Pourquoi Abah Abah conteste les allégations de Amadou Vamoulké

Propos recueillis par Christophe Bobiokono Question : quelles étaient vos fonctions à l’époque des faits ? Réponse : pendant la période des faits, qui va du 27 janvier 2015 au 31 décembre 2006, j’occupais le poste de ministre de l’Economie et des Finances (Minefi). J’avais été nommé à ce poste le 8 décembre 2004 par décret N° 2004/322 du président de la République, son excellence Paul Biya. Quelles étaient les attributions de ministre de l’Economie et des Finances que vous étiez ? En cette qualité, mes attributions étaient nombreuses. Faut-il le rappeler, le Minefi, créé par décret N° 2004/320 du 8 décembre 2004 portant organisation du gouvernement, était en réalité une mégastructure regroupant en un département ministériel unique les anciens ministères des Finances et du Budget, d’une part, et de l’Economie, d’autre part. Vous pouvez donc très aisément imaginer l’immensité des attributions qui étaient miennes. Toutes tournaient autour de l’ordonnance du 7 février 1962 réglant le mode de présentation, les conditions d’exécution du budget de la République fédérale du Cameroun, de ses recettes, de ses dépenses, et de toutes les opérations s’y attachant ensemble ses divers modificatifs et textes d’applications subséquents. (Pour répondre directement à la question de son conseil, l’accusé-témoin va ensuite lire intégralement les dispositions de l’alinéa 12 de l’article 5 du décret N° 2004/320 qui liste avec précision les très nombreuses attributions du Minefi en 2004, dont la gestion du Trésor public.) Dans quel contexte économique et budgétaire intervient votre nomination ? Ma nomination intervient dans un contexte économique et budgétaire des plus préoccupants, pour utiliser un euphémisme. En effet, le Cameroun venait de rater l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative Pays pauvre très endetté (Ppte) tant espérée et tant attendue par le peuple camerounais et le gouvernement de la République. Cet échec avait eu pour conséquence la quasi-rupture de nos relations financières avec nos principaux partenaires au développement, notamment le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM), la Banque africaine de Développement (BAD), et l’Union européenne (UE). Les perspectives de croissance durable et de réduction de la pauvreté dans notre pays avaient été assombries par des résultats budgétaires profondément dégradés à causes de graves dérapages. On pourrait ajouter ceci à ce sombre tableau : les déficiences structurelles persistantes ; l’insuffisance des infrastructures ; la faiblesse des services fournis par les entreprises publiques qui, toutes, étaient pratiquement en difficulté, faisant peser des charges insupportables sur nos faibles finances publiques. Au plan financier, je pèse mes mots, le Cameroun était dans une situation de quasi-faillite avec une dette extérieure et intérieure astronomique. Et, comme je l’avais déjà déclaré devant ce tribunal autrement constitué, il y avait 3 milliards de francs en disponibilité de trésorerie, mettant l’Etat du Cameroun dans l’incapacité à moins de 2 semaines des fêtes de fin d’année 2004 d’honorer les salaires du personnel de l’Etat, ainsi que les pensions dues aux retraités, ceci au premier mois de la première année d’un septennat pourtant placé sous le signe des grandes ambitions. […] Avez-vous tenu le chef de l’Etat informé de la situation difficile dans laquelle se trouvait le pays en ce début de septennat des grandes ambitions ? […] J’avais effectivement informé le chef de l’Etat de la situation difficile dans laquelle se trouvait le pays au plan économique et financier. Bien informé, il me donna par la suite des directives claires et fermes visant à faire face à ce défi majeur auquel était confronté le pays au moment où je suis nommé Minefi. Sur la base de ses directives et, avec son très précieux soutien ainsi que l’appui de certaines grandes entreprises membres du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam), je pus faire face à l’épineux problème du paiement des salaires et pensions de décembre 2004. […] La mise en œuvre des directives du chef de l’Etat impliqua l’adoption d’une batterie de mesures qui avaient touché tous les secteurs d’activités du pays. Et, avec une masse critique sans précédent de réformes structurelles jamais égalées dans l’histoire économique de notre pays, un nouveau programme fut conclu avec les institutions de Breton Woods. En avril 2006, pendant la période des faits, le point d’achèvement de l’initiative Ppte fut atteint avec, à la clé, un substantiel allègement de notre dette publique de 1700 milliards de francs, la ramenant alors à 10% du Produit intérieur brut (PIB) contre 45% actuellement… Dans le cadre de ce nouveau programme, la dette intérieure fut totalement apurée. Le redressement économique s’accéléra avec un rebond du taux de croissance à près de 5%. Tous les indicateurs macro-économiques et budgétaires, sans exception, passèrent au vert et furent durablement bien orientés. Les finances publiques furent complètement assainies, ensemble l’assainissement du fichier solde qui, grâce aux mesures de comptage physique innovées pour la première fois auprès des trésoreries et des banques, permit de ramener la masse salariale de 31,5 milliards de francs par mois à 29 milliards de francs, soit une économie budgétaire, réelle et vérifiable, de 2,5 milliards de francs par mois. Ce fichier solde assaini fut sécurisé. […] Malheureusement, le dispositif sécurisé fut démantelé dès ma sortie du gouvernement, pour des raisons incompréhensibles, par ceux qui m’avaient remplacé, avec pour conséquence la réintroduction des milliers d’agents fictifs dans le fichier solde de l’Etat et un gonflement exponentiel de la masse salariale. L’actualité le prouve… (L’ancien Minefi va faire ensuite un long développement dans lequel il affirme que l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative Ppte a permis à l’Etat de procéder à un vaste recrutement dans la fonction publique, d’augmenter pour la dernière fois les salaires de son personnel, de relancer les investissements publics et la construction des infrastructures, de réduire le chômage, de sortir «des fourches caudines du FMI» pour retrouver sa «souveraineté en matière d’élaboration et de mise en œuvre de sa politique économique et budgétaire». Et, après avoir regretté la courte durée de l’embellie non sans relever que le chef de l’Etat avait solennellement salué les bons résultats économiques obtenus et l’avait fait décorer, il poursuit sa réponse.) Il faut cependant reconnaître que certaines mesures d’ajustement prises en exécution des hautes directives du président de la République, son excellence Paul Biya, pour redresser notre économie, eurent un coût social élevé qui, avec les jalousies et les appétits de tous genres suscités par les bons résultats économiques obtenus par le président de la République lorsqu’il m’a confié le Minefi, me valurent à titre personnel attaques, calomnies, animosités, rancœurs, procès d’intention et incompréhensions dont je paie encore le prix. La présente procédure remet au goût du jour ces vieilles incompréhensions, ces vieux procès d’intention comme je vais le démontrer. Tout au long de son examination in chief (audition sur la base des questions de ses avocats), M. Amadou Vamoulké, sans vous accuser explicitement, a affirmé que l’on avait diminué les ressources de la Crtv dès son arrivée à la tête de cette entreprise publique en 2005 pour le faire échouer. Lors de sa cross examination (audition sur la base des questions d’autres parties au procès) à l’audience du 24 novembre 2021, interrogé par vous à ce sujet, il a déclaré : «Oui, il est incontestable que les ressources dont j’ai pu disposer pour faire fonctionner la Crtv ont diminué drastiquement dès la première année de ma gestion d’environ 40%... En 2004, mon prédécesseur avait à sa disposition 23 milliards de francs et, en 2005, à mon arrivée, je n’ai disposé que de 16 milliards de francs. C’est logique de penser qu’une volonté d’asphyxie se manifestait à mon endroit» . Question : M. le ministre, dites au tribunal si, en votre qualité de Minefi, vous avez réduit de 40% les ressources affectées au fonctionnement de la Crtv… Non. En ma qualité de Minefi, je n’ai ni réduit, ni ordonné encore mois instruit qui que ce soit de diminuer les ressources de la Crtv en 2005. En effet, je n’avais pas la capacité juridique de le faire. […] Je voudrais, avec la permission du tribunal, rappeler que les ressources affectées au fonctionnement de la Crtv, notamment ses recettes ainsi que ses dépenses, sont arrêtées dans le cadre d’un budget annuel. Il s’agit d’une obligation légale qui s’impose non seulement à l’Etat, mais aussi aux entreprises publiques telle que la Crtv. Je voudrais également me permettre de vous rappeler que, pendant la période des faits, la redevance audiovisuelle (RAV) allouée à la Crtv n’était plus l’objet d’une subvention arrêtée par l’Etat dans le budget de l’Etat. […] Il ne me revenait donc pas d’arrêter l’enveloppe budgétaire de la Crtv. Et je ne l’ai jamais fait. (L’accusé-témoin fait un développement pour rappeler qu’à l’époque des faits, la RAV était collectée non seulement par les postes comptables du Trésor dans le compte 470530-4 ayant pour comptable exclusif le Trésorier payeur général (TPG) de Yaoundé, mais également à 70% par la division des grandes entreprises de la direction des impôts qui la reversait directement dans un compta bancaire ouvert par la Crtv. Il rappelle, pour «battre en brèche» les allégations de son coaccusé, citant les listings du compte 470530-4 qu’au premier trimestre 2004, la Crtv, sous Mendo Ze, avait reçu du Trésor près de 4,2 milliards de francs et que pendant la même période en 2005, premiers mois de la gestion de M. Amadou Vamoulké, la Crtv avait reçu par le même canal un peu plus de 6,1 milliards de francs. Puis, il achève son propos.) Pour conclure, je dois dire au tribunal que j’ai été nommé le 8 décembre 2004 à la tête du Minefi et que M. Amadou Vamoulké a été nommé à la tête de la Crtv, si mes souvenirs sont exacts, le 26 janvier 2005. Qu’entre ma nomination et la sienne, il y a un intervalle de 45 jours. Comment aurais-je donc pu prendre les mesures contre sa gestion, alors que nous sommes arrivés pratiquement au même moment. Mon sentiment réel est que les déclarations de M. Amadou Vamoulké ne procèdent que des incompréhensions auxquelles j’ai fait allusion, car il ne savait certainement pas que les modalités d’affectation des ressources destinées à la Crtv ne faisaient plus l’objet de subvention arrêtées dans le cadre du budget de l’Etat mais étaient fonction des recouvrements effectifs de la RAV, processus dans lequel je n’intervenais pas. Je suis persuadé qu’il n’était non plus au courant de la situation économique et budgétaire et réelle dans laquelle l’Etat se trouvait au moment où il est nommé DG de la Crtv, ni les instructions données par le chef de l’Etat pour y faire face. Donc, simple incompréhension. Je ne parle pas de procès d’intention. Prévue pour le 10 et le 11 mars, la suite de l’interrogatoire de l’ancien ministre a été repoussée à la période du 22 au 25 mars 2022, l’accusé-témoin ayant rendez-vous avec son médecin entre-temps. Rappelons que dans le volet 2 de l’affaire Crtv en cours, M. Polycarpe Abah Abah répond d’un présumé détournement de la somme de 595 millions de francs en coaction avec M. Vamoulké. Troisième et dernier accusé à prendre la parole dans ce procès, il n’a pas encore directement abordé les faits précis pour lesquels il est poursuivi, lesquels se rapportent à ses fonctions antérieures de directeur des impôts.

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