Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Jusqu’à la fermeture du greffe du Tribunal criminel spécial (TCS) vendredi dernier, 13 août 2021, Bernard Nzokou, commerçant basé à Douala et en détention à Kondengui, ne s’était pas encore pourvu en cassation contre sa condamnation à 10 ans d’emprisonnement ferme écopée la veille devant la juridiction. Il est reconnu coupable d’une tentative de détournement de 273,4 millions de francs en rapport avec une fraude fiscale mise à sa charge. Le délai de 48 heures imparti pour contester cette décision devant la Cour suprême expire le mardi 17 août.
En tout cas, c’est un homme froid comme un glaçon qui a écouté les juges égrener les raisons pour lesquels il est condamné. Pour asseoir la culpabilité du mis en cause, le tribunal a préalablement rappelé les faits au centre du procès. En 2018, le centre divisionnaire des Impôts (CDI) de Douala 2e a effectué un redressement fiscal à l’entreprise Sogep Sarl d’un montant de 273,4 millions de francs soit 109 millions de francs en principal, 164 millions de francs de pénalité. Cette entreprise appartient à Mme Youmbi Siéwé. Cette dernière est la mère de cinq des six enfants de M. Nzokou. Le 18 décembre de la même année, un avis de mis en recouvrement (AMR) du montant en cause était notifié à la dame. Les scellés apposés sur la boutique.
En matière fiscal, la loi autorise le contribuable mécontent d’un audit à saisir le ministre des Finances pour solliciter soit l’annulation du redressement subi, soit de revoir le montant à payer à la baisse. Le 15 janvier 2019, le chef du CDI de Douala 2e avait reçu une correspondance attribuée au ministre des Finances l’autorisant à retirer l’AMR servi à Mme Youmbi Siéwé. Cette lettre est parvenue dans ses services par le truchement d’un usager Martin Ngallani, employé de Youmbi. Impressionnée par la rapidité avec laquelle, le ministre aurait traité le dossier, le chef du CDI a préféré saisir sa hiérarchie pour davantage explication. C’est un cadre de la cellule du contentieux du ministère des Finances, Pinon Omgba Ahanda, qui a démasqué la fraude déplorée.
Mauvaise foi manifeste
Lors de son interrogatoire le 11 novembre 2020, M. Omgba Ahanda a expliqué qu’habituellement le ministre des Finances signe ses lettres avec un stylo à bille de couleur verte, tel n’était pas le cas dans la lettre litigieuse. De plus, au niveau du courrier, il a découvert que le numéro d’ordre mentionné sur la fameuse lettre correspondait plutôt à celui d’une autre lettre que le ministre a adressé à la Société Azur le 3 janvier 2019.
Lors des enquêtes, M. Ngallani a révélé que c’est le condamné qui l’a chargé d’aller déposer la lettre querellée au CDI de Douala 2e. M. Nzokou était aussitôt interpellé et traduit devant le Tribunal de première instance (TPI) de Douala-Bonanjo pour les faits initialement qualifiés de délit de faux en écritures privées ou de commerce. Il a plaidé coupable. Le procureur avait présenté les faits au centre de l’affaire sur lesquels le mis en cause n’a pas trouvé à redire. Le 27 novembre 2019, au moment de prononcer le verdict, le tribunal s’est finalement déclaré incompétent estimant que la fraude décriée porte sur les fonds publics. En faisant des déclarations mensongères devant les services des impôts, M. Nzokou a tenté de les détourner. Le dossier était transféré au TCS pour compétence.
Devant le TCS, M. Nzokou a fait marche arrière en niant cette fois-là les faits mis à sa charge. Il prétend que c’est son ancien avocat qui l’a conseillé de plaider coupable devant le TPI pour «bénéficier de la mansuétude du tribunal» pour recouvrer rapidement sa liberté. Les juges du TCS ne l’ont pas compris de cette oreille.
En effet, le tribunal a estimé en lisant son jugement que l’accusé fait preuve «d’une mauvaise foi manifeste». Pour lui, c’est en son âme et conscience que M. Nzokou est passé aux aveux devant le TPI, «sans contrainte, sans menaces». «Il ne pouvait pas ignorer, ni être ignorant des problèmes graves qui pesaient sur son épouse. Son implication dans la confection de la lettre est caractérisée». Bien plus, «Il n’y avait aucun intérêt à reconnaître les faits, s’il ne les avait pas commis». Pour le tribunal, l’accusé cherchait à subir «une justice éclaire, une condamnation sur mesure, pour échapper à la juridiction compétente». Or, «nul n’est censé ignorer la loi. L’ignorance de la loi ne saurait être une cause absolutoire devant la justice.» «Il serait absurde et injuste que M. Nzokou Bernard, qui a plaidé coupable, soit déclaré non coupable alors que les éléments sont pertinents».
En plus des 10 années derrière les barreaux, Bernard Nzokou devra payer 25 millions de francs à l’Etat représentant les frais déboursés par le Trésor public pendant la procédure.