Bruno Bekolo-Ebe ne serait donc pas en prison parce qu’il est un « mauvais » gestionnaire des fonds publics. Loin de là. L’ancien recteur qui se considère comme « un bouc émissaire » a profité de la clôture des débats dans le procès qu’il a intenté au Contrôle supérieur de l’Etat (Consupe) devant le Tribunal administratif du Centre pour dévoiler les raisons cachées de ses ennuis judiciaires. Il s’agit, selon lui, d’un « règlement de compte ». Il a fait cette révélation le 19 janvier 2021.
« Ce que je vais dire va peut-être heurter mais je m’en voudrais de ne pas le dire. Il y a un arrière-plan. Cette mission de contrôle a agi de cette manière parce qu’elle cherchait à régler mon compte. La preuve, les premiers dossiers qu’on m’a demandé de mettre à la disposition de la mission de contrôle étaient les dossiers disciplinaires. Or, le chef de mission ne peut pas être chef d’un audit dans une institution où il a un intérêt. Son épouse travaillait à l’université de Douala. J’ai sanctionné l’enseignante en question pour participation aux fraudes. Elle aidait les étudiants à refaire leurs copies. La sanction disciplinaire est là. Elle est effective. En 2005, j’ai fait l’objet d’une mission de vérification spéciale ; j’ai reçu une lettre de félicitations du Consupe. En 2007, en deux ans, je suis devenu si mauvais gestionnaire ?»
Dans une note d’information rendue publique le 4 février 2014 relayant la quintessence d’une décision du Conseil de discipline budgétaire et financière (Cdbf), structure interne du Consupe, M. Bekolo Ebe est reconnu coupable de «27 fautes de gestion » commises à l’Université de Douala entre 2007 et 2010 pour un préjudice financier de 2,4 milliards de francs. Il a en outre écopé d’une amende spéciale de 2 millions de francs suivie d’une interdiction d’exercer une fonction publique pendant 5 ans.
Pour sa défense, la semaine dernière, l’ex-recteur s’est dit blanc comme neige. Pendant plus de 6 heures et demi, débout, fouillant parfois une abondante documentation, le « vieil» enseignant d’économie a passé en revue les différents griefs retenus contre lui qualifiés tantôt d’«inepties», de «surréalistes», tantôt de «d’incongruités», de «fantaisies» parfois de «tacles par derrière», etc. Une manière pour lui de présenter au tribunal «le caractère fantaisiste de l’accusation».
Choses fantaisistes
Selon M. Bekolo Ebe, les membres de la mission de vérification du Consupe dépêchés à l’Université de Douala en 2011, pour éplucher sa gestion de cette institution et celles de certains de ses anciens collaborateurs, n’ont pas cherché à connaître les différents textes qui régissent les universités publiques au Cameroun. Les justificatifs présentés auprès de la mission étaient soit refusés, soit partiellement accepté. Il d’ailleurs pas hésité de dénigrer cette méthode de travail : « voilà comme on travaille au Consupe. Des choses fantaisistes. On pose soit son ignorance, soit le refus d’accepter les preuves. Et quand on accepte le texte, on le prend de manière partielle ». La conséquence, le rapport du Consupe est « plein de confusions ». « Le problème est que la mission de contrôle comme le rapporteur (du Cdbf) n’ont jamais cherché à connaître les textes régissant les universités. J’ai été, pendant 30 ans, responsable d’université c’est la première fois que je vois cela », indique-t-il.
On reproche à l’ancien recteur, entre autres, d’avoir facilité la disparition de 1 millions de cahiers de composition ; une perte évaluée sans « inventaire de stock ». Mais aussi de s’être arrogé les prérogatives du chef de l’Etat en créant un service informatique et d’y avoir nommé un chef de division. Sur ce grief, l’ex recteur raconte que lorsqu’il est arrivé à l’Université de Douala en 2003, le report des notes comme d’autres tâches se faisaient manuellement. Il a décidé de remédier à la situation. La Coopération française a proposé d’informatiser le système de l’université à deux conditions : payer une facture de 300 millions de francs et lui laisser assurer la maintenance du réseau. M. Bekolo Ebe dit avoir décliné l’offre que ses homologues avaient validée. « J’ai considéré cela comme une insulte », indique-t-il expliquant avoir préféré une expertise locale qui n’a coûté que 20 millions de francs. « On me reproche d’avoir réglé un problème qui existait depuis 10 ans. Je ne peux pas être le bouc émissaire des carences de l’Etat ». Un autre grief, les salaires versés à certains agents de l’université admis dans des écoles de formation ont été considérés par l’équipe du Consupe comme des avantages indus. Sur les 15 agents se trouvant dans cette position, le Consupe n’a retenu que trois. « La cause est ailleurs. La mission travaillait sur des ragots. Il leur a été rapporté que ce sont des parents du recteur ».
Retraits frauduleux
- Bekolo Ebe explique qu’au moment où l’équipe du Consupe séjourne à l’Université de Douala, certains responsables des services financiers sont en jugement devant le Tribunal de grande instance (TGI) du Wouri suite à une plainte qu’il a déposé contre eux pour détournement et faux. Parmi les accusés se trouvait Luc Ebe Ebe, son défunt frère. En fait, « par légèreté de l’agent comptable », ses collaborateurs avaient soutirés les chèques de l’université et « avec la complaisance des banquiers», ils effectuaient des retraits des fonds dans les comptes bancaires de l’Université de Douala. L’accusation a évalué les opérations frauduleuses à la somme de 708 millions de francs. Les accusés ont été condamnés. En dépit de la condamnation, les agents du Consupe ont retenu la responsabilité du recteur. « Ils ont estimé que si le frère est impliqué c’est que le recteur est le principal auteur. C’est la première fois d’entendre parler de responsabilité pénale familiale ».
Or, indique l’ex-recteur, en mars 2011 une équipe de la direction générale du Trésor a elle-aussi audité les services financiers de l’université à l’occasion du remplacement de M. Akumah au poste d’agent-comptable. Cet audit qui portait sur la même période que celle examinée par le Consupe a décelé un déficit de 9,6 millions de francs imputé à l’agent comptable sortant qui l’a d’ailleurs reconnu et a « payé un acompte sur le champ ». « Je ne sais d’où sort le Cdbf tire les déficits qu’il m’impute. Sur le plan du droit je ne suis pas comptable, ni comptable de fait».
En présentant son réquisitoire, le ministère public a d’abord regretté l’absence du représentant du Consupe à l’audience. Ce dernier avait sollicité plus d’un renvoi afin d’apporter les justificatifs qui lui aurait permis de mieux présenter l’accusation. En vain. Il a néanmoins demandé au tribunal de rejeter le recours de l’ex-recteur. Le verdict est attendu le 22 mars prochain.
En guise de rappel, M. Bekolo Ebe est en jugement au Tribunal criminel spécial (TCS) en compagnie, entre autres, de Louis-Max Ayina, l’ex-directeur de l’IUT de Douala. Ils répondent de diverses infractions retenues contre eux sur la base du rapport du Consupe déjà évoqué. Cette affaire revient le 4 février prochain pour la suite de l’interrogatoire de l’inspecteur d’Etat M. Mpouli Mpouli, l’unique témoin de l’accusation. Ce dernier était le chef de mission du Consupe dépêchée à l’Université de Douala.