Au cours de son audience du jeudi 3 février 2022, le Tribunal administratif de Douala s’est déclaré «compétent» pour trancher le différend qui existe du point de vue de la Société de Négoce et de Transport du Cameroun (Sonetranscam) entre elle et la Société nationale des hydrocarbures (SNH). Via ce jugement avant-dire droit (préalable avant de statuer au fond), dont Kalara a obtenu copie, le trio de juges a ainsi donné raison à la PME Sonetranscam et débouté la SNH qui avait soutenu que son contrat envisagé n’est pas justiciable devant la juridiction administrative dès lors qu’un décret de 2018 qui la réorganise exclut ses contrats du champ des marchés publics. En effet, l’entreprise publique avait été traînée au tribunal par Sonetranscam à la suite d’un contrat de transport des produits pétroliers qui s’est déroulé de manière insatisfaisante, vu l’objet de l’accord.
Les arguments du juge administratif sont une combinaison du plaidoyer du demandeur et du ministère public, auquel il a ajouté ses propres explications. Le procureur de la République, mentionne la décision, a notamment souligné que «les contrats passés par les entreprises publiques dans le cadre de la gestion de leurs investissements sont administratifs, à l’opposé de ceux liés à la commercialisation de leurs produits». La référence légale de cette explication est l’article 5 du Code des marchés publics de 2004, règlementation en vigueur au moment du contrat. Dans le cas examiné, «il est constant que l’objet du contrat passé avec la SNH n’entre pas dans la commercialisation de ses produits, mais dans l’exploitation de son investissement», complète le tribunal.
Crédit non remboursé
L’affaire a commencé quand la SNH sollicite en 2011 par appel d’offres des transporteurs pour enlever du site de Mvia, non loin d’Edéa, des produits pétroliers qu’elle y extrait. Selon la Sonetranscam, la SNH a unilatéralement modifié les conditions de prestation du service. «Le contrat était clair et se résume ainsi : apportez tel nombre de camions pour transporter telle quantité de brut tel jour. Nous avons apporté les camions et il n’y avait rien à transporter pendant longtemps. C’est comme si vous engagez un répétiteur pour vos enfants et quand il se présente, vous ne présentez pas les enfants pour bénéficier de l’encadrement. Tantôt parce qu’ils sont ailleurs, tantôt parce que vous-même vous n’êtes pas là. A la fin du mois, allez-vous prétendre ne pas payer parce que les cours de répétition n’ont pas toujours eu lieu ?», avait expliqué l’émissaire du transporteur lors d’une audience en octobre 2021. La conséquence de tout cela est que la PME Sonetranscam aurait eu du mal à faire face à des créances spécialement contractées pour l’affaire de Mvia.
«Votre tribunal est incompétent», avait rétorqué l’avocat de la SNH. Pour lui, il s’agit d’un contrat de transport qui serait du ressort du juge civil, et du domaine de l’Ohada, du nom de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique. La demande de réparation rejetée n’est de toute façon pas justifiée, car il s’agirait d’un cas de force majeure d’après la SNH : le puits de Mvia a tari. Tout au moins, momentanément, car la compagnie minière cherche encore des moyens pour le forer davantage. Preuve qu’elle n’a pas fourni les matières à transporter en toute bonne foi, pour des raisons tellement imprévisibles que sa volonté et sa responsabilité ne sauraient être mises en cause.
Mieux, soulignait encore la SNH, personne d’autre n’a été sollicité pour ce faire, ce qui aurait manifesté une intention malveillante contre l’autre partie. «Sonetranscam ne peut pas dire qu’elle n’a pas pu rembourser son crédit à cause de l’interruption du contrat car ce crédit devait être remboursé jusqu’en 2014 et c’est seulement en 2018 que le puits s’est arrêté. Ils auraient pu payer la banque avec ce que mon client leur a versé avant», avait encore précisé l’avocat de SNH face aux récriminations du transporteur se disant asphyxié et méprisé par l’attitude du mastodonte.
Incompétence des gens
Il n’y a pas en effet jusqu’au préjudice sentimental que le représentant de la Sonetranscam n’avait évoqué pour dire son courroux face à l’attitude de son partenaire d’affaires devenu adversaire dans le prétoire du tribunal administratif du Littoral lors de son audience du jeudi 28 octobre 2021. L’homme avait parlé de «l’incompétence des gens de SNH», à qui il a apporté des solutions au-delà de son contrat, offrant gracieusement telle adresse de professionnels, tel conseil au passage, allant jusqu’à fournir du matériel que la Société nationale des Hydrocarbures aurait utilisé huit fois plus longtemps que le temps prévu pour le prêt. Et quand il avait voulu parler de pratiques riveraines de «sorcellerie», la présidente du collège de juges lui a gentiment fait comprendre que l’on était largement sorti du champ du conflit qui porte sur une réclamation de réparation : sept milliards de francs pour un contrat qu’il estime avoir été abusivement rompu.
Pour le ministère public, le décret de 2018 étant intervenu après le contrat objet du différend, la SNH ne devrait pas s’en prévaloir pour échapper à la justice administrative. Son argumentaire évoquait des précédents : «C’est une jurisprudence constante. Le code des marchés publics ne peut pas regrouper tous les types de marché et de relations qui impliquent les pouvoirs publics. Le juge apprécie souverainement par la technique du faisceau d’indices pour qualifier tel ou tel contrat comme étant administratif ou pas.» Dans son plaidoyer, le ministère public soulignait alors que dans «le cadre de ce contrat commercial extraordinaire, SNH pouvait modifier « unilatéralement » les termes, ce qui constitue un privilège « exorbitant ». Toutes choses caractéristiques de la puissance publique réservées à une entreprise qui gère le bien public. Sujétion spéciale et déséquilibre feraient donc de l’affaire un contrat administratif et du tribunal de céans, le juge compétent». Le parquet a donc été suivi, contrairement à ce que dit notre précédente publication. Sonetranscam devra donc attendre la suite de la procédure, pour savoir si, au fond, ce qu’il estime être une faute inexcusable, sera sanctionné.
Une méprise à l’audience
Lors de l’audience du 3 février 2022, la salle d’audience du tribunal administratif du Littoral était comme souvent pleine et relativement calme quand la cour a prononcé ses délibérés du jour. Mais faute de sonorisation, la lecture des décisions était fort peu audible. Notre travail d’écoute et de restitution s’en trouvait handicapé. Pour autant, comme l’émissaire du requérant, nous avons dû consulter l’administration du tribunal pour confirmer le rejet supposé de la requête. Ainsi que les autres informations connexes comme la signification du jugement avant-dire droit à la date du 3 mars 2022. Cette consultation n’a pas permis d’éviter la mauvaise information. La méprise a été réalisée bien que ces précautions ont été prises. Aussi bien par nous que par le plaignant. Cela ne nous absout pas de la faute pour laquelle nous présentons nos excuses à nos aimables et fidèles lecteurs.