Par LOUIS NGA ABENA – louisnaage@yahoo.fr
«Votre honneur, je suis très ému. Je vais vous dire une chose : j’ai produit la première image de la télévision nationale. Jusqu’à maintenant on continue de diffuser les feuilletons que j’ai conçus de ma tête. Les pièces que j’ai présentées ne résistent pas à l’analyse des faits. Je suis venu ce matin ayant en conscience que je serais acquitté. Qu’est-ce que le pays va gagner en me mettant à mort ? Restez en paix !» Telles sont les dernières paroles prononcées en public par le Pr Gervais Mendo Ze. C’était le 19 mars 2019. Le Tribunal criminel spécial (TCS) venait de le déclarer coupable de détournement de la somme totale de 18,3 milliards de francs. Secoué par ce verdict rendu après quatre années de procès, l’ancien DG de la Crtv avait dit son «dernier mot». Il a véritablement commencé à péricliter ce jour-là.
Après la sentence prononcée contre lui, qui fixait à 20 ans la peine d’emprisonnement décidée contre lui, il était resté hagard dans la salle d’audience pendant de longues minutes, avant de partir du premier étage du bâtiment abritant les salles d’audience du TCS et prendre place dans le car Hiace de la prison pour son retour à Kondengui. Plusieurs membres de sa famille, dont son épouse, et de nombreux membres de sa célèbre chorale, la Voix du Cénacle, étaient là pour l’assister, dans une manière de consolation.
Depuis cette période, on a rarement encore entendu parler du Pr Mendo Ze. Sauf quand, à la mi-mars 2021, une vaste campagne orchestrée sur les réseaux sociaux en vue d’obtenir sa remise en liberté l’a réinstallé dans les conversations des Camerounais. Bien connu pour sa générosité excessive à l’époque où il était encore DG de la Crtv et partageait sans compter l’argent de l’entreprise publique, l’homme jouissait d’une très bonne réputation auprès de ses concitoyens. Sa mise en détention en novembre 2004, presque 10 ans après son départ de la Crtv, c’est-à-dire à la veille de l’expiration des poursuites pénales à son égard, avait choqué plusieurs de ses compatriotes. Ces derniers étaient nombreux à s’opposer à son emprisonnement. Le même élan a été observé lorsque la toile s’est mise à réclamer, à défaut de son évacuation sanitaire, sa remise en liberté par le moyen d’une grâce présidentielle.
Grâce hypothétique…
Pour forcer la main au président de la République et obtenir l’élargissement de l’ancien DG de la Crtv, ses proches n’ont pas hésité à attenter à sa dignité. De nombreuses images de lui, tournées alors que son état physique n’était plus vraiment à son avantage, ont été diffusées sans aucune retenue. La photo d’une visite à lui rendue par M. Michel Meva’a M’Eboutou, ancien ministre et proche parmi les proches du président de la République, a fait le tour du monde dans le but de l’absoudre de sa condamnation pénale. La toile était devenue folle. Il a fallu attendre le 24 mars 2021, soit le jour de l’anniversaire de la création du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), le parti au pouvoir, pour qu’une rumeur annonçant que le président de la République avait décidé d’une mesure de grâce en sa faveur soit diffusée. La toile a alors cessé de hurler…
Au fait, Gervais Mendo Ze pouvait-il bénéficier d’une grâce présidentielle à ce moment-là ? La réponse est non, compte tenu des dispositions légales qui subordonnent ce type de mesure, au Cameroun, au fait que son bénéficiaire potentiel ne soit plus que sous le coup d’une ou plusieurs décisions de justice devenues définitives. Or, l’ancien DG n’en avait pas encore achevé avec la Justice. L’unique dossier judiciaire le concernant était encore en examen à la Cour suprême, ses compagnons d’infortune et lui-même ayant exercé des recours après la condamnation prononcée à leur encontre en 2019 par le TCS.
D’où est donc venu la rumeur annonçant sa remise en liberté ? Plusieurs sources indiquent que de nombreuses personnalités plus ou moins proches du chef de l’Etat s’étaient engagées à plaider sa cause auprès de ce dernier. Et c’est le cabinet civil de la présidence de la République, apprend-on des sources familiales de l’intéressé, qui aurait confirmé à son épouse que le chef de l’Etat avait donné son accord pour que l’ancien DG soit désormais libre de ses mouvements. C’est ce message qui aurait été perçu comme une décision de grâce.
Le Pr Mendo Ze pouvait-il bénéficier, comme certains autres prisonniers, d’une évacuation sanitaire ? Sans doute, mais à condition que ce soit sur la base d’un rapport soutenu par ses médecins traitant et mettant en exergue la pauvreté du plateau technique local à faire face à ce dont il souffrait. Il est connu de source familiale que l’ancien DG était diabétique et hypertendu avec parfois d’autres complications… Pour moins que ça, certains ont obtenu de se faire soigner à l’extérieur sur le dos de la princesse. Tout était donc possible.
Hommages et mensonges
Mais M. Mendo Ze était-il en manque de soins depuis le début de sa maladie ? Il est difficile de l’affirmer. Pendant presque deux ans, témoignent certains de ses proches, il était interné au Pavillon VIP de l’Hôpital central de Yaoundé et ses soins étaient pris en charge par l’Etat. Il n’était pas dans un mouroir. Il n’empêche, l’annonce de son décès à l’âge de 77 ans, le 9 avril 2021, a attristé plusieurs Camerounais. Plusieurs hommages lui ont été rendus ici et là, notamment à la Crtv où il avait passé 17 années. L’homme de culture et de lettres a été célébré. Certains, dans une tentative de récupération politique mal maîtrisée de l’événement, ont laissé entendre qu’il avait déjà été gracié par le chef de l’Etat. Une contre-vérité vite contestée par certains juristes.
Rappelons que le Pr Mendo Ze était accusé d’avoir distrait de fortes sommes d’argent à l’époque où il occupait les fonctions de directeur général (DG) de la Cameroon Radio Television (Crtv). Précisément, on fait le reproche au défunt DG de s’être octroyé des primes indues à l’instar de l’indemnité de transport, de représentation, de déplacement, de fin d’année tirée de la redevance audiovisuelle. Le gros morceau les faits présumés de gonflement de la redevance audiovisuelle d’un montant de 15,3 milliards de francs. Ces faits avait été mis en lumière à la suite d’une mission de vérification de sa gestion par le Contrôle supérieur de l’Etat pour les exercices 2004 et 2005.
Lors de son procès devant le TCS, M. Mendo Ze passait en jugement en compagnie de plusieurs personnalités. Il s’agit de l’ancien ministre de l’Economie et des Finances, Polycarpe Abah Abah, Jean-Marie Akono Ze, l’ancien point focal de la Crtv à la Trésorerie générale de Yaoundé (TGY) en charge des questions de la redevance audiovisuelle (RAV), Jean Paul Amang Bitegni, l’ex-membre de la commission des finances de la Crtv. Tous avaient écopés de 18 ans d’emprisonnement. Déclarés en fuite durant le procès, Elisabeth Mongori, Patricia Enam épouse Méloné et Samuel Andang, tous d’anciens cadres à la Crtv avaient écopé de l’emprisonnement à vie.
Ministre délégué à la Communication entre 2004 et 2007, le Pr Mendo Ze a occupé le fauteuil de DG de la Crtv 17 ans sans discontinués. Auteur prolixe et universitaire de renom, il laisse à la postérité de nombreuses œuvres littéraires et artistiques. Auteur-compositeur, il était par ailleurs un adepte des musiques religieuses et le promoteur de la célèbre chorale «La voix du Cénacle»