Par Jacques Kinene – kinenejacques@gmail.com
La lettre de désistement déposée sur la table des juges du Tribunal criminel spécial (TCS) par la Centrale nationale d’approvisionnement en médicaments et consommables médicaux essentiels (Cename) dans l’affaire qui l’oppose à son ancien directeur général (DG), M. Oussoumanou Taouasse, n’a pas pu stopper le procès. Celui-ci se poursuit à la demande du parquet et du ministère des Finances constitué comme partie civile. Après les débats relatifs aux questions préliminaires dans cette procédure judiciaire, le tribunal a donné la parole à M. Oussoumanou Taouasse pour s’expliquer sur les faits d’une présumée complicité de détournement de deniers publics d’une valeur de 361 millions de francs qui lui sont reprochés. Pour mieux assurer sa défense, l’ancien patron de l’entreprise publique a, en dehors du témoignage qu’il a donné, fait recours à trois témoins parmi lesquels Daniel Ze, le responsable du contentieux de la Cename. Celui-là même qui avait déposé la lettre de désistement de son employeur au TCS.
A l’audience du 15 mai 2023, l’ancien DG de la Cename a, d’emblée, précisé qu’il est un pharmacien en santé publique. De plus, il a indiqué que l’idée de la création et de l’implantation de la Cename au Cameroun émane de lui. Il dit avoir été le premier à occuper le fauteuil de DG de cette entreprise. «A l’époque des faits au centre de cette procédure, j’occupais les fonctions de DG à la Cename où j’ai passé 18 ans de service, dont 9 ans au poste de directeur du projet Cename et les 9 autres à la tête de l’entreprise. Et c’est précisément en septembre 2015 que j’ai été remplacé à ce poste», a confié l’accusé. Dans le souci d’éclairer davantage le tribunal, M. Oussoumanou Taouasse a expliqué que la Cename a pour rôle de rendre accessibles les produits pharmaceutiques sur toute l’étendue du territoire national en les mettant à la disposition du plus grand nombre de personnes pour un meilleur rapport qualité-prix.
L’ancien DG a marqué son étonnement face aux déclarations d’un de ses collaborateurs qui l’accuse de n’avoir pas pris en compte les recommandations qui lui avaient été faites par ce dernier pour la bonne conservation des réactifs du VIH Sida. Notamment, les recommandations consignées dans un prétendu rapport d’une mission effectuée par l’un de ses directeurs, M. Souaïbou, puisqu’il s’agit de lui. Rapport que ce dernier prétend avoir remis en mains propres à l’accusé et sur lequel le ministère public s’était appuyé dans ses réquisitions intermédiaires, pour estimer détenir des éléments suffisants de preuve contre M. Oussoumanou Taouasse. «Je suis surpris qu’on fonde mon inculpation sur un rapport qui a été rejeté devant ce tribunal. Un rapport qui a été confectionné à la hâte pour les besoins de la cause dans le seul but de justifier mon inculpation. On ne peut donc pas donner du crédit aux déclarations de M. Souaïbou étant donné que je n’ai pas reçu un rapport de lui», a martelé M. Oussoumanou Taouasse. Il poursuit en expliquant que le rapport querellé, n’a jamais existé et surtout été déposé à la Cename. Il en veut pour preuve le fait que le dénonciateur lui-même avait déclaré pendant son témoignage devant le tribunal avoir fouillé de fond en comble ledit document et ne l’avait pas trouvé.
Mauvaise foi
D’après l’ancien DG, M. Souaïbou qui prétend lui avoir remis le rapport en mains propres, est de mauvaise foi et ses allégations ne peuvent pas prospérer dans la mesure où il n’avait pas respecté le circuit de transmission des documents officiels qu’il connaît bien à l’issue d’une mission que ce dernier avait effectuée. De plus, pour démontrer la mauvaise foi et le complot monté contre sa personne, l’accusé évoque d’abord, le cas de son directeur administratif et financier (DAF) qu’il dit avoir mis en mission à Bamenda dans le Nord-Ouest à la même période. Il raconte qu’au terme de la mission effectuée par le DAF, ce dernier avait rédigé et déposé son rapport avec une décharge en laissant celui-ci suivre le circuit normal de transmission.
Ensuite, il prend à témoin la présidente du collège des juges dans le second exemple qu’il prend sous forme de question : «Si vous, Mme la présidente du TCS, vous mettez en mission l’un de vos collaborateurs et que ce dernier vienne à vous dire qu’il vous a remis son rapport en mains propres alors qu’il n’existe aucune décharge, aucune trace dans le registre de traitement des données dans votre cabinet, quel crédit pouvez-vous accorder à une telle affirmation?» Avant d’ajouter qu’une telle démarche, d’après lui, est dénuée de tout fondement. Il précise d’ailleurs avoir vu pour la première fois le rapport querellé dans le dossier de procédure du tribunal.
Pour sa défense, M. Oussoumanou Taouasse note aussi que ce n’est pas de manière fantaisiste que les réactifs du VIH Sida qui font problème aujourd’hui, ont été conservés dans les installations appartenant à la société Bonn Group qui disposait des chambres froides adéquates. La Cename n’avait pas à cette époque, d’après l’accusé, des installations et équipements appropriés pour conserver les produits de ce type, qui sont très sensibles aux variations de température. Il prend à son compte les déclarations qui vont dans le même sens et qui ont été faites à l’enquête préliminaire et à l’information judiciaire par tous les témoins y compris M. Souaïbou. C’est la raison pour laquelle, il déclare avoir appuyé la proposition de Marie Louise Ngoko, une de ses anciennes collaboratrice qui, constatant que ces réactifs se conservent à température négative, avait suggéré que ces produits soient conservés dans les locaux de la société Bonn Group en attendant que la Cename se dote de ses propres chambres froides.
A la question de savoir quelle explication il donnait aux écarts constatés entre les stocks théoriques et les stocks qui se trouvaient dans les magasins de Bonn Group, il répond que c’est à travers ses collaborateurs qu’il en a été informé. L’accusé précise qu’il avait aussitôt pris un certain nombre de mesures pour faire la lumière sur cette affaire. La première mesure était d’envoyer M. Souaïbou auprès de Bonn Group vérifier les stocks des produits de la Cename qui s’y trouvait, les compter physiquement et les sécuriser. Des déclarations corroborées par M. Souaïbou qui avait affirmé devant le tribunal que les stocks querellés existaient effectivement et avaient été sécurisés. La seconde mesure était de mettre en mission le DAF de la Cename auprès du DG de Bonn Group en vue de procéder au recouvrement de la créance que ce dernier avait signalée. Pour l’accomplissement de cette tâche, M. Oussoumanou Taouasse a dit avoir adjoint à son DAF feu Me Sama, ancien bâtonnier du barreau des avocats du Cameroun. Au terme de ces deux missions, l’accusé ajoute qu’il avait initié deux réunions entre les équipes des deux structures en vue de concilier les stocks de la Cename détenus par la société Bonn Goup.
Il faut préciser que la pomme de discorde entre l’ancien DG et son collaborateur M. Souaïbou repose sur une question d’approche à adopter pour la conservation des réactifs dont il s’agit. D’après M. Oussoumanou Taouasse, son collaborateur avait suggéré comme mesure de ramener à la Cename les stocks des produits conservés à Bonn Group. «Cette mesure préconisée par M. Souaïbou m’a surpris de la part d’un pharmacien qui sait bien que les produits en question nécessitent des conditions particulières de fabrications, d’acheminement et de stockage. La moindre rupture de la chaine de froid négative desdits réactifs les rend inactifs, leurs activités thérapeutiques sont annulées et ils ne sont plus destinés qu’à la destruction», a indiqué l’ancien DG.
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