Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Le ministère public est à la recherche de Henri Michel Kense Eloundou à cause d’un supposé détournement de biens publics évalués à la somme de 71 millions de francs. Considéré en fuite, il est accusé d’avoir commis le supposé forfait entre 2018 et 2019. A cette époque, il occupait les fonctions de chef d’agence de la Cameroon Telecommunication (Camtel) à Ngoumou, dans le département de la Mefou et Akono.
Pour l’accusation, le montant en cause représente en effet le produit de la vente du crédit de communication que M. Kense Eloundou aurait empoché avant de fondre dans la nature. Malgré son absence, son procès s’est ouvert devant le Tribunal criminel spécial (TCS) le 2 août dernier. Et le réquisitoire du ministère public dans cette procédure est attendu le 9 septembre prochain.
Pour asseoir les faits décriés, l’accusation a fait entendre deux témoins à charge. C’est Georgette Ongono, technicienne supérieure en informatique à la retraite, qui a planté le décor. Elle occupait les fonctions de chef de cellule à la direction de l’audit et du contrôle (DAC) à la Camtel. C’est le rapport de l’audit de la gestion de M. Kense Eloundou qu’elle a conduit qui sert de socle au procès.
Pendant son témoignage, Mme Ongono s’est d’abord attardée sur la procédure de ravitaillement du crédit de communication à la Camtel. Elle indique que cette compagnie de téléphonie publique dispose d’un réseau de distribution du crédit de communication interne constitué de 10 directions régionales. Mais les directions régionales de Yaoundé et de Douala, à cause de leur densité, disposent exceptionnellement d’un Cave : le Centre d’animation des ventes externes. Ce sont ces centres qui s’occupent d’alimenter les puces commerciales des «grossistes» et des points de vente en crédit de communication.
Dans la pratique, c’est auprès du chef d’agence que les usagers se procurent les puces commerciales. Cet employé de l’entreprise d’Etat, lui-même détenteur d’une puce commerciale, transmet les coordonnés de la puce agréée au Cave qui tient à son niveau un listing de distribution de crédit. Et lors des transferts de crédit de communication, le client dépose les fonds auprès du chef d’agence. Ce dernier appelle le Cave demandant de ravitailler la puce du client à hauteur des fonds perçus auprès de l’intéressé.
Confrontation esquivée
En temps normal, le chef d’agence est censé enregistrer l’opération dans une application informatique de son service et déposer les fonds recouvrés dans un compte bancaire de Camtel contre reçu. Mais, pour les agences éloignées se trouvant dans des villes ne disposant pas de banques, comme celle de Ngoumou, la Camtel a ouvert des comptes dans les livres de la microfinance Express Union destinés au dépôt des fonds «pour qu’ils ne retiennent pas l’argent par devers eux».
Mme Ongono soutient que plusieurs irrégularités ont été décelées lors de l’audit de la gestion de M. Kense Eloundou. «Le problème déclenche lorsque le service comptable de la DRC a effectué le rapprochement entre les données enregistrées dans l’application Camtel et les fonds disponibles dans le compte Express Union.» Selon la dame, pour maquiller la fraude déplorée, M. Kense Eloundou avait fait inscrire dans le listing du Cave deux puces commerciales appartenant prétendument à deux clients. Il faisait régulièrement transférer du crédit de communication dans lesdites puces. Les opérations étaient chaque fois mentionnées dans l’application informatique de son service mais les fonds recouvrés n’étaient pas reversés au Trésor public. C’est Mme Mbazoa et M. Ali Garba qui étaient responsables du Cave à la DRC au moment des faits.
«Tous les bordereaux de versement déposés par M. Kense Eloundou n’étaient pas reconnus par Express Union. Le compte de Camtel n’avait pas enregistré de versement. Il a été découvert que le Cave 5 avait transféré du crédit à ces deux puces pour un montant total de 70,6 millions de francs», déclare Mme Ongono. Lors de l’audit, précise-t-elle, l’accusé a reconnu les transferts querellés, mais «lorsqu’on a voulu organiser la confrontation avec le personnel de la Cave, c’est là qu’il a disparu. On ne l’a plus revu».
M. Ali Garba a été le deuxième témoin à charge entendu par les juges. Il était le chef adjoint du Cave à la DRC à l’époque des faits. Il a fait chorus avec Mme Ongono. «Au niveau du Cave, comment vous assuriez-vous que la somme reçue du client a été reversée dans le compte Camtel ?», interroge le ministère public. Répondant à cette question, M. Garba affirme que la Camtel dispose d’un service de recouvrement, le rôle du Cave lors du transfert de crédit de communication se limite à vérifier que le chef d’agence a enregistré l’opération dans l’application informatique appelée NGBSS. Selon lui, dans les «petites agences» le chef d’agence est parfois aussi caissier en même temps.
M. Kense Eloundou est sous le coup d’un mandat d’arrêt délivré contre lui par le juge d’instruction pendant l’information judiciaire. Les juges du TCS ont l’habitude de condamner les accusés en fuite à l’emprisonnement à vie.