Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
Le président du Tribunal de première instance de Douala – Bonanjo a finalement été sensible aux arguments déployés par M. Lazare Atou pour se sortir des griffes du Contrôle supérieur de l’Etat (Consupe). Agissant lundi dernier, 30 novembre 2021, comme juge de l’urgence (référé), il a en effet rendu un verdict favorable au Cabinet conseil Atou (CCA) et à son promoteur en vidant son délibéré dans l’affaire qui oppose les deux parties. Considérant que l’institution nationale de contrôle des finances publiques s’était rendue coupable de «voies de fait caractérisées» en décidant de bloquer les comptes bancaires du cabinet et de M. Atou, le juge a ordonné la levée des scellés sur lesdits comptes. C’est un premier revers judiciaire que le Consupe essuie dans sa bataille contre CCA.
Depuis début septembre 2021, tel que révélé dans l’édition N°410 de Kalara paru le matin même du verdict, le CCA avait vu débarquer pas moins de 18 inspecteurs et contrôleurs d’Etat dans le cadre de trois brigades mobiles de contrôle et de vérification conjointes du Consupe mises en route sur la base des «instructions du chef de l’Etat» répercutées par M. Ferdinand Ngoh Ngoh, ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République. Lesdites brigades avaient aussitôt sollicité que le CCA leur communique dans un délai de 7 jours 62 documents, rapports et divers états financiers concernant la gestion et sauvegarde des biens de l’Etat qu’il gère dans le cadre d’une concession accordée par le ministre des Finances.
Convoitises et spéculations
Mais M. Atou s’y était catégoriquement opposé, refusant de soumettre sa structure aux limiers du Consupe mais aussi demandant, à travers un recours gracieux préalable daté du 27 septembre, que le patron du Consupe rapporte (annule) la mission assignée à ses trois brigades mobiles de vérification. Pour laver «l’affront» venu du Cabinet conseil Atou, le Consupe ordonnait quelques semaines plus tard le blocage de tous les comptes bancaires de la structure et de son promoteur. Ce sont les mesures ainsi prises qui ont été anéanties par le juge des référés lundi dernier, ce dernier les qualifiant de «voies de fait caractérisées».
Rappelons qu’au centre de la bataille judiciaire qui ne semble qu’à ses débuts, se trouve un important patrimoine mobilier et immobilier jadis propriété des trois entreprises publiques liquidées : l’ex Office national des Ports du Cameroun (Onpc), l’ex Office national de Commercialisation des Produits de base (Oncpb), et l’ex Régie nationale des Chemins de Fer du Cameroun (Régifercam). La gestion et la sauvegarde des «actifs» ayant survécu aux liquidations de ces trois défuntes sociétés avaient été confiées depuis 15 ans au CCA par le ministre des Finances, à travers une convention de concession de 2006, puis une autre de 2014. Estimés en 2020 à une valeur financière de l’ordre de 285 milliards de francs par le Cabinet conseil Atou lui-même, lesdits actifs résiduels sont au cœur de nombreuses convoitises et spéculations.
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Avec la publication du verdict rendu par le juge de l’urgence, une bonne partie de l’opinion publique largement favorable au Consupe dans sa croisade contre M. Atou ne cache pas son «incompréhension» devant le verdict de lundi dernier. Dans les réseaux sociaux (WhatsApp notamment) où l’information a rapidement circulé, certains y voit un verdict dicté par la Chancellerie, voir par le Garde des Sceaux en personne, M. Laurent Esso, qui a généralement été favorable à M. Atou dans sa relation très souvent tumultueuse avec différents autres représentants de l’Etat depuis les 15 ans que courent ses mandats successifs. Plusieurs ne comprennent pas que l’Etat puisse perdre un procès contre un particulier au sujet de la gestion d’un patrimoine qui lui appartient.
Code de transparence
Et pourtant, le CCA est convaincu de disposer d’arguments juridiques de poids dans le bras de fer qu’il a engagé contre le Consupe. La structure de M. Atou se prévaut de deux lois pour estimer que les audits que lui impose le Consupe sont illégaux. Pour dire qu’il n’est plus astreint aux audits du Consupe, le CCA adosse sa position autant sur la loi N°2018/011 du 11 juillet 2018 portant «code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques au Cameroun» que sur la loi N°2018/012 du 11 juillet 2018 portant «régime financier de l’Etat et des autres entités publiques».
Si l’article 6 du code de transparence dit en substance que les contrats entre l’administration et les entreprises publiques sont «régulièrement contrôlés par la juridiction des comptes et par les commissions parlementaires compétentes», le régime financier de l’Etat, au regard de son article 84, ne liste pas toutes les «concessions de service public» au rang des organismes soumis au contrôle administratif. Le CCA affirme avec force que la convention qui le lie au ministère des Finances et qui lui confie la gestion et la sauvegarde d’une partie du patrimoine de l’Etat ne lui «octroie aucune subvention, aval ou caution de l’Etat». Il affirme, du reste, qu’il «exerce son activité à ses charges, risques et périls».
Jusqu’ici, les fondements juridiques évoqués par le cabinet de M. Atou pour repousser les audits du Consupe trouvent peu d’écho auprès de l’institution publique. Mme Mbah Acha Rose Fomundam, la ministre déléguée à la présidence de la République chargé de la structure soutient en effet que «les contrôles spécifiques [que le Consupe effectue] auprès des organismes privés poursuivant un objet ayant un lien avec le service public et présentant un caractère stratégique pour l’économie et la défense nationale», comme le Cabinet conseil Atou, sont commandés par le président de la République, destinataire des comptes rendus de l’institution. Cette prise de position de la ministre déléguée, qui ne semble pas avoir convaincu le juge de l’urgence, se base sur le décret du 4 septembre 2013 portant organisation des Services du Consupe.
Divergences gouvernementales
Peut-on considérer, comme s’en inquiètent certains observateurs, que la décision du président du TPI de Douala – Bonanjo de lundi dernier, qui n’est du reste pas définitive, peut soustraire définitivement le CCA de tout contrôle de l’Etat sur la gestion du patrimoine confié au cabinet, et qui vient d’être transféré à la SRC ? La réponse est non. D’ailleurs, la structure privée le dit elle-même : la juridiction des comptes et les commissions parlementaires peuvent l’auditer au regard de la loi, mais aussi le ministère des Finances peut y déclencher un audit dans les conditions stipulées dans la convention qui lie les 2 parties (convention que Kalara n’a pas encore lue). Vu sous cet angle, le bras de fer actuel entre le Consupe et le CCA expose les divergences internes du gouvernement dans la gestion de ce qu’on pourrait nommer le dossier Atou.
«Il revient au ministre des Finances et non à une autre administration de faire le bilan financier de l’activité exhaustive du cabinet et de l’adresser au président de la République, pour que ce dernier obtienne toutes les informations qu’il désire. Et s’il n’est pas satisfait, il peut déclencher d’autres mécanismes de contrôle. Ce qui se passe n’est pas bon pour l’image de l’Etat», commente un haut fonctionnaire généralement bien avisé. Dans le recours gracieux du 27 septembre adressé par le CCA au Consupe, il était par exemple indiqué que «parallèlement» au trois brigades mobiles de contrôle du Consupe, le Premier ministre venait d’engager la sélection d’un cabinet international, en exécution lui-aussi des instructions du président de la République, pour auditer le travail du Cabinet conseil Atou. La cacophonie se poursuit donc.
Rappelons encore que le Cabinet conseil Atou avait reçu consécutivement six missions de contrôle dépêchées par le Consupe entre 2012 et 2018. Et les rapports d’audits afférents à ces missions avaient été transmis à la présidence de la République. Le déclenchement d’une nouvelle vague d’audits du Consupe auprès du Cabinet intervient au lendemain d’une dénonciation faite le 5 juillet 2021 par M. Atou au Tribunal criminel spécial (TCS), au sujet du détournement allégué de biens publics au Port autonome de Douala (PAD) et d’une présumée tentative de détournement de l’actif résiduel de l’ex-Onpc, qui avait donné lieu il y a quelques semaines à une première audition du DG du PAD par le corps spécialisé des officiers de police judiciaire du TCS. Parmi les proches de M. Atou, la déferlante du Consupe est considérée comme une «chasse à l’homme» aux relents de règlement de compte.
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