiée, Kadidiatou n’a jamais été entendue. Plus grave, certaines pièces du dossier ont été soutirées. Mieux, ses investigations menées auprès de l’Hôpital régional de Garoua ont révélé que Kadidiatou ne s’y est pas rendue pour une quelconque raison entre le 14 et 19 mars 2017. De ce fait, le certificat médical dont se prévaut l’accusation pour l’enfoncer est complaisant, sinon faux. Reprécisant tous ces griefs, l’avocat de M. Koumnde Likeng a soutenu lors de sa plaidoirie qu’on a voulu régler un compte à son client. «On disait qu’il est récidiviste» , en référence à un précédent blâme infligé au plaignant. Pour sa part, le représentant de la Dgsn va révéler que le plaignant «est Judoka, ceinture noire trois dans» . «Il dit s’est défendu mais l’a-t-il fait comme il fallait ? Nous disons non.» Et de citer une disposition de la loi de 1990 sur le maintien de l’ordre public : «l’emploi du tir à blanc ou du tir en l’air est interdit» . «Il a passé les menottes à la petite sur un poteau électrique. En cas de court-cuit ?» , interroge l’envoyé de la Dgsn. «Il a eu recours à des moyens qui frisent de la torture. S’il a eu recours à des moyens aussi extrêmes, il mérite d’être sanctionné parce que son attitude a écorné l’image de la police» , ajoute-t-il. Contrairement au plaignant, il a lu quelques extraits de la fiche disciplinaire selon lesquels on lui rappelle qu’il encourt des poursuites disciplinaires et éventuellement judiciaires. S’agissant du défaut de convocation, il oppose que le «rapporteur» du conseil est habilité à joindre l’élément mis en cause «par tous les moyens». Effleurant le cas de Mme Koumnde, il indique que sa sanction est allégée parce qu’on «a estimé qu’elle a agi par suivisme, car elle ne pouvait que venir au secours de son mari» . Le parquet a requis le rejet du recours estimant que les moyens ne sont pas fondés, car les griefs décriés auraient dû d’abord être soulevés devant le conseil de discipline avant la juridiction. Le verdict du tribunal est prévu ce 9 mai.

Un couple policiers rétrogradés pour avoir dénudé une gamine

DEBOIRES. On les accuse d’avoir menotté la victime sur un poteau électrique après l’avoir déshabillée, tabassée et brûlée au feu au prétexte d’un coup de vol. Le public était maintenu à l’écart grâce à des tirs de sommation.

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