Jacques Kinene-jkine7@yahoo.fr
«Depuis le lancement de leur mouvement ambazonien, les membres de ce groupe n’avaient jamais tué un militaire ou un civil dans mon territoire de compétence. Je n’ai jamais entendu parler de viol de femmes dans ma localité. Ils ont toujours opéré comme des kidnappeurs et des ravisseurs des biens et du bétail ». Ces déclarations sont celles du Fon Mohamed, chef de village de Ntumbaw dont la localité de Ngarbuh III fait partie. Il ajoute que c’est Chey Jalal, un de ses sujets, qui l’avait informé au palais de ce que les soldats chargés de la sécurité de son village ont tué des personnes dans la localité de Ngarbuh III. Lors de sa descente sur les lieux, il dit avoir trouvé 4 tombes et de nombreuses personnes en larmes.
Interrogé par Me Amongwa, le principal avocat de l’accusation, Fon Mohamed a donné sa version des faits au centre de l’actuelle procédure judiciaire le jeudi 18 juin 2021. Il témoignait devant le Tribunal militaire de Yaoundé, les faits de coaction de meurtre, incendie, destruction, violence sur femme enceinte et violation de consigne, survenus le 14 février 2020 à Ngarbuh III. Des faits imputés au sergent d’armée Baba Guida, le soldat Gilbert Haranga appartenant au 52 ème bataillon d’infanterie et le gendarme Maxwell Tita Nfor. Le chef de village venait éclairer la lanterne du tribunal en parlant à la place des victimes qui, selon lui, ne peuvent pas, faute de moyens financiers, effectuer le déplacement de Yaoundé.
Fon Mohamed dit n’avoir pas vécu les faits au centre de cette procédure. Il explique que son témoignage repose sur les informations recueillies auprès des survivants du village sinistré. Lors de sa descente sur les lieux du drame, il avait trouvé quatre tombes dans lesquelles, on avait inhumé les 21 personnes tuées. Parmi celles-ci, il y avait une femme enceinte, et un certain Seka, le pionnier du mouvement ambazonien qui a bâti sa réputation dans la localité de Ngarbuh où il semait la terreur. Il raconte que les habitants lui ont fait état de ce que 6 maisons avaient été incendiées par les éléments de forces de l’ordre renforcés par les membres du groupe d’auto-défense qu’il avait mis en place sur instruction des autorités administratives de la place.
Au cours de cette opération meurtrière, aucun militaire, à sa connaissance, n’avait été blessé ou tué. Il dit que l’armée ne l’a pas associé à cette opération. «Je n’avait été mis au courant de la descente de l’armée à cet endroit. Ce n’est que le lendemain que j’ai appris le drame. Il m’a été révélé que ce sont les soldats chargés de la sécurité à Ntumbaw qui ont tué les personnes à Ngarbuh. Mais je ne peux pas déterminer les auteurs exacts de ce drame. J’ai ordonné que les rites de purification se fassent avant mon arrivée sur les lieux», a-t-il déclaré.
21 personnes tuées ?
Le chef de village a nié avoir des connivences avec les amba-boys. «Je ne protège pas ces gens, sinon je n’aurai pas formé un comité d’auto-défense et demandé aux parents d’envoyer les enfants à l’école. J’avais été, d’ailleurs, une de leurs victimes. Ils m’ont volé le bétail et m’ont kidnappé et retenu en brousse pendant 7 jours», a confié Fon Mohamed. Il a également déclaré avoir dénoncé auprès des autorités compétentes Seka qu’il connaissait bien comme fils du terroir faisant partie du groupe décrié. Sauf qu’il reconnaît son erreur de n’avoir pas dénoncé ce dernier au sergent Baba Guida qui assurait pourtant sa sécurité quotidienne. Il indique, par ailleurs, qu’il était pratiquement impossible pour lui, de connaître toutes les personnes appartenant au mouvement ambazonien dans un village qui comptait une population de plus de 1300 personnes. Fon Mohamed précise qu’avant l’opération du 14 février, les habitants de cette localité agropastorale vivaient dans une paix relative perturbée de temps en temps par les incursions des camarades de Seka.
Dans la suite de son récit, le chef de village indique que le sergent Baba Guida a bien rempli sa mission lorsque ce dernier assurait la sécurité de son palais. Ce qu’il reproche à ce militaire, ce sont les actes de meurtre et d’incendie des maisons des personnes civiles qui lui sont imputés. Il indique en outre que le Gouverneur du Nord-Ouest et sa suite ont remis aux quatre familles des ayants-droit des défunts des enveloppes dont il ignore le montant. Il a promis de donner au tribunal la liste des bénéficiaires de cette dotation financière. Le collège des juges en charge du dossier a demandé que le représentant du Fon Mohomed dans la localité, qui aurait vécu personnellement les faits litigieux, comparaisse à la prochaine audience pour édifier davantage le tribunal.
Fougue des avocats
Au cours de cette audience programmée le 15 juillet 2021, le témoignage du chef de Bataillon Charlie Nyangono Ze, responsable de l’unité à laquelle appartenaient les accusés, est très attendu. Mme Akoa, qui conduit la collégialité en charge du dossier, a du pain sur la planche. Elle doit en même temps contenir la fougue des avocats des parties au procès et se démener à corriger la traduction approximative de M. Epale Dissake, interprète près la Cour d’appel du Centre.
En rappel, une opération militaire effectuée à Ngarbuh le 14 février 2020, s’était soldé par de nombreuses pertes en vies humaines et des dégâts matériels importants. Les militaires avaient tenté de dissimuler leurs actes en incendiant des habitations et en produisant un rapport erroné, créant ainsi une polémique sur le bilan de l’opération meurtrière. Une commission mixte mise sur pied par le ministre de la défense fait état, pour sa part, de la mort de cinq amba-boys et de 13 personnes civiles. Des conclusions qui avaient été contestées par les organisations de Droit de l’Homme qui parlaient de de 21 personnes civiles tuées dont une femme enceinte. Ces derniers chiffres ont été confirmés par le Fon de Ntumbaw devant le tribunal militaire de Yaoundé.