Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
On ne verra plus jamais Martin Rissouck A Moulong. L’ancien procureur général près la Cour suprême s’est éteint très tard hier (31 mai 2021), aux environs de 23h30, à la suite d’un malaise qu’il a eu à son domicile au quartier Bastos à Yaoundé. Transporté de toute urgence au Centre des urgences de Yaoundé (Cury), justement, pour être réanimé, le vieil homme n’a pas pu être récupéré. Son corps a été gardé à la morgue de l’Hôpital général de Yaoundé en attendant l’organisation de ses obsèques. C’est l’une des figures les plus marquantes de l’histoire de la magistrature camerounaise qui a ainsi quitté la scène.
Ça faisait quelques années déjà qu’on ne l’avait plus aperçu au Palais de justice où dans ses abords, notamment au Central Hôtel où il aimait parfois venir partager un verre avec ses cadets, alors qu’il n’était plus en fonction. Le vieux magistrat n’avait plus une santé de fer lorsqu’il fut appelé à faire valoir ses droits à la retraite le 18 décembre 2014. Les années précédentes, il avait parfois donné des sueurs froides à ses collaborateurs à travers des malaises qui étaient généralement vite remonté. Sans doute du fait du poids de l’âge et des maladies liées à cette situation, il était progressivement devenu un client régulier des hôpitaux, bénéficiant d’ailleurs des séjours hors du pays pour recevoir de soins appropriés. Mais son état physique avait fini par le contraindre à devenir casanier, au point où son départ n’est pas à proprement parler une surprise pour les habitués de sa résidence.
Le haut magistrat qui a raccroché sa robe lundi dernier avait une relation particulière avec la grande majorité des collègues qui l’ont connu. Dans la grande famille de la magistrature où il est difficile pour quiconque d’avoir les faveurs de la plupart des professionnels pour ses qualités humaines et professionnelles intrinsèques, lui faisait figure d’exception. Homme de grand cœur, il comptait des amis dans toutes les générations des magistrats qui l’ont trouvé sur le terrain. «Si le procureur général Rissouck A Moulong sollicite un service dans les milieux judiciaires, il y aura une bousculade pour le servir. C’est un grand homme qui a passé le temps à servir les autres. Il est adulé par tous», confiait à Kalara en 2015 un haut magistrat en service à la chancellerie.
Figure d’exception
Sous ses faux airs de père fouettard, prompt à gronder lors du premier contact, se cachait en fait un homme incapable de tuer «une mouche». Rissouck A Moulong était ainsi, ouvert à tous ses collègues quels que soient la fonction et le grade. Il accordait la même considération à tous. Tout le contraire de certains de ses congénères, plus prompts à réprimander ou à faire sanctionner qu’à donner un conseil. «ll aurait dû ne pas être magistrat», disait de lui un de ses cadets, avant de louer «un homme qui ne savait pas sanctionner», même lorsque le cas s’y prêtait. Il faisait la remarque, fermement, mais passait tout de suite à autre chose…
Celui qui a été procureur général près la cour suprême du Cameroun pendant 25 ans durant n’a pas laissé, dans sa très longue carrière professionnelle, l’image d’un homme à scandale. Il détestait faire les vagues dans les salles d’audience, se contentant de quelques mots pour exprimer la position du ministère public lorsqu’il lui arrivait de prendre part aux audiences. Pourtant, il arrivait qu’il mette tout son poids au profit d’une cause juste à ses yeux, mais apparemment injuste pour les observateurs tiers.
Ce fut le cas dans le cadre du contentieux des élections législatives du 30 septembre 2013. La cour suprême du Cameroun avait décidé d’invalider toutes les listes de candidature coupables d’avoir violé la «représentation sociologique» de leur circonscription électorale respective. Et dans l’entendement de la haute juridiction, «la composition sociologique» renvoyait avant tout à la cohabitation ethnique et au genre. La cour suprême s’était montrée intraitable avec toutes les listes qui ne combinaient pas les deux critères, dès lors qu’un tel panachage est possible.
Et pourtant, la haute juridiction s’était mise à bégayer devant la liste du Rassemblement démocratique du Peuple camerounais (Rdpc) dans la circonscription du Wouri-centre, le cœur de Douala, la capitale économique du Cameroun, donc la ville cosmopolite par excellence. En fait, la liste du parti au pouvoir, alors composée de trois candidats comme le veut la répartition des sièges, ne comptait que des Sawa pure souche. Aucune place n’avait été accordée à un autre Camerounais venu d’ailleurs.
L’homme de Douala…
Alors que le débat achoppait et que les voix en faveur de l’invalidation de la liste du RDPC semblaient prendre le dessus, invitant la cour suprême à rester constante avec elle-même, M. Rissouck A Moulong prenait les adversaires du Rdpc de court. Dans ses réquisitions, il disait tout le mal que l’instauration de la ville avait fait aux peuples Douala, en leur arrachant tout leur village. Pour lui, les «Douala» avaient peu de chance de triompher ailleurs comme élus. Ce qui l’avait amené à requérir le maintien de la liste du RDPC. Argument que la Cour suprême avait repris en sa faveur au moment de vider ce dossier.
Martin Rissouck A Moulong avait en fait une histoire toute particulière avec la ville de Douala. Il y avait séjourné à deux reprises comme président de la Cour d’appel du Littoral. Lors de son dernier séjour à cette fonction, le parquet général près la cour d’appel était sous la direction de M. Alexis Dipanda Mouelle, le procureur général. Les deux magistrats avaient été promus en même temps à la Cour suprême. M. Dipanda Mouelle, comme procureur général, et M. Rissouck A Moulong, comme président de la chambre administrative de la haute juridiction.
Quand le président de la Cour suprême d’alors fut débarqué, pour avoir résisté à certaines injonctions venues de la présidence de la République, certains voyaient M. Rissouck A Moulong sur le siège de la plus haute juridiction du pays. D’autant que Jean Remy Mbaya, le précédent premier président, était originaire du Mbam comme Martin Rissouck A Moulong. Paul Biya allait décider d’intervertir les rôles. D’où la nomination de ce juge de carrière à une fonction de parquetier. Fonction qu’il aura assumée sans jamais se départir de son sens inégalé pour la confraternité. C’est un vrai gentleman qui s’en est allé à l’âge de 82 ans.