Il est rare de voir la défense se réjouir de l’audition d’un témoin réputé à charge. C’est pourtant ce qui s’est passé dans la suite des débats dans l’affaire de la supposée complicité du détournement présumé de 125,2 millions de francs imputé à Jean William Sollo, l’ex-directeur général (DG) de la Cameroon Water Utilities Corporation (Camwater), et trois autres personnes devant le Tribunal criminel spécial (TCS).
Le 2 juillet dernier, le tribunal a entendu le quatrième témoin de l’accusation, notamment l’ingénieur Etobe Emmanuel. Les avocats des accusés vont en principe procéder au contre-interrogatoire de l’intéressé le 27 juillet prochain, mais durant l’audience, ils n’ont cessé de qualifier son témoignage de «très précieux», affichant parfois un air de satisfaction.
Ancien cadre à la Camwater, M. Etobe assurait les fonctions d’expert électromécanicien et d’appareillage pendant la construction du château d’eau au quartier Bonaberi à Douala en vue du renforcement et de l’amélioration de la distribution de l’eau potable à Douala tirée à partir du fleuve Yatto. Un marché de la Camwater exécuté par une entreprise chinoise.
Pendant la réalisation de ce marché, la Camwater avait confié le contrôle technique du projet à l’entreprise Socabat, dont le promoteur est M. Nono Kounatse. En outre, Socabat avait également pour mission de mener des études préalables à la sécurisation du site, à la construction des logements du personnel ainsi que des voies d’accès au chantier. Elle devait également mener des études pour «aider la Camwater» à monter un dossier d’appel d’offre en vue de l’attribution du marché mentionné. Les différents marchés avaient été attribués à l’époque où Basile Atangana Kouna était DG de l’entreprise publique.
On fait le reproche à M. Sollo d’avoir autorisé le paiement de la somme querellé en 2013 au profit de son coaccusé Nono Kounatse. L’accusation trouve le paiement indu, tantôt parce que les travaux réalisés par Socabat sont argués de fictifs, tantôt parce que son rapport final n’a jamais été approuvé.
Journal du chantier
En répondant aux questions du ministère public, puis celles des avocats de la partie civile, M. Etobe a expliqué, de manière constante, que la Socabat a effectivement réalisé les études que lui a confiées la Camwater. Il indique que la «Socabat était installée sur le chantier et suivait l’évolution des travaux heure par heure». Le témoin indique que les différents experts de la Camwater mobilisés pour l’exécution du projet donnaient leurs avis sur l’évolution des travaux. Socabat leur présentait régulièrement le «journal du chantier ou de réunion» qu’il confectionnait au quotidien. Et c’est le chef du projet qui validait les décomptes.
De fait, Socabat avait déposé un premier rapport final sous l’ère de Basile Atangana Kouna, mais il «n’a pas été entièrement validé en l’état». Des réserves avaient été formulées sur certains points. «De manière générale, il fallait y apporter quelques améliorations et des précisions», indique le témoin.
«Est-ce que les améliorations dont vous parlez sont en rapport avec les travaux au chantier ou plutôt il s’agissait des formalités dans la rédaction du rapport ?», interroge le ministère public. M. Etobe va préciser qu’on reprochait au rapport d’avoir omis de mentionner certaines activités du projet. Par exemple, la démarcation électrique du projet menée par AES-Sonel ne figurait pas dans ledit rapport. «Est-ce que Camwater avait néanmoins utilisé ce rapport pour passer les marchés ?», insiste le parquet. Le témoin répond par l’affirmative, précisant que certaines données ont été optimisées. Avant de préciser que la Socabat n’a plus été consultée lors de la passation desdits marchés parce qu’il n’a pas obtenu un contrat complémentaire (avenant).
Réagissant à la question de savoir si la deuxième version du rapport final déposé par la Socabat alors que M. Sollo se trouvait déjà la tête de l’entreprise d’Etat a été porté à la connaissance des experts du projet, le témoin répond par la négative. Pour lui, «il n’y avait aucune nécessité, parce que la structure qui a pris le relais avait toutes les compétences requises pour le faire». Déjà, deux autres témoins de l’accusation ont fait des déclarations similaires à celles de M. Etobe.
Incarcéré depuis 2018, M. Sollo passe en jugement dans cette procédure aux côtés de M. Nono Kounatse, M. Abega et M. Ndzie Aloïs, deux cadres de la Camwater. En dehors de ce dossier, il est fait l’objet de deux autres procès devant le TCS.