Les tergiversations du juge d’instruction face à Justin Danwé

Par Emile Kitong – ekitong@gmail.com A quel stade se trouve l’information judiciaire dans l’affaire de l’enlèvement suivi de la mort de Martinez Zogo ? Alors qu’on est rendu au huitième mois de cette enquête, la question se veut incontournable, tant le juge d’instruction laisse désormais l’impression de se tourner les pouces avec ce dossier. Et cette impression vient du fait que, depuis environ deux mois, le ballet relativement soutenu des auditions des témoins et des inculpés qu’animait le magistrat-militaire il y a quelques semaines s’est subitement estompé. Problème : le principal mis en cause dans ce dossier, le lieutenant-colonel Justin Danwé, directeur des opérations à la Direction générale des recherches extérieures (Dgre) à l’époque des faits, n’a toujours pas été interrogé par le juge d’instruction. Et ce dernier ne semble plus pressé de le faire. Dans la première semaine du mois d’août 2023 pourtant, le lieutenant-colonel Sikati Kemwoe avait programmé d’interroger son camarade d’armes, le lieutenant-colonel Justin Danwé, en ouverture des auditions des inculpés gardés en détention. Mais cette planification avait été modifiée du fait de l’indisponibilité du conseil de l’officier supérieur le jour de son premier rendez-vous avec le juge d’instruction. Me Christian Mbuny, approché par Kalara à l’époque, avait confirmé l’information, expliquant qu’il s’était absenté du pays pendant deux semaines du fait d’un séjour en Europe. «Ce sera fait dans les prochains jours» , rassurait-il pourtant, pour dire que le rendez-vous entre les deux lieutenants colonels était imminent. Le juge d’instruction avait décidé de poursuivre son enquête en auditionnant les autres coinculpés de M. Danwé en attendant… Début septembre 2023, la rumeur annonçait la remise en liberté de certaines personnalités incarcérées dans le cadre de cette affaire. Certains observateurs croyaient que l’enquête judiciaire était achevée. En fait, le juge d’instruction avait été aperçu dans les différents lieux de détention des inculpés de l’affaire Martinez Zogo (à la prison principale et à la prison militaire de Yaoundé notamment), prêtant à son corps défendant le flanc à la rumeur. Le vendredi précédent le 3 septembre était le dernier jour ouvrable de la semaine avant l’expiration des mandats de détention provisoires décernés aux mis en cause. En effet placés en détention provisoire le 4 mars 2023 pour une période initiale de 6 mois, M. Jean-Pierre Amougou Bélinga et consorts étaient susceptibles de voir leurs mandats expirer en plein week-end. Or, le juge d’instruction évitait d’offrir la moindre minute de flottement aux inculpés. Expertise judiciaire Ces renouvellements des mandats de détentions provisoires des inculpés étaient évoqués pour justifier officieusement la «perturbation des auditions». Mais l’on était fixé sur le fait que tous les membres du «commando de la mort», ces personnes suspectées d’être impliquées directement dans l’enlèvement et la disparition de l’animateur radio avaient été entendus, de même que l’homme d’affaires Amougou Bélinga et le commissaire divisionnaire Maxime Léopold Eko Eko, le patron de la Dgre. D’ailleurs, Kalara apprenait aussi des sources proches de l’enquête que des auditions de plusieurs responsables de la Dgre avaient eu lieu, de même que certaines confrontations. Mais alors que la suite logique commandait que l’ancien directeur des opérations de la Dgre soit immédiatement entendu, cette perspective n’a jamais été réalisée en dépit de nombreux rendez-vous finalement avortés. Mais, il y a quelques jours, l’hebdomadaire du monde judiciaire est reparti aux nouvelles par rapport au dossier Martinez Zogo. Et diverses sources dignes de foi ont attesté que l’enquête se déroule au ralenti. «Toujours pas d’audition du lieutenant-colonel Danwé en dépit de nombreux convocations infructueuses finalement», a confié l’une des sources. Qu’est ce qui justifie cette situation ?, s’est-on permis de poser la question. Et votre journal a reçu la réponse suivante : «le juge d’instruction a ordonné une nouvelle expertise des téléphones et des contacts». Le magistrat-militaire serait donc en attente des résultats de cette expertise avant de poursuivre son enquête. Pour certains observateurs, cette explication ne tient pas la route dès lors que le nombre des auditions n’est pas limité tant que le juge est dans les délais et en éprouve la volonté. Le juge d’instruction serait-il confronté à des pressions visant à retarder le plus possible son enquête ? Il y en a qui le pensent même s’ils n’en ont pas la preuve. Rappelons qu’au début de l’enquête policière ouverte à la suite de la mort de Martinez Zogo, les premières déclarations attribuées au lieutenant-colonel Justin Danwé avaient fait sensation. Reporters Sans frontières (RSF) avait d’ailleurs construit plusieurs de ses sorties médiatiques sur la base du PV d’audition de l’officier supérieur. RSF, citant ce PV d’audition que disait avoir consulté le responsable des enquêtes de l’ONG de défense des droits des journalistes, avait déclaré, à plusieurs reprises, qu’une certaine personnalité politique, un membre du gouvernement, était intervenu alors que l’animateur radio était encore en vie, pour demander qu’il soit neutralisé à jamais. Cette version des faits n’a jamais cessé d’alimenter la controverse auprès de l’opinion publique… Benoît Balla De ce fait, l’audition de M. Justin Danwé par le juge d’instruction lui-même apparaît comme un moment clé de l’enquête en cours. Certaines personnes redoutent-elles les déclarations du lieutenant-colonel ? Ce n’est pas exclu. Et le prétexte de l’attente des résultats d’une nouvelle expertise judiciaire sur les téléphones et les contacts n’est pas de nature à rassurer certains observateurs, d’autant que dans une affaire similaire, l’enlèvement suivi de la mort de l’évêque de Bafia, Mgr Benoît Balla, le parquet général près la Cour d’appel du Centre avait, sans qu’il n’en donne les raisons dans un communiqué public, ignoré le contenu du rapport de l’autopsie pratiquée par des légistes camerounais sur la dépouille du pasteur peu après son repêchage dans les eaux de la Sanaga. Pour conclure finalement à la thèse de la noyade volontaire du prélat, vivement contestée y compris dans les milieux de l’Eglise catholique, le haut magistrat s’était appuyé sur un rapport d’autopsie pratiqué par des légistes allemands dont personne n’a jamais su comment ils étaient arrivés dans le dossier. Rappelons cependant que la loi camerounaise portant code de procédure pénale a prévu un délai maximum de 18 mois pour clôturer les enquêtes criminelles ayant donné lieu à l’interpellation puis le placement en détention des inculpés. Pour l’heure, ce délai est loin d’être expira dans le cadre de l’affaire Martinez Zogo.

Les tergiversations du juge d’instruction face à Justin Danwé

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