Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
On dirait que la nomination du Directeur général (DG) de la Cnps au Conseil d’administration d’Afrieximbank, la puissante Banque africaine d’import et export, a troublé le sommeil de ses contempteurs. A peine deux jours après que l’information a été rendue publique au Cameroun, un document destiné à écorner l’image du concerné s’est retrouvé subitement en circulation sur les réseaux sociaux. Il s’agit de la copie de l’arrêté N°00020 signé depuis le 07 mai 2024 par Mme Mbah Acha Rose Fomundan, ministre délégué chargé du Contrôle supérieur de l’Etat (Consupe). Arrêté ministériel qui inflige «des sanctions pécuniaires à Monsieur Mekulu Mvondo Akame Alain Noël Olivier, directeur général de la Caisse nationale de Prévoyance sociale (Cnps)». Probablement mis en circulation pour susciter le lynchage de celui qui apparaît au sein de l’opinion publique comme l’un des plus sérieux gestionnaires des entreprises publiques au Cameroun, le document a connu un accueil relativement froid.
Au terme d’une très longue période d’audit (plus de trois ans) et de l’instruction du rapport qui en a découlé par le Conseil de discipline budgétaire et financière (Cdbf), l’actuel DG de la Cnps se voit infligé une «amende spéciale» de 2 millions de francs comme sanction de «l’ensemble des fautes de gestion» retenues contre lui. M. Mekulu Mvondo Akame est en plus «constitué débiteur, envers la Cnps, de la somme de six cent neuf millions cinq cent soixante-dix-huit mille cent quatre-vingt-douze (609.578.192) francs», qui représenteraient le préjudice financier subi par l’entreprise publique «de son fait», selon l’arrêté ministériel. Alors que le Cdbf est censé avoir achevé l’examen du dossier Cnps le 20 décembre 2023, Mme Mbah Acha Rose Fomundan a attendu plus de trois mois pour signer l’arrêté correspondant. Et deux mois se sont encore écoulés avant que le document ne soit rendu public, ce qui cache mal la gêne des architectes des sanctions prononcées.
Accusation ahurissante
Dans le détail, l’arrêté du 07 mai 2024 liste jusqu’à 19 «fautes de gestion» retenues contre M. Mekulu Mvondo Akame au terme de la «mission spéciale de contrôle et de vérification des Services du Contrôle supérieur de l’Etat» dépêchée auprès de la Cnps depuis 2017. L’audit en question portait sur la gestion de cette entreprise entre 2008 et 2016. Et sur les «fautes de gestion» mises en évidence, se dégagent trois qui sont dites «avec préjudice financier évalué». La première concerne la «gratification de fin d’année» d’un montant de 3,5 millions de francs accordée au DG. La seconde est relative à la perception d’une «indemnité de surveillance» d’une valeur globale de 514,5 millions de francs par les membres du Conseil d’administration. La troisième renvoie aux «écarts et manque à gagner relevés dans le reversement des intérêts dus et échus dans le cadre de la rentabilisation de la trésorerie de la Cnps».
Ayant reçu notification de l’arrêté du Consupe peu après sa signature, M. Mekulu Mvondo Akame conteste totalement ses conclusions. Dans une correspondance adressée au président de la République le 07 juin 2024, le DG de la Cnps dit avoir déjà saisi le Tribunal administratif de Yaoundé pour l’annulation totale de cette «décision inique et injustifiée». Dans le style sobre qui le caractérise, l’inspecteur principal du Trésor apporte des clarifications qui laissent apparaître un acharnement contre sa personne. On y apprend d’ailleurs que le DG de la Cnps s’était déjà plaint, «à maintes fois» par le passé, «du caractère grossièrement agressif, à charge et non objectif» du contrôle de gestion du Consupe. Il révèle que la mission de contrôle dépêchée à la Cnps avait initialement retenu dans son rapport «une première accusation ahurissante» de 57,7 milliards de francs. Les auditions du DG par le Cdbf ont donc permis de ramener l’ardoise à 609 millions de francs, chiffre que le DG conteste.
Selon les explications données par le DG, la «gratification sur les résultats financiers» (3,5 millions de francs) à lui accordée à la fin de sa première année de fonction à la Cnps, en 2009, et «les indemnités de surveillance totale» (514,5 millions de francs) perçues par les membres du Conseil d’administration découlent de l’exécution des résolutions régulièrement votées par le Conseil d’administration de la Cnps et approuvées par les tutelles technique (ministre du Travail et de la sécurité sociale) et financière (ministère des Finances). Les résolutions concernant les «les indemnités de surveillance totale» ont été exécutées conjointement en leur temps aussi bien par son adjoint de l’époque, aujourd’hui décédé, que par l’agent comptable, que le Cdbf s’est retenu de sanctionner au contraire du DG.
«Il est notable que ni aucun administrateur directement bénéficiaire, ni le PCA, ni encore moins les responsables ayant exécuté lesdites résolutions n’aient fait l’objet de sanction ou de demande de remboursement comme il est de jurisprudence constante au Consupe jusque-là», souligne M. Mekulu Mvondo Akame dans sa correspondance. Il révèle, par ailleurs, que ni son adjoint, ni l’agent comptable, bénéficiaires aussi de «l’indemnité de résultat» en 2009, n’ont fait l’objet d’aucune sanction. Des constats froids qui démontrent que la décision décriée du Cdbf est particulièrement ciblée. Le DG rappelle que le conflit d’interprétation entre le Consupe et le management de la Cnps, des dispositions légales ayant servi de base pour les résolutions contestées a fait l’objet d’un arbitrage par le chef de l’Etat en faveur de la Cnps. «Ces indemnités ont été confirmées par les textes en vigueur avec des appellations différentes», précise le DG.
Normes Cipres
Et quant à la sanction concernant ce que l’arrêté du ministre chargé du Consupe appelle «écarts et manque à gagner relevés dans le reversement des intérêts dus et échus dans le cadre de la rentabilisation de la trésorerie de la Cnps», le DG de la Cnps explique qu’il s’agit des «intérêts sur Dépôts à termes (DAT)», placements financiers en vue d’obtenir des gains, dont le Consupe reproche à M. Mekulu Mvondo Akame de n’avoir pas obtenu les reversements auprès des banques pour une valeur totale d’un peu plus de 91 millions de francs. Pour le DG, «les intérêts prétendument non reversés par les banques sur nos dépôts à terme procèdent d’un calcul manifestement erroné, que les services du Consupe se refusent d’ailleurs, jusqu’à ce jour, de communiquer pour confrontation avec notre mode de calcul par ailleurs validé par les banques, le logiciel dédié que nous utilisons et les cabinets d’experts que nous avons sollicités pour contre-vérification». Est-ce par mauvaise foi ou par incompétence ?
Nommé en 2008 comme DG de la Cnps, M. Mekulu Mvondo Akame avait immédiatement engagé l’arrimage de l’entreprise publique de prévoyance sociale aux normes de la Conférence interafricaine de la prévoyance sociale (Cipres) dont elle est membre. Ces normes comportent des «ratios prudentiels et de performance» de gestion. Conséquence : les résultats financiers de la Cnps connurent une amélioration fulgurante, avec plus de 29 milliards de francs d’un excédent de trésorerie inédit au sein de cet organisme dès la première année. Depuis, les performances de l’entreprise publique n’ont jamais cessé de s’améliorer. Apparemment, cette bonne santé financière n’est pas au goût de plusieurs, comme en témoigne le contenu de l’arrêté ministériel du 07 mai dernier.
Ainsi que le révèle le DG dans sa lettre au président de la République, dès son démarrage, la mission de contrôle et de vérification s’était montrée opposée à la mise en œuvre des normes Cipres, critiquant les changements opérés par le management l’entreprise. «Diverses « fautes de gestion sans préjudice financier » [sont] liées principalement à l’organisation fonctionnelle de la Cnps en vigueur depuis 2009 et pourtant totalement en conformité avec les principes et règles Cipres que le Cdbf a remises en cause (organigramme, rôle de l’agent comptable et du contrôleur financier nommés par le Minfi», explique le DG. Même la signature par le chef de l’Etat, en 2018, du décret N°354/2018 portant organisation de la Cnps, qui internalise explicitement les principes et règles Cipres dans le fonctionnement de la Cnps, n’a rien changé à l’hostilité affichée par le Consupe. Rappelons que la mission de contrôle avait sollicité, dès le début de ses investigations, que M.Mekulu Mvondo Akame soit suspendu de ses fonctions, prétextant que sa gestion était catastrophique.
Pour l’instant, et bien qu’il conteste les sanctions prononcées par le Cdbf devant la justice, le DG de la Cnps a décidé de saisir par écrit tous les bénéficiaires des avantages financiers jugés indus pour demander à chacun de rembourser, à titre conservatoire, les sommes reçues. C’est le cas des membres du Conseil d’administration, des ayants-droit du Directeur général adjoint de l’entreprise à l’époque des faits, mais aussi de l’agent comptable. Une précaution similaire a été observée à l’égard des banques ayant bénéficié des DAT. Elles ont été appelées à reverser, à titre conservatoire elles-aussi, les «intérêts dus et échus», selon le Cdbf.
Syndrome Sonara…
Quoi qu’il en soit, la situation actuelle créée par le Consupe à la Cnps n’est pas sans rappeler des précédents analogues à la Société nationale de Raffinage (Sonara) et à la Chantier naval et Industriel du Cameroun (Cnic). Ces deux entreprises publiques étaient au sommet de leur fonctionnement lorsqu’elles furent perturbées, chacune à son tour, par des contrôles viciés du Consupe. Les sanctions prononcées dans un acharnement visible ont entraîné la déstabilisation de ces deux entreprises, qui sont devenues depuis l’ombre d’elles-mêmes. Le Cnic n’existe quasiment plus et la Sonara est réduite à faire de l’importation des produits pétroliers. Zaccheus Fordjidam, ancien DG du Cnic, et Charles Metouck, ancien DG de la Sonara, croupissent en prison après avoir été balayés à la suite de ces audits controversés.
Rappelons que M. Mekulu Mvondo Akame, inspecteur du trésor de formation, est un ancien inspecteur d’Etat qui a quitté le Consupe pour aller servir l’Etat ailleurs alors qu’il était le Codonateur général (équivalent du secrétaire général) de l’institution. Chargé de missions à la présidence de la République au moment de sa nomination comme Dg de la Cnps, l’ancien inspecteur d’Etat est coutumier des attaques virulentes sur sa personne dans le cadre de ses fonctions. Et il a toujours su faire face. Avec les recours introduits contre l’arrêté du Consupe au Tribunal administratif de Yaoundé, on peut pronostiquer que l’affaire actuelle connaîtra sans doute de nouveaux rebondissements.