Pourquoi M. Atangana Kouna a écopé de 3 ans de prison devant le TCS

Il est rare de voir un «gros client» du Tribunal criminel spécial (TCS) se tirer d’affaires avec une condamnation de moins de dix ans d’emprisonnement. Basile Atangana Kouna vient pourtant de réaliser l’exploit. Le 23 septembre dernier, l’ex-ministre de l’Eau et de l’Energie a écopé d’une peine de trois ans d’emprisonnement ferme. Il est reconnu coupable de l’infraction de «prise d’intérêt dans un acte». En dehors de la peine d’emprisonnement, l’ex-ministre est condamné à restituer au Trésor public environ les 12 millions de francs perçus par Trinity Sarl, son entreprise spécialisée dans la location des véhicules. Trinity Sarl avait encaissé les fonds en question auprès de la Cameroon Water Utilities Corporation (Camwater) entre janvier et juillet 2011. A cette époque, M. Atangana Kouna trônait à la tête de cette entreprise publique. L’ex-membre du gouvernement devrait en outre supporter le paiement de 16 millions de francs de dommages et intérêts au profit de la Camwater ainsi que le paiement des frais de justice (dépens) fixés à 2,5 millions de francs, solidairement avec Vanessa Yondo, en fuite, qui a écopé de la prison à vie. Le tribunal a également infligé 5 ans de déchéance à l’ex-ministre. Pendant cette période, il ne peut ni recevoir une décoration, ni exercer un emploi public, ni voter, etc. En revanche, Thomas Nama Aloa, son neveu, en détention provisoire depuis 2018, et M. Bello Oussomanou, garagiste à la Camwater, en fuite, sont blanchis des faits de complicité de détournement de 1,7 milliard de francs pour faits non établis. Eau potable Les motivations des juges pour asseoir la culpabilité de M. Atangana Kouna ainsi que celle de sa compagne d’infortune, Mme Yondo, ont l’allure d’un véritable réquisitoire. Avant de motiver son jugement, le tribunal est d’abord revenu sur les faits à l’origine du procès. La procédure tire ses racines d’un contrat signé le 21 septembre 2009 entre la Camwater, représentée par M. Atangana Kouna, et le groupement d’entreprises belges Bateau S.A, représentée par Vincent Pissart, et Aspac Universal, représentée par Jacques Michel Massart. A travers ce contrat, le groupement d’entreprises belge remportait un marché de 40 milliards de francs portant sur la réhabilitation, le renforcement et l’extension du système en eau potable de 52 localités du pays. Problème, Aspac Universel a sous-traité le marché allégué à Aspac Cemac. L’accusation estime que cette sous-traitance s’est effectuée en violation des dispositions du Code des marchés publics parce qu’elle s’est opérée sans l’autorisation de la Camwater, le maître d’ouvrage. Elle qualifieles fonds perçus par Aspac Cemac dans le cadre de la sous-traitance décriée, soit 1,7 milliard de francs, de détournement de deniers publics. Par ailleurs, les enquêtes ouvertes autour de l’affaire ont permis de découvrir que le 21 juin 2010, M. Atangana Kouna avait créée Trinity Sarl. Et dans la foulée, ladite entreprise a remporté un marché de location de véhicules auprès d’Aspac Cemac. Le montant de cette facture était initialement arrêté à 10 millions de francs En 2019, M. Massart était renvoyé en jugement pour répondre du détournement de 1,7 milliard de francs payé à Aspac Cemac. M. Atangana et les autres accusés déjà cités complétaient la liste des accusés comme complices du forfait. L’ex-ministre répondait également du délit de «prise d’intérêt dans un acte». Mais, pendant l’information judicaire, l’homme d’affaires belge a restitué au Trésor public l’intégralité des fonds en cause. En compagnie de M. Atangana Kouna, il a introduit une requête d’arrêt des poursuites sur l’infraction de détournement et complicité mises à leur charge. Le 5 juin 2020, le ministère public, sur autorisation du ministre de la Justice, a validé leur demande. Néanmoins, le jugement de M. Atangana Kouna s’est poursuivi devant le TCS uniquement avec le délit de prise d’intérêt dans un acte. De fait, le Code pénal en son article 135 entend par «intérêt dans un acte» le fait «pour tout fonctionnaire d’avoir un intérêt soit par lui-même, soit par personne interposée dans des actes ou des affaires sur lesquelles il est appelé en raison de ses fonctions à donner son avis ou à exercer sa surveillance». La peine encourue peut aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement. Pour sa défense sur ce chef d’accusation [lire Kalara N°386], l’ex-ministre a expliqué que c’est sous les conseils de son banquier qu’il avait créé Trinity Sarl en 2010. «J’avais des véhicules personnels qui ne roulaient pas parce que je disposais par ailleurs des véhicules de fonctions»», indiquait-il. Précisant que Trinity avait bénéficié d’un «crédit bancaire pour renforcer sa flotte» évaluée à 200 millions de francs au moment des faits. «Dénégations fantaisistes» M. Atangana Kouna a en outre révélé que «l’actionnariat» de Trinity est constitué des membres de sa famille. Contrairement à l’accusation, il précisait qu’au moment des faits, il ne faisait pas partie des «organes dirigeants», ni salarié de son entreprise. La gérance de Trinity était confiée à une dame recrutée à cet effet. C’est cette dame, disait-il, qui a négocié le marché de location de véhicules querellé «pour le déplacement des ingénieurs» d’Aspac Cemac. A ses yeux, «ces deux entreprises ont fait leur marchandage en privé. «Le DG de Camwater n’étais pas concerné […] Il s’agit à vrai dire d’un acte sous-seing privé entre deux entreprises privées». Bien que soutenant que les factures de Trinity avaient été réglées par Aspac Cemac et non par la Camwater, il avait quand même restitué les fonds litigieux pendant les enquêtes. En lisant le verdict, le tribunal a balayé la défense de l’ex-ministre, la qualifiant de «dénégations fantaisistes». Il a rappelé que le Code pénal entend par fonctionnaire «toute personne chargée, même occasionnellement d’un service, d’une mission ou d’un mandat publics». Et l’infraction visée est caractérisée même si l’intérêt incriminé n’a pas directement profité au fonctionnaire. Si pendant le jugement les débats ont achoppé sur le marché passé entre Aspac Cemac et Trinity, le tribunal a donné lecture de 11 factures montrant qu’entre janvier et juillet 2011, M. Atangana Kouna les a fait payer à hauteur de presque 12 millions de francs au profit de Trinity lorsqu’il dirigeait la Camwater. Le tribunal indique qu’«il a procédé à l’ordonnancement et à la liquidation» des factures alléguées. Il «a lui-même signé certains contrats de locations de véhicules» conclus entre Camwater et Trinity, d’autres contrats de même nature ont été conclus par des cadres de la Camwater «par ordre du directeur général». De plus, les fonds décaissés par la Camwater pendant ces transactions étaient virés dans un compte bancaire de Trinity ouvert dans les livres de la banque SGB Cameroun. Compte bancaire dans lequel M. Atangana Kouna était signataire. Le tribunal a estimé que cette «confusion dangereuse caractérise l’intérêt dans un acte». Pour les juges, : «le contrat payé par Camwater à Trinity relève de la commande publique. L’usage que la Camwater a fait des véhicules pris en location importe peu. Le délit est caractérisé. Il a pris directement un intérêt dans le contrat passé entre la Camwater». Pour apprécier les faits (nouveaux), le tribunal a rappelé des faits et des personnes déférées devant lui. C’est en parcourant les pièces du dossier de procédure qu’il a découvert cet autre forfait. Cheville ouvrière Concernant les autres accusés, on leur faisait le reproche d’avoir contribué à la création d’Aspac Cemac. Créée en 2010, Aspac Cemac était dotée d’un capital de 1 million de francs détenu par trois personnes. Selon l’accusation, M. Nama Aloa possédait 25% des parts, M. Bello Oussoumana, 15%. Le reste des parts appartenaient à Aspac Universal, propriété de M. Massart. Selon l’accusation, les deux Camerounais avaient ensuite vendu leurs parts à Aspac Universal qui contrôlait ainsi l’entièreté du capital d’Aspac Cemac porté par M. Massart. La constitution d’Aspac Cemac s’est effectuée dans le cabinet de maître Jacques Aurélien Kwa Mbette, notaire à Yaoundé. C‘est Mme Yondo qui avait conduit le processus d’authentification des statuts d’Aspac dans le cabinet du notaire. Elle avait joint les copies des cartes d’identité de M. Nama Aloa et Bello. Pendant son interrogatoire le notaire a reconnu que les pièces présentées à cette occasion étaient fausses. Le tribunal a estimé que Mme Yondo a été la «cheville ouvrière» de la fraude qui a servi à détourner les fonds litigieux. Interpelé de manière spectaculaire au Nigéria en mars 2018, quelques jours après sa sortie du gouvernement, M. Atangana Kouna était dans la foulée incarcéré à la prison centrale de Yaoundé. Déjà le 7 février 2020 devant le Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé centre administratif, il a écopé de 12 mois de prison ferme pour «immigration clandestine» en rapport avec son séjour furtif au Nigéria. En dehors de l’affaire Aspac, il passe aussi en jugement devant le TCS cette fois pour un supposé détournement de 1,2 milliard de francs toujours en rapport avec sa gestion à la Camwater. Il propose le remboursement du montant en cause, à la seule condition que les juges autorisent le déblocage de ses comptes bancaires et son coffre-fort logés à la BGFI-Bank pour faciliter la transaction. Mais les juges ont décidé de se prononcer sur la question à la fin de son procès. «Tout s’est fait à mon insu» Dans sa dernière déclaration avant le prononcé des peines, M. Atangana Kouna a de nouveau clamé son innocence. Nous publions presque en entièreté ses propos. «Le délit qui m’est reproché et pour lequel le tribunal vient de me déclarer coupable a évolué. C’est aujourd’hui que j’apprends que je suis coupable parce que j’ai fait louer des véhicules de Trinity Sarl à Camwater. Tout au long de la procédure on m’a parlé d’Aspac Cemac qui a payé 10 millions de francs […] Je n’ai jamais eu connaissance de ces pièces du dossier. Vous avez évoqué des factures que j’ai signées. Tout cela s’est fait à mon insu. Si cette question m’avait été posée, j’aurais apporté des éclairages. J’ai été renvoyé en jugement pour la location des véhicules par Aspac et d’ailleurs je l’ai dit pendant mon interrogatoire, il s’est agi d’un contre sous-seing privé entre deux entreprises privées. C’est une procédure qui évolue au fil du temps […]. S’agissant du compte bancaire à la Sgbc [Société général des Banques du Cameroun] dont j’étais signataire, il s’agit d’un compte bancaire ouvert longtemps après mon départ de la Camwater, juste pour bénéficier des crédits. Je n’ai pas eu à détourner à la Camwater. Il y a eu un service fait. Tout s’est fait à mon insu».

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