Par Maître Garba Issa, greffier anonyme
Chaque année, le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, organise à Yaoundé une réunion des chefs de cours à laquelle sont conviés les présidents des cours d’appel, les procureurs généraux et, depuis un certain temps, les délégués régionaux de l’administration pénitentiaire. Les travaux d’une manière générale sont axés sur le fonctionnement de la justice et les problèmes que ses différents acteurs rencontrent sur le terrain et les solutions envisageables. C’est jusqu’àlors le seul cadre officiel où le Garde des Sceaux échange avec les hommes du terrain et où il peut vraiment être informé des réalités de l’administration de la justice sur l’ensemble du pays dans ses bons et mauvais points. Au terme de cette rencontre annuelle, les chefs de cours sont censés répercuter les conclusions des travaux à leurs subalternes des tribunaux de leurs différents ressorts.
Le problème
Ce qui est très curieux et vraiment déplorable, c’est que les greffiers, qui assistent premièrement et régulièrement les magistrats sur le terrain de la distribution de cette justice, ne sont pas invités à cette table ! Il faut rappeler que les Cours d’appel comme la Cour Suprême et les autres juridictions au Cameroun sont dotées des greffes dirigés par des greffiers en Chef. Il faut aussi noter que la grande majorité des personnels judiciaires dans les cours (et dans les autres juridictions aussi) sont administrés par les greffiers en Chef ! Ils sont donc ceux qui dirigent le gros du personnel, ce qui fait d’eux les personnes ressources indiquées, pour ne pas dire idéales, pour parler des problèmes du personnel, les difficultés du travail et de l’application des textes en rapport avec la distribution de la justice.
Les greffiers en chef se posent comme ceux pouvant donner au Garde des Sceaux des avis motivés et éclairés en tant que des hommes du terrain proprement dit. Malheureusement, ces derniers ne participent pas à ces réunions. Il n’y a que les magistrats qui y participent faisant croire que la justice au Cameroun n’est constituée que des magistrats et, plus récemment, des gardiens des prisons.
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Le greffe
Comme nous l’avons déjà montré, le greffe est la cheville ouvrière des cours et tribunaux à cause du grand nombre de fonctionnaires et agents de l’Etat y exerçant. Et c’est dans ce service judiciaire que le justiciable lambda prend la température de la justice et peut noter si son fonctionnement est bon ou mauvais. C’est donc à ceux-ci qu’il revient de distribuer la justice au pays, hélas, leurs voix ne sont pas entendues dans cette haute et importante messe organisée par le Garde des Sceaux.
Les chefs de cours, présidents des cours d’Appel et procureurs généraux, ne peuvent pas être au courant de toutes les difficultés et des dysfonctionnements auxquels leurs subordonnés magistrats et greffiers sont confrontés sur le terrain comme peuvent l’être les greffiers en chefs des cours qui sont en contact direct avec le plus grand nombre du personnel.
Des lenteurs judiciaires
Les lenteurs judiciaires tant décriées peuvent être facilement résorbées si les greffiers en chef des cours sont aussi invités à ces rencontres, car le Garde des Sceaux sera mieux éclairé sur les difficultés du terrain et pourra prendre des mesures plus concrètes et directes et engager des réformes tant attendues pour la bonne administration de la justice, notamment dans l’harmonisation de la pratique et la recherche des solutions pour alléger et faciliter la disponibilité et l’exécution des décisions de justice à tous les niveaux.
Il faut en effet rappeler que, dans la pratique, les résultats des travaux de ces réunions ne sont connus que des seuls participants et, après ces assises, la vie continue comme avant dans les cours et tribunaux surpeuplés, sans places assises pour tout le monde, des bureaux inadéquats, sans matériels informatiques appropriés, car, il faut le dire, un petit tour dans les locaux de certaines juridictions fait découvrir un spectacle désolant.
Les magistrats et les greffiers travaillent dans des conditions exécrables, en ruminant de grandes frustrations sur la gestion de leurs carrières respectives et des revendications légitimes étouffées, tout ceci impactant négativement aussi bien leur rendement que la qualité du service. On est donc en droit de se demander ce que ces chefs de cours racontent au GDS qui, lui, ne descend jamais sur le terrain à la rencontre de ses administrés comme le font ses collègues des autres ministères comme celui de la Fonction publique ou celui de de la Santé Publique par exemple.
Des greffiers en chef
Il est aussi curieux que les greffiers en chef des cours n’aient jamais manifesté le désir de participer aux réunions des chefs de cours, jetant tout leur dévolu sur les magistrats comme si ceux-ci peuvent efficacement poser tous les problèmes des juridictions au ministre de la Justice.
Les greffiers en chef, en général, et ceux des cours d’appel, en particulier, sont d’un mutisme assourdissant concernant la situation présentée ici. Dans ce corps de fonctionnaires, ceux-ci se comportent comme formant une classe à part qui ne lutte que pour préserver ses intérêts. A ce jour, on n’a jamais noté une quelconque prise de position de leur part par rapport à tous les problèmes des greffiers. Sur le terrain, ceux-ci sont même plus proches des magistrats que des greffiers, leurs collègues.
En conclusion
Nous dirons que si le Garde des Sceaux ne trouve pas idoine d’inviter les greffiers en chef des cours à ces rencontres, il peut toujours créer un autre cadre pour les écouter, car, jusqu’à présent, il n’en existe aucun où les greffiers peuvent s’exprimer librement et poser leurs problèmes concrets. Une bonne gouvernance se caractérise aussi par l’aménagement des espaces où la hiérarchie est à l’écoute de ses administrés. Qui sait si le fonctionnement actuel de la justice est tant décrié parce que la grande majorité de son personnel est étouffée ? Il est temps que la collaboration soit vraiment franche et horizontale entre tous les maillons de la chaîne de la justice afin que chacun y apporte sa contribution pour une distribution plus efficiente et professionnelle de celle-ci au grand bonheur de tous les Camerounais. Et ce sera justice !