Le coup de force de la SCB Cameroun à la Cour d’appel

Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com Alors que la Cour d’appel du Centre avait programmé de rendre sa décision le 6 décembre 2023 dans l’affaire qui oppose la Société commerciale de Banques (SCB) à NB Sera Sarl, une PME de Bâtiments et Travaux publics (BTP), un rebondissement complètement inattendu est intervenu le jour dit. Le collège des trois juges de l’audience correctionnelle et de simple police de ce jour-là a décidé de faire rouvrir les débats dans cette procédure judiciaire où la banque répond de trois infractions : «abus de confiance», «faux en écriture» et «escroquerie». Le délibéré a ainsi été rabattu, pour emprunter au jargon judiciaire, et l’affaire a été renvoyée au 27 décembre 2023, soit la semaine prochaine, suscitant de vives contestations de la part des avocats de la PME camerounaise, qui y voient une récusation frauduleuse du juge qui avait jusque-là examiné le dossier. En fait, le 15 novembre précédent (audience du 2 e mercredi du mois), lors de la clôture des débats dans cette affaire, le collège des juges était présidé par M. Mekanda Mbili Joseph. Ce dernier était épaulé par les vice-présidents Njiokeng Dénis et Tankoua Gabriel Pascal. Les conseils de la banque étaient venus avec l’intention d’obtenir un nouvel ajournement de l’examen du dossier après une longue pause dû à la saisine de la Cour suprême par la même SCB pour une contestation procédurale déjà jugée dilatoire. Bien qu’ayant essuyé un échec de son recours devant la haute juridiction, la banque, prétendant avoir saisi parallèlement la présidente de la Cour d’appel pour espérer une décision à son avantage, sollicitait un nouveau renvoi. Que le représentant du parquet et les conseils de la PME camerounaise jugeaient inutilement dilatoire. Et l’équipe du président Mekanda Mbili décidait de mettre l’affaire en délibéré. Ce même 15 novembre 2023, pour une autre procédure judiciaire où NB Sera Sarl poursuit encore la SCB pour «refus d’exécuter une décision de justice» notamment, Me Emmanuel Mbiam, avocat de la banque, avait sollicité un renvoi de deux mois pour, arguait-il, la production de nouvelles pièces au soutien de la cause de sa cliente. En dépit de l’opposition faite par le parquet et les conseils de la PME contre cette autre «manœuvre dilatoire» , le collège des juges coupait la poire en deux en donnant rendez-vous deux semaines plus tard à la banque. Le président Mekanda Mbili expliquait d’ailleurs que les usages de la Cour d’appel du Centre voudraient qu’une affaire correctionnelle ne prenne pas plus de six mois pour connaître un verdict. Le 6 décembre 2023 apparaissait donc comme un délai exceptionnel donné à la banque pour faire valoir ses arguments. Mission commandée ? Chose curieuse, le 6 décembre 2023, M. Mekanda Mbili Joseph est absent à l’audience. Il bénéficierait de son congé (d’une permission d’absence), selon certaines indiscrétions. Et pour le remplacer, Mme Ekodeck Désirée, autre vice-président de la juridiction prend place à la tête du collège des juges où siègent toujours les vice-présidents Njiokeng Dénis et Tankoua Gabriel Pascal. En principe, selon les usages judiciaires, la cour devrait renvoyer les affaires du jour en tenant compte du retour du juge Mekanda Mbili. Or, faisant fi des débats précédents, le trio décidera de renvoyer les deux affaires au 27 décembre 2023 (4 e vendredi du mois). Il s’agit en fait d’un dessaisissement du collège des juges qui connaît de l’affaire depuis 2021, puisque la nouvelle date choisie correspondant à l’audience d’une autre composition de la Cour d’appel du Centre. Lors de l’appel des deux dossiers, Me Emmanuel Mbiam, qui avait pourtant annoncé son absence pour le 6 décembre 2023 lors de l’audience du 15 novembre précédent pour justifier une demande de renvoi au 17 janvier 2024, est bien là. La cour fait mine de ne pas se souvenir que l’une des affaires est en attente simplement d’une décision, en dépit de l’intervention du représentant du ministère public et des avocats de NB Sera Sarl, qui en font le rappel aux juges. Que s’est-il passé ? Mme Ekodeck Désirée est-elle en mission commandée ? La présidente de la Cour d’appel du Centre est-elle au courant du transfert des deux dossiers d’un collège des juges à un autre, qui vaut reprise intégrale des débats ? Dans les deux procédures judiciaires en examen, la SCB a déjà été déchue de ses appels contre deux décisions du Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé centre administratif qui lui sont toutes défavorables. Son sort semble scellé d’avance. Une main noire esssaie-t-elle de changer la donne ? De toutes les façons, les conseils de la PME camerounaise ne l’entendent pas de cette oreille. Dans un courrier adressé le 12 décembre 2023 au ministre de la Justice, Me Atangana Amougou sollicite l’intervention du Garde des Sceaux. «Le changement de composition de la Cour d’appel du Centre est inadmissible, car il s’apparente à une récusation dont l’issue ne saurait être le retrait immédiat du dossier de procédure à une collégialité de la cour pour le confier à une autre, alors même qu’aucun examen de la requête aux fins de la récusation n’a été fait par les instances compétentes. Ce changement de composition fait craindre une fraude. C’est la raison pour laquelle je sollicite votre intervention afin que les deux dossiers de l’affaire […] soient restitués à la collégialité de la Cour d’appel du Centre qui y a mené les débats depuis de longs mois. Afin que celle-ci puisse statuer sur cette cause et en fixer l’épilogue au niveau de ladite cour.» La PME camerounaise sera-t-elle entendue ? Il faudra attendre l’audience du 27 décembre 2023 pour en avoir peut-être une indication. Banque déboutée Pour rappel, dans la procédure où la SCB Cameroun est poursuivie pour «rétention sans droit de la chose d’autrui» et «refus d’exécuter une décision de justice» , la Cour d’appel du Centre avait déjà rendu son arrêt. Le 2 février 2022 en effet, la banque avait été condamnée notamment à payer 800 millions de francs à la PME de BTP. Mais, par l’organe de ses avocats, la SCB avait fait opposition à cette sentence prononcée en son absence. Lors de l’audience du 15 novembre 2023, les conseils de la SCB n’avaient pas été en mesure de justifier cette opposition. Tout juste avaient-ils indiqué que la banque poursuivait la promotrice de NB Sera Sarl, Mme Ndongo Séraphine épouse Essengue, devant le TPI de Yaoundé CA pour faux témoignage, en s’appuyant sur une correspondance récente du ministre des Travaux publics. Jugeant que la banque manquait d’arguments, les avocats de la dame demandaient à la Cour de s’en tenir aux arguments qui avaient prévalu en février 2022 pour la condamnation de la SCB. Le parquet s’inscrivait dans la même logique : «Il n’y a pas de fait déterminant qui puisse changer la donne dans le dossier. Les pièces produites sont ridicules. Vous allez reprendre les termes de votre brillante décision déjà rendue. Le parquet s’oppose avec la plus grande énergie à un quelconque renvoi aujourd’hui. Vous allez mettre l’affaire en délibéré», avait soutenu le représentant du ministère public. Dans le second dossier opposant les parties, la situation est quasi-identique. Les débats étaient déjà clos lorsque la SCB avait paralysé le procès en saisissant la Cour suprême pour protester que la Cour d’appel ait déclaré son appel irrecevable. La haute juridiction a débouté la banque, ouvrant la voie à une nouvelle condamnation. Ces deux affaires sont nées, faut-il le rappeler, du fait pour la banque d’avoir d’abord confisqué une avance de démarrage du chantier de NB Sera Sarl reçue du Fonds Routier, empêchant ainsi à la PME d’exécuter un marché public remporté auprès du ministère des Travaux publics. En dépit d’une décision judiciaire enjoignant la SCB à reverser les sommes en question à la société de BTP pour exécuter son chantier, cette dernière avait encore opposé de la résistance. Lors du contentieux judiciaire suscité par cette situation, une expertise judiciaire ordonnée sur la tenue du compte de NB Sera Sarl dans les livres de la SCB Cameroun mettait en exergue de mirobolantes ponctions financières jugées indues de la part du banquier. C’est pour obtenir réparation de tous ces abus que les deux parties s’affrontent en justice. La banque semble prête à tous les coups désormais pour ne pas être condamnée.

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