Par Nnandong Essiane Jean-Paul*
Monsieur le président de la République,
C’est le chef d’une famille en lambeaux qui choisit de vous écrire par le canal d’une lettre ouverte, dans l’espoir que sa supplication va vous parvenir, vous, le père de la nation et garant du pouvoir judiciaire.
Cela fera bientôt onze (11) ans que je vis une injustice profonde : j’attends que la justice de mon pays dise le droit dans une affaire qui m’oppose au Directeur Général (DG) du Feicom, M. Philippe Camile Akoa, mon employeur. Mais, depuis que ce contentieux est soumis à la Cour Suprême, certains magistrats ont, soit décidé de falsifier des documents judiciaires afin d’aménager une «victoire» à leur collègue, soit choisi de bloquer l’examen de mon dossier pour que le statu quo favorable au DG du Feicom persiste. Au point où, privé de toute ressource financière et incapable, de ce fait, de subvenir aux besoins les plus élémentaires de ma famille, celle-ci s’est totalement délitée.
Si je me suis décidé d’écrire cette lettre, M. le président de la République, c’est parce que j’ai été à un doigt de perdre l’une de mes filles âgée de 12 ans en fin d’année 2021 du fait de mon état de précarité. Cette dernière a vécu pendant des années avec une sinusite devenue chronique parce que son père ne pouvait pas lui payer des soins de santé appropriés. Cette maladie s’est compliquée jusqu’à lui causer un abcès du cerveau. Elle a heureusement subi avec succès deux opérations à l’Hôpital militaire de Yaoundé, l’une des sinus et l’autre du crâne, grâce au concours de nombreuses âmes bienfaitrices qui ont répondu favorablement à un appel public à l’aide lancé par M. Bobiokono Christophe, l’éditeur du journal Kalara.
Paradoxalement, ma fille est sortie de l’hôpital en augmentant mon stress : je ne suis pas capable de faire face aux séquelles laissées par sa maladie en termes de suivi post opératoire… Je ne peux lui offrir des médicaments qu’elle doit consommer désormais sans arrêt, ce qui laisse la porte ouverte à des complications futures. J’ai honte de vous dire que face à ma situation, mon épouse a quitté le foyer en m’abandonnant six (6) enfants désormais non scolarisés sous les bras. Bien que prédisposés à faire de bonnes études, ils ont presque tous été contraints à l’abandon… Mes filles sont des proies faciles pour des hommes sans scrupules… J’ai parfois caressé l’idée du suicide en voyant ma famille se détruire par le fait de M. Akoa, soutenu par ses collègues magistrats de la Cour Suprême.
M. le Président,
Recruté au Feicom comme agent en 2001, j’y ai connu une carrière prometteuse jusqu’au 21 septembre 2011, date de mon licenciement brutal et méchant, pour avoir maintenu ma candidature aux élections des délégués du personnel contre la volonté de mon DG. Comme employé, j’avais toujours été bien noté par mes chefs. J’étais d’ailleurs inscrit au tableau d’avancement lorsque mon licenciement a été acté, parce que j’avais choisi de me mettre au service de mes collègues en respectant scrupuleusement les limites de mon statut.
J’avais déjà pourtant exercé un premier mandat de délégué du personnel au Feicom et je n’avais connu aucun problème avec ma hiérarchie. J’ai donc été licencié d’une entreprise publique pour avoir usé de ma liberté d’exercer un Droit. J’ai été licencié pour rien, au mépris du Code du travail qui octroie une protection au délégué du personnel. Et sans que l’inspecteur du travail ait été consulté. Devant la grossièreté de l’injustice venant, en plus, d’un magistrat chevronné, j’ai cru que la Justice pouvait rapidement mettre un terme à cette situation. Un rêve que j’ai caressé jusqu’à ce que mon dossier arrive à la Cour Suprême.
Au lendemain de mon licenciement, j’avais saisi le Tribunal de Grande Instance du Mfoundi après l’échec de la procédure de conciliation devant l’Inspecteur du travail. Et, sans surprise, le 21 janvier 2013, le Tribunal de Grande Instance du Mfoundi s’est prononcé sur mon licenciement en le déclarant «nul et de nul effet», conformément à la protection légale que confère l’article 130 du Code du Travail à tout candidat aux élections des délégués du personnel dès le dépôt des candidatures.
Décidé de ne plus me voir au sein d’une entreprise publique qu’il considère peut-être comme un élément du patrimoine de sa famille, le DG du Feicom a fait appel de cette décision et le 13 juillet 2013, la Cour d’Appel du Centre a confirmé intégralement le verdict du TGI du Mfoundi, à savoir que mon licenciement était «nul et de nul effet». M. Philippe Camile Akoa a alors décidé de se pourvoir en cassation en saisissant la Cour Suprême. Et, depuis bientôt neuf (09) ans, certains des magistrats en charge de mon dossier m’opposent leur allégeance à leur collègue, le DG du Feicom.
M. le Président de la République,
Le pourvoi formé par le DG du Feicom a connu un premier succès, le 28 mai 2015. L’arrêt de la Cour d’Appel du Centre du 13 juillet 2013 ayant été rendu par un collège de trois magistrats, la Section sociale de la Haute juridiction avait jugé que la loi avait été violée. Le dossier fut renvoyé à la Cour d’Appel pour être réexaminé par d’autres juges parce que la Cour Suprême estime que la juridiction d’Appel aurait dû être composée lors du premier examen par un juge (magistrat) associé à deux assesseurs. Il s’agissait donc simplement d’un problème de forme à régler.
Curieusement, lors du second examen du dossier à la Cour d’appel du Centre, le 25 mars 2016, l’affaire va connaître un revirement spectaculaire dans sa quintessence. Mon licenciement est déclaré «abusif» pour la première fois et des dommages et intérêts d’un peu plus de 3,7 millions de francs me sont attribués. Il s’agit d’un verdict favorable au DG Feicom, qui croyait ainsi s’offrir à peu de frais mon éloignement de «son» entreprise.
La protection légale conférée par l’article 130 du Code du Travail à tout candidat aux élections des délégués du personnel dès le dépôt des candidatures fut cette fois ignorée de même que d’autres violations de la loi par mon DG.
En dépit des difficultés financières que je connaissais, j’ai cru que l’Etat de droit allait triompher malgré tout en décidant, d’un commun accord avec mon conseil, de faire un nouveau recours à la Cour Suprême afin de défendre mes droits grossièrement malmenés. C’est malheureusement au niveau de la plus haute juridiction du pays que je connais depuis une situation affreuse.
Sans honte, l’allégeance des magistrats de la Cour Suprême au DG du Feicom, à la limite de l’outrance, va les amener, le 27 juillet 2017, à recourir à une falsification de documents pour conforter le verdict inique de la Cour d’Appel. Avec l’aide de quelques complices, le conseiller Jeatsa Jakob, président de la Section sociale de la chambre judiciaire de la Cour Suprême décide grossièrement de me déchoir de mes moyens de défense en usant de faux. C’est l’unique possibilité, au regard des faits, pour éviter que mon licenciement soit déclaré «nul et de nul effet» comme le veut la loi.
En effet, en date du 29 (vingt-neuf) juillet 2016, j’avais reçu via mon avocat une notification d’Huissier de justice m’enjoignant de faire tenir dans un délai de 30 (trente) jours à la Cour Suprême un mémoire contenant les arguments juridiques au soutien de mon pourvoi. En principe, et selon la loi, je pouvais m’exécuter sans aucun risque jusqu’au 27 Août 2016, date limite du dépôt de mes écritures au greffe de la Cour Suprême découlant de la mise en demeure du 29 juillet 2016.
Mon «mémoire ampliatif» est parvenu effectivement au greffe de la Cour Suprême, contre décharge, le 24 août 2016, soit 03 (trois) jours avant cette date butoir. Il a été enregistré à la Cour Suprême sous le N° 5914. Lors de l’audience publique de la Section sociale de la Chambre judiciaire de la Cour Suprême tenue le 27 juillet 2017, le conseiller Jeatsa Jakob, qui s’est personnellement chargé d’examiner préalablement le dossier avant l’audience (instruction), va souverainement décider de falsifier la réalité du dossier.
Dans le rapport d’instruction lu en pleine audience, il écrit ceci : «Notifié par voie d’Huissier le 22 juillet 2016, Nnandong n’a réagi que le 24 août 2016, bien au-delà du délai officiel de trente jours à lui imparti». Et, sur cette base, il déclare mon affaire classée pour «dépôt tardif de mémoire».
Surpris par une telle issue totalement improbable du dossier, mon avocat, tout en rappelant à la Cour que nous avions plutôt été mis en demeure de déposer mon mémoire à la Cour Suprême par exploit d’huissier de justice daté du 29 juillet 2017 et non du 22 comme lu par le rapporteur, demande des vérifications en pleine audience et suggère, à toutes fins utiles, que la Cour Suprême suspende l’examen du dossier pour s’assurer qu’elle ne se trompe pas. M. Jeatsa Jakob ne va accorder aucune attention à ce propos. Il se précipite, avec le soutien du représentant du ministère public, l’avocat général Tjalle II Frédéric, à lire le verdict qui était déjà préparé.
Et pourtant, l’exploit d’huissier querellé, enregistré sous le numéro 5539 et sorti du dossier de procédure à la demande de mon Conseil et de l’un des trois membres du collège des juges (M. Mamar Paba Sale) présente une grossière surcharge sur la date de notification : la lettre «n» du «neuf» a été truquée pour en faire un «deuf», que M. Jeatsa Jakob prend pour un «deux» (voir pièce 1). C’est donc parfaitement conscient de cette dénaturation du document que M. Jeatsa Jakob s’est précipité à lire un verdict qui permet à M. Akoa de me tenir éloigné du Feicom. Je n’ai jamais pensé jusque-là qu’un tel faux flagrant soit possible à la Cour Suprême !
Il se trouve, après vérification, que la date portée sur l’original de la notification resté comme d’usage dans le répertoire de l’Huissier de justice est bel et bien le 29 juillet 2016. (voir pièce 2)
Dans une requête adressée à Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême, avec copie à Monsieur le ministre d’Etat, ministre de la Justice, Garde des Sceaux, j’ai dénoncé ce scandale en date du 7 août 2017. En réaction, mon affaire a été purement et simplement gelée à la Cour Suprême pendant 26 mois.
En violation flagrante des propres textes de la Haute juridiction qui disent que la notification de tout arrêt de déchéance est disponible dès la levée de l’audience, la section sociale de la Cour Suprême va finalement me notifier le 19 septembre 2019 seulement son Arrêt rendu public depuis le… 7 août 2017.
Monsieur le Président,
Cette confiscation de leur propre décision par le président Jeatsa Jakob et ses complices ne vise qu’une seule chose : retarder au maximum la possibilité d’engager un recours formel contre leur arrêt. C’est donc seulement le 20 septembre 2019, que mon Conseil peut enfin adresser à M. le Premier Président de la Cour Suprême une requête pour obtenir la révision de l’Arrêt N°169/S/2017. Et cette requête va demeurer sans suite jusqu’à la mise à la retraite de M. Jeatsa Jakob.
C’est donc le 26 novembre 2020, après la désignation d’un nouveau président à la tête de la section sociale de la Chambre judiciaire de la Cour suprême du Cameroun qu’un nouveau collège des juges va revenir sur la décision inique du 7 août 2017 et décider de réexaminer mon dossier. Depuis lors, je suis en attente de la programmation de cette affaire. J’en suis à plus d’une année d’attente depuis l’arrivée d’un nouveau président à la section sociale. Et compte tenu de ma situation, cette attente ressemble de plus en plus à une éternité…
M. le Président,
Presque onze (11) ans après mon licenciement sauvage par M. Philippe Camile Akoa du Feicom, je suis à bout, sans ressources pour m’occuper de ma famille, qui est en passe d’être totalement détruite. Je suis réduit à la mendicité.
J’ai vu, impuissant, mes enfants déserter le chemin de l’école faute de moyens pour les y envoyer… Dois-je les voir désormais succomber aux maladies graves et coûteuses qui les attaquent du fait du seul vœu du DG du Feicom ?
Cette lettre ouverte est une supplication pour obtenir du Président du Conseil supérieur de la Magistrature, garant du pouvoir judiciaire, que la Cour suprême du Cameroun se prononce enfin sur mon dossier, parce qu’il s’agit désormais d’une affaire de vie et de mort.
C’est aussi une demande d’aide adressée au Père de la Nation pour obtenir de l’aide financière ou matérielle de l’Etat, compte tenu de la situation de précarité aigüe que vit ce qui reste de ma famille.
C’est enfin, pour obtenir une certaine sécurité autour de ma personne, parce que j’ai le sentiment que ma disparition physique est programmée depuis quelques années.
En effet, dans la soirée du 29 juillet 2015, trois parfaits inconnus s’étaient retrouvés chez moi, ne trouvant que mes enfants qu’ils avaient assailli de questions sur la position de leur père.
En date du 11 août 2015, j’avais adressé à M. le Procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de Yaoundé – centre administratif, une plainte relative à la tentative d’assassinat de ma personne en suspectant directement M. Akoa Philippe Camille. Ma plainte avait été transmise aux services compétents du Secrétariat d’Etat chargé de la Gendarmerie, aux fins d’enquêtes et compte rendu. Le suspect avait été entendu le 3 novembre 2015. Mais cette procédure avait été gelée.
En fait, une ordonnance d’incompétence a été rendue par le juge d’instruction en charge du dossier (voir pièce 3). Pour soutenir son incompétence, ce juge fait valoir les dispositions des articles 629 et 630 du Code de procédure pénale qui n’étaient pas respectées dans le cas de ma plainte.
La première de ces dispose (article 629) prévoit que lorsqu’un magistrat de l’ordre judiciaire est susceptible d’être inculpé, le procureur général compétent adresse des réquisitions au président de la Cour Suprême qui désigne quatre magistrats d’un grade supérieur ou égal à celui du mis en cause pour connaître son affaire. La seconde disposition (article 630) dit que le plaignant peut aussi se constituer partie civile et saisir le président de la Cour suprême qui met en branle les dispositions de l’article 629.
Ayant pris connaissance de tout cela, j’avais saisi M. le Premier Président de la Cour Suprême le 4 juillet 2018 d’une plainte avec constitution de partie civile contre M. Akoa Philippe Camille pour tentative d’assassinat (voir pièce 4) conformément aux dispositions légales sus évoquées.
Depuis lors, cette affaire qui a néanmoins été enregistrée au Greffe sous les références dossier N°15/GFCR/018 du 10 juillet 2018 est aussi sans suite jusqu’à date, en droite ligne du déni de justice érigé en règle contre moi à la Cour suprême du Cameroun.
Dans l’espoir que la présente lettre ouverte suscitera votre haute attention, je vous prie d’agréer, Excellence Monsieur le président de la République, l’expression de ma parfaite et déférente considération.
Yaoundé, le 08 janvier 2022
(*) Agent Feicom
Tel. : 675 48 89 34 – 655 96 36 22