La vraie-fausse mise à la retraite forcée du président Arroye Betou

Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com M. Emmanuel Arroye Betou, le président de la Cour d’appel du Littoral, a-t-il été notifié de son départ à la retraite par le ministre de la Justice à compter de février 2025 ? Cela fait une dizaine de jours (16 novembre 2024) que cette rumeur a été mise en circulation par l’activiste camerounais de Facebook, Boris Bertold. S’il est vrai que la période indiquée dans la publication correspond à la date anniversaire du président Arroye Betou, qui aura donc atteint ses 65 ans, synonyme d’âge limite de départ à la retraite pour les hauts magistrats (magistrat de 4e grade et magistrats hors hiérarchie), cette rumeur n’est pas prise au sérieux dans les milieux judiciaires. Et pour cause : la procédure de notification du départ à la retraite telle qu’annoncée par l’activiste ne correspond pas à la pratique en vigueur dans la magistrature camerounaise. La rumeur est-elle pour autant dénuée de fondement ? Selon des sources dignes de foi, la réponse est nuancée. Confronté à l’inéluctabilité de la fin de sa carrière, l’actuel président de la Cour d’appel du Littoral aurait directement saisi le président de la République d’une demande de prorogation de son départ à la retraite. Cette demande a été transmise par le secrétaire général de la présidence de la République au ministère de la Justice, ministère employeur du magistrat, pour avis. Or, l’avis émis par le ministre de la Justice s'est révélé défavorable à la demande de M. Arroye Betou. La réponse transmise au concerné ne pouvait donc être que le rejet de sa demande. «Dans le principe, explique un responsable du ministère de la Justice sous anonymat, c’est le ministre utilisateur qui formule la demande de prorogation en y joignant un avis motivé mettant en exergue les nécessités du service. Si les choses ne se sont pas passées ainsi, il était difficile que l’avis du ministre de la Justice soit favorable à la demande formulée par le président de la Cour d’appel du Littoral. Encore que le fait de saisir directement la présidence de la République d’une telle demande, si les choses se sont passées ainsi, peut être perçu comme un acte de déloyauté à l’égard du Garde des Sceaux.» Notre source soutient que l’échec de ce type de démarche est banal. Mais il précise que la situation professionnelle personnelle du haut magistrat concerné n’est pas influencée par le sort de sa demande. «Le rejet d’une demande de prorogation de la date de départ à la retraite pour un fonctionnaire n’est pas une sanction», dit-il, en martelant que «la retraite n’est pas une sanction.» Carrière sans anicroche Le départ à la retraite de M. Arroye Betou dans les conditions décrites par Boris Bertold serait d’autant plus improbable que plusieurs autres magistrats âgés de 65 ans et plus sont encore en service dans les hautes sphères de la justice et de l’administration, sans bénéficier d’une prorogation de service pour certains, ou alors que la prorogation dont ils ont bénéficié est devenue caduque. Tous les hauts responsables de la Cour suprême du Cameroun, plusieurs présidents, procureurs généraux, vice-présidents et avocats généraux en service dans les cours d’appel, ainsi que la plupart des plus proches collaborateurs du ministre de la Justice de rang directeur d’administration centrale ou plus, sans que l’énumération soit exhaustive, sont concernés par la situation. Tous attendent donc patiemment la tenue de la prochaine session du CSM pour savoir ce qu’il adviendra de leur carrière. En dépit de son initiative solitaire, l’actuel président de la Cour d’appel du Littoral fait partie de ceux-là. Toutefois, la campagne déclenchée sur les réseaux sociaux par l’échec de l’initiative du président Arroye Betou de faire proroger sa carrière n’est pas anodine, selon les observateurs de la justice. Pendant longtemps (bien que rien ne garantit que c’est fini), ce haut magistrat a été perçu comme un homme clé du système. Il a connu une carrière sans anicroche depuis sa sortie de l’École nationale d’Administration et de Magistrature (Enam) en 1985, dans la même promotion que certains noms célèbres de la magistrature tels qu’Ange Michel Angoing (ancien ministre), Yap Abdou (président de la chambre des comptes), Jean Robert Foe (procureur général près la Cour d’appel du Littoral), Mme Justine Aimée Ngounou Tchokonthieu (procureur général près le Tribunal criminel spécial), sans citer d’autres camarades de promotion, tous toujours en activité. Dans sa génération, il a atteint le sommet de la carrière (magistrat hors hiérarchie premier groupe) en même temps que les plus précoces. Cela fait presque deux décennies qu’il occupe les hautes fonctions de président de cour d’appel. Nommé pour la première fois à la tête de la Cour d’appel de l’Ouest, après avoir devancé des aînés dans le corps qui lorgnaient sur la fonction après le départ prématuré du précédent occupant du poste, il a ensuite été affecté à la Cour d’appel du Centre avant d’être nommé à la Cour d’appel du Littoral où il est en poste. Doté d’une forte personnalité, l’homme est affublé du sobriquet d’«empereur», qui témoigne, dit-on, de la façon dont il exerce son autorité sur ses collaborateurs. À la Cour d’appel du Centre, il a renforcé sa réputation d’homme sûr du système, orchestrant quasiment la première condamnation de l’ancien secrétaire général de la présidence de la République, M. Atangana Mebara, acquitté quelques semaines plus tard pour faits non établis dans une affaire de détournement de fonds publics. Il s’est sans doute mis à dos certains piliers du système en place, notamment le ministre d’État Laurent Esso, depuis qu’il est à Douala. Il y a un peu plus d’un an, fin septembre 2023, le président Arroye Betou avait fait sensation en infligeant une défaite à M. Lazare Atou, gestionnaire d’un vaste patrimoine de l’État issu de la liquidation de trois sociétés d’État, dans une procédure judiciaire l’opposant à de hauts fonctionnaires du Contrôle supérieur de l’État (Consupe). L’arrêt rendu par la Cour d’appel du Littoral à cette occasion marquait un coup d’arrêt brutal à une série de victoires remportées par celui qu’on présente comme le protégé de l’actuel ministre de la Justice. Cet arrêt donnait un bol d’oxygène au camp d’en face, avec en arrière-plan le secrétaire général de la présidence de la République, M. Ferdinand Ngoh Ngoh, dans ce qu’on présente comme la lutte d’influence entre ces deux personnalités pour le contrôle du pouvoir. Dans les milieux de la magistrature, la décision avait scellé le divorce entre le président Arroye Betou et le ministre d’État Laurent Esso. Retour d’ascenseur Parallèlement à cette situation, dans les milieux de la magistrature et pour des raisons qui échappent à Kalara , l’actuel PCA du Littoral n’est pas réputé entretenir d’excellents rapports avec certains de ses collègues, notamment son prédécesseur direct à Douala, le conseiller à la Cour suprême Minko Minko Abel, qui est aussi le secrétaire du Conseil supérieur de la Magistrature, et le chef de la division des affaires judiciaires de la présidence de la République, M. Jean Claude Awala Wodougue. Si, pour certains observateurs, le rejet de la demande de prorogation du départ à la retraite de M. Arroye Betou est la conséquence de toutes ces inimitiés, d’autres soutiennent que cette situation a influencé le choix du haut magistrat de «court-circuiter» le ministère de la Justice en espérant bénéficier d’un retour d’ascenseur à la présidence de la République par une saisine directe. Quoi qu’il en soit, rien n’indique de façon irrévocable que M. Arroye Betou quittera la magistrature en février 2025. En fait, sauf tenue d’une session du Conseil supérieur de la Magistrature dans l’intervalle, le haut magistrat restera en fonction à la tête de la Cour d’appel du Littoral encore un moment. «La carrière des magistrats, et particulièrement celle des juges et responsables des juridictions, est gérée par le Conseil supérieur de la Magistrature (CSM)» , comme le rappelle la source de Kalara déjà citée. Le CSM seul peut, au regard d’une longue pratique, mettre un terme à la carrière d’un président de Cour d’appel, en émettant un avis dans ce sens à l’attention du président de la République, qui prend la décision. Or, le CSM n’a pas siégé depuis cinq ans. Et personne ne peut jurer qu’il siégera avant longtemps. Lire aussi : Lazare Atou perd face au Consupe à Douala… Esso un genou à terre

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