Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Les bons comptes ne font pas toujours que de bons amis. C’est la réalité qu’éprouve l’entreprise Doh et Frères, spécialisée dans les bâtiments et travaux publics (BTP). Un désaccord l’oppose à la Caisse de Stabilisation des Prix des Hydrocarbures (Csph) au sujet de la construction d’une station-service à Ngoumou, une petite localité située dans le département de la Mefou et Akono. Depuis des années, elle tente vainement de se faire payer une facture de 40 millions de francs auprès de l’entreprise publique.
En février 2019, l’entreprise Doh et Frère avait en effet porté l’affaire devant le Tribunal administratif de Yaoundé où elle sollicitait la condamnation de l’entreprise d’Etat à lui payer des dommages et intérêts pour les préjudices qu’elle dit avoir subis du fait des tergiversations autour de sa facture évoquée. Elle a essuyé un revers le 13 avril 2021. En son absence, le tribunal a rejeté son recours en jugeant ses prétentions non fondées.
Dans cette affaire, l’entreprise Doh et Frère raconte que le 28 juin 2015, elle avait remporté auprès de la Csph le marché déjà mentionné d’un montant initial de 296 millions de francs. Un an plus tard, en août 2016, elle signait un marché complémentaire (avenant). Ce qui avait porté le montant du marché à 311 millions de francs. Mais la livraison de l’ouvrage, dit-elle, avait nécessité des travaux supplémentaires évalués à un montant de 40 millions de francs. Des travaux supplémentaires qu’elle avait effectivement réalisés. D’ailleurs, ces travaux supplémentaires avaient fait l’objet d’une réception provisoire par la Csph qui n’a formulé aucune réserve. Mais depuis ce temps, l’entreprise publique traîne les pieds pour la réception définitive et, surtout, le paiement de la facture des travaux supplémentaires. Mais la station-service au centre du procès est aujourd’hui exploitée par l’entreprise Tradex. Face à cette situation, elle a engagé les hostilités en saisissant la justice.
Enrichissement sans cause
La version des faits de Doh et Frères est battue en brèche par l’entreprise d’Etat. Pour la Csph, accéder à la demande de Doh et Frères serait cautionner «un enrichissement sans cause». Elle affirme qu’elle n’a jamais autorisé la réalisation des travaux dont se prévaut son adversaire. D’ailleurs, c’est Doh et Frères qui d’autorité a évalué le coût à 40 millions de francs. Or, conformément à l’article 9 du marché querellé, «toute réalisation des travaux doit donner lieu à un ordre de service». Une sorte de quitus valant validation de la commande. La Csph prétend qu’elle n’a jamais donné une telle approbation.
En ouvrant les débats après l’exposé des arguments des différents camps par le juge-rapporteur, le tribunal a voulu savoir si, sur la base d’un procès-verbal provisoire, un prestataire de service ne peut pas obtenir le paiement d’un marché réalisé. Lors de cette audience, Doh et Frères et ses avocats étaient absents.
Pendant son intervention, l’avocate de la Csph a réaffirmé que sa cliente ne s’est jamais engagée à payer les travaux litigieux. Elle en veut pour preuve l’absence d’un «ordre de service» valant validation des travaux. «L’administration est écrite. Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Elle aurait dû obtenir une note de service», affirme-t-elle. Pour elle, le paiement exigé s’apparente à un détournement de deniers publics. L’avocate a néanmoins reconnu que la Csph a provisoirement réceptionné les travaux litigieux mais avait exigé à son adversaire la réévaluation du montant. «La Csph ne peut pas payer un montant jamais validé», lance-t-elle.
L’avocate de la Csph a également expliqué qu’avant cette procédure judiciaire, l’adversaire de sa cliente avait porté le litige devant le ministère des Marchés publics, l’autorité des marchés publics du pays. Mais Doh et Frères avait été déboutée, le ministère ayant trouvé ses prétentions non fondées à cause de l’absence d’un procès-verbal de réception définitive, affirme l’avocate.
«Pour les avenants, le procès-verbal de réévaluation se fait à régularisation», indique le tribunal précisant : «vous aurez dû lui demander [Doh et Frères] d’arrêter les travaux». L’avocate explique que la plaignante avait déjà réalisé les travaux critiqués à 85% au moment de la réception provisoire. Le parquet a emboité le pas à la Csph qualifiant lui-aussi le paiement exigé par Doh et Frères d’enrichissement sans cause. Finalement la Csph a remporté la bataille judiciaire contre Doh et Frères avec des arguments discutables.