«Je jure solennellement de bien et fidèlement remplir avec probité, impartialité et indépendance les fonctions de commissaire qui me sont confiées, de garder le secret professionnel, le secret des délibérations et d’observer en tous les devoirs qu’elles m’imposent.» Cette phrase a résonné quinze fois à la Cour suprême jeudi dernier, 29 avril 2021. C’était à l’occasion de la prestation de serment de James Mouangue Kobila, le nouveau président de la Commission des Droits de l’Homme du Cameroun (Cdhc), comme les 14 autres (nouveaux) membres de ladite commission.
En fait, nommés par décrets du chef de l’Etat le 19 février dernier, les 15 membres de la Cdhc ont publiquement pris l’engagement de remplir leur mandat au cours d’une audience solennelle des Chambres réunies de la Cour suprême. Les «Chambres réunies» est la plus haute instance juridictionnelle au Cameroun. Cette cérémonie marquait ainsi la prise de fonction officielle de ces commissaires dont le mandat est de 5 ans renouvelable une fois.
On a néanmoins noté l’absence du président de la Chambre judiciaire, M. Fonkwe, et celui de la Chambre des Comptes, M. Yap Abdou, lors de cette audience que présidait Daniel Mekobe Sone, le premier président de la Cour suprême. La cérémonie agrémentée par la musique de la fanfare de la Brigade du quartier général était très peu courue, contexte de la covid-19 oblige.
Besoin d’efficacité
Ouverte à 11h, c’est Luc Ndjodo, le procureur général près la haute cour, qui a planté le décor de la cérémonie dans son réquisitoire. Le haut magistrat a rappelé aux heureux élus le poids du serment et les valeurs sacrées de l’engagement. Contrairement à la défunte commission qui comptait 30 membres exerçant à temps partiel, la nouvelle commission est composée de 15 membres appelés officiant «à temps plein». Pour le procureur général, cette innovation se justifie par le «besoin d’efficacité».
S’agissant des états de services des 15 commissaires, le procureur général a expliqué que les nouveaux gendarmes des droits de l’Homme ont «un passé élogieux». «Des profils et qualités remarquables qui ont favorablement attiré l’attention de la plus haute autorité de l’Etat». Il a illustré son propos en s’attardant sur le cas de 2 membres, notamment le président et le vice-président dont il a brièvement retracé le parcours académique et professionnel.
De fait, M. Mouangue Kobila, le président de la Cdhc, est un professeur d’université. «Agrégé de droit public», il a, entre autres, occupé les fonctions de «vice-recteur» à l’Université de Douala. L’intéressé occupait déjà les fonctions de vice-président dans la défunte commission nationale des droits de l’Homme et des libertés (Cndhl). Son vice-président, Raphaël Galega Gana, aujourd’hui à la retraite, est quant à lui un diplomate chevronné. Il a occupé plusieurs postes de responsabilité au ministère des Relations extérieures parmi lesquels celui de «consul général du Cameroun à Paris».
Le procureur Ndjodo s’est en outre attardé sur les principales tâches confiées à la Cdhc : «consolider l’Etat de droit», «lutter contre l’impunité en matière des droits de l’Homme», «effectuer des visites régulières de tous les lieux de privation de libertés» etc. Avant d’inviter les commissaires à exercer leur mandat en «respect de la loi», en toute «objectivité», «intégrité» et «discrétion». «Vous venez de prendre un engagement solennel, à vous de confirmer vos charges», a conclu M. Ndjodo.
Après les réquisitions du procureur général, le greffier en chef de la Cour suprême a donné lecture des actes de nomination des nouveaux membres de la Cdhc. Puis les concernés ont chacun prononcé la formule du serment qui constitue le début de leur mandat.
Instrument de nuisance
«Nous allons quand même vous donner quelques conseils. Même les vieux de 100 ans ont besoin de conseils», va déclarer Daniel Mekobe Sone au début de son allocution. Le président de la Cour suprême a affirmé que «le problème des droits de l’Homme se pose avec acuité» au Cameroun sans manquer d’évoquer les exactions observées sur les réseaux sociaux. Pour remédier à la situation, «le président de la République a choisi des hommes d’expérience» qui sont de ce fait les «garants des droits de l’Homme» dans le pays. Il a invité les concernés à travailler avec «probité», «impartialité» et «indépendance» et, surtout, à «faire preuve d’ascèse, de pondération et de vigilance».
Mekobe Sone va ajouter que les «tortionnaires n’ont pas de place dans un état de droit». Pour autant, les nouveaux gendarmes des droits de l’homme «ne doivent rien dédramatiser pour banaliser, ni dramatiser ou grossir une quelconque violation», ni se servir de leur mandant «comme un instrument de nuisance» ou pour «couvrir les tortionnaires». «La vérité doit être votre seule boussole» a-t-il insisté en citant un écrivain : «il ne peut y avoir de paix sans justice, sans respect de droits de l’homme». Il a exhorté les 15 commissaires à garder une oreille attentive sur le respect des droits des personnes vulnérables : les femmes, les veuves, les enfants, les handicapés : «l’actualité judiciaire de notre pays renseigne suffisamment», a-t-il conclu.
Rappelons que la Cdhc a pour mission la promotion et la protection des droits de l’Homme ; ainsi que la prévention de la torture dans tous les lieux de privation de liberté. C’est le mécanisme national de prévention de la torture au Cameroun. Avec la loi du 19juillet 2019 régissant ses activités, la Cdhc est constitués de 15 membres représentants les corps sociaux parmi lesquels, les personnes vivant avec le handicap, les syndicats, les journalistes, l’Ordre national des médecins, le Barreau des avocats etc.
Allégations de tortures
Face aux médias après la céromonie M. Mouangue Kobila a déclaré: «Nous nous mettons rapidement au travail sur les trois volets de nos missions, c’est-à-dire la promotion des droits de l’Homme à travers leur vulgarisation par tous les moyens de communication possible. Il s’agit aussi de la protection des droits de l’Homme à travers le traitement des requêtes de tous les citoyens qui se sentent victimes d’une violation de leurs droits. Toutes les requêtes sont examinées avec la plus grande attention, traitées avec le plus grand professionnalisme et la plus parfaite objectivité. Il est question aussi de la prévention de la torture. Nous évoluons dans un contexte où des allégations de tortures son récurrentes. La loi nous impose donc de visiter tous les lieux de privation de libertés».
De vives contestations ignorées…
Depuis le 19 février 2021, une polémique avait entouré les décrets du chef de l’Etat portant nomination des 15 membres de la Cdhc. La polémique qui n’est pas toujours retombée concerne la qualité de certaines personnes nommées et, surtout, la sous-représentation des femmes dans la commission. De fait, la loi du 19 juillet 2019 portant création, organisation, et fonctionnement de la Cdhc, a prévu un quota d’«au moins 30% des femmes» dans les 15 sièges disponibles. Au regard de la commission Mouangue Kobila, on ne compte 3 femmes [lire ci-contre], soit un pourcentage de 19%.
Outre le non-respect du quota des femmes, certains milieux syndicaux s’étaient indignés de la supposée violation de la disposition de la loi déjà mentionnée concernant la nomination d’un «expert en question syndicales désigné par les syndicats des travailleurs». Les contestataires estiment que celui qui officie comme le représentant des syndicats dans la Cdhc, M. Djinomadom Mamene Dieudonné, administrateur de Travail principal retraité, n’a aucune qualité pour occuper le fauteur réservé au syndicat. Même si le mis en cause a occupé divers postes lorsqu’il était en activité dans l’administration, il n’est pas un syndicaliste assumé, soutiennent-ils. Et avait invité le chef de l’Etat à revoir sa copie. Mais aussi que l’un des 15 commissaires était un repris de justice.
Face à ces griefs, beaucoup espéraient que la Cour suprême allait amener le chef de l’Etat au strict respect du texte régissant la Cdhc. Pour cause : il y a six ans, lors de l’entrée en fonction de la dernière cuvée des membres de la défunte commission des droits de l’Homme et des libertés, Paul Biya, le président de la République, avait dû prendre un nouveau décret, la Cour ayant constaté «un problème de forme» dans la première version du texte présidentiel désignant les membres de ladite commission. Certains observateurs indiquaient que le même scénario n’était pas exclu.
Mais durant la cérémonie de prestation de serment des 15 nouveaux membres de la Cdhc le 29 avril dernier, le premier président et le procureur général de la Cour suprême ont esquivé la polémique pendant leur intervention respective. Ils se sont plutôt limités de dire que nouveaux commissaires désignés par le chef de l’Etat ont l’expérience et le profil de l’emploi pour mener à bien les missions qui leur sont assignées. En tout cas, c’est donc une Cdhc elle-même couverte de gros soupçons de violation de la loi qui devra dénoncer toutes les atteintes aux droits de l’Homme au Cameroun durant les 5 prochaines années.