Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès. L’ex-ministre Polycarpe Abah Abah est en pourparlers avec le ministère des Finances (Minfi) au sujet de l’une de ses affaires qui l’opposent à l’Etat du Cameroun. Les parties tentent en effet de trouver un arrangement à l’amiable dans l’affaire dite remboursement des crédits TVA. Si dans ce dossier, l’ex-ministre a écopé d’une peine de 20 ans d’emprisonnement devant le Tribunal criminel spécial (TCS) le 19 novembre 2016, le paiement des dommages et intérêts d’un montant de 1,1 milliard de francs mis à sa charge semble poser problème. Les fonds déclarés détournés par l’ex-ministre se retrouveraient aussi dans les caisses de l’Etat que dans celles de 40 entreprises la plupart étrangères.
Le 11 mai 2021, M. Abah Abah a profité de sa comparution devant la Section spécialisée de la Cour suprême pour révéler la teneur des échanges avec le Minfi. C’était lors de l’examen de son recours introduit contre l’arrêt du TCS. Pendant sa prise de parole, l’ex-ministre a expliqué que les négociations en question menées en compagnie du secrétaire général du Minfi en qualité de représentant de l’Etat visent à éviter à l’Etat du Cameroun de paraître ridicule auprès de ses partenaires internationaux. Le verdict de la Cour est programmé le 20 juillet prochain.
Pour comprendre cette procédure, un rappel des faits est nécessaire. Dans le but de sécuriser les recettes issues de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l’Etat du Cameroun avait décidé en début des années 2000 de les loger en totalité dans un compte transit ouvert à la direction nationale de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac). Compte à partir duquel une partie des fonds collectés allaient être virée au Trésor public, l’autre partie restituée aux entreprises habilitées à collecter la TVA à la source. Le directeur des Impôts était habilité à mouvementer ledit compte.
Le ministère public accuse M. Abah Abah d’avoir, entre 1988 et 2005 période pendant laquelle il occupait les fonctions de directeur des impôts, ouvert un compte à la Commercial Bank Cameroun (CBC) destiné au remboursement des crédits la TVA. L’accusation prétend que sur instruction du mis en cause la CBC a, entre le 15 avril et le 3 septembre 1999, effectué des virements du compte de remboursement crédit TVA vers le compte personnel de M. Abah Abah domicilié dans la même banque. Soit la somme totale de 1,8 milliard de francs.
Pour sa part, l’ex-ministre soutient que c’est d’initiative et à son insu que la CBC a opéré les virements querellés. Et dans une lettre que la banque lui adressée à la date du 11 mai 2000, la CBC s’est excusée et a «pris en charge la responsabilité» des opérations en cause. Ladite lettre porte la signature de Jean-Louis Chapuis, le directeur général de la CBC de l’époque, ainsi que celle de Julienne Komnang, le directeur central chargé de l’exploitation. La banque reconnait dans cette lettre avoir d’autorité effectué les opérations litigieuses et les a aussitôt annulées le 8 mai 2000. Dans une seconde lettre adressée le 20 du même mois, la banque l’informait avoir effacé les écritures comptabilisées dans son compte personnel.
Initiative PPTE
Le 11 mai dernier, l’ex-ministre a expliqué que le remboursement de la TVA faisait partie des conditionnalités de l’initiative Pays pauvres très endettés. La remise des chèques aux entreprises bénéficiaires de la mesure se faisait en public. Il indique que le 27 avril 2000, il avait par «erreur» tiré des chèques portant remboursement de la TVA sur son compte personnel à la CBC. Il s’en était rendu compte le lendemain en pleine cérémonie de remise des chèques alors que certains bénéficiaires avaient déjà quitté les lieux. Il a instamment adressé deux lettres à la CBC, l’une pour faire opposition au paiement pour les chèques émis déjà retirés, l’autre pour demander à la banque d’effectuer les paiements dans le compte approprié. La situation avait été régularisée et tous les bénéficiaires avaient perçu leurs fonds.
M. Abah Abah affirme qu’il envisage poursuivre les bénéficiaires des fonds litigieux afin que les concernés lui ont retourné les fonds perçus en remboursement du crédit TVA afin de les restituer au Trésor public selon sa condamnation au TCS. D’où les négociations avec le Minfi.
La défense reproche aux juges du TCS de s’être contentés de leur client bien qu’en dépit du fait que la banque a elle-même reconnu avoir effectué le virement par erreur et l’a aussitôt effacé. L’opération ne figure d’ailleurs pas dans l’historique du compte personnel de M. Abah Abah. Autre grief, la défense a noté aussi que la mention «délibération» ne figure pas dans l’arrêt critiqué. Par conséquent rien ne montre que les trois juges ont participé à la délibération. L’absence de cette mention rend «l’arrêt illégal». Le conseil-rapporteur et le ministère public suivi par les avocats de l’Etat, partie civile dans le procès ont suggéré à la Cour de déclarer le recours de l’ex-ministre non fondé et de confirmer l’arrêt attaqué. Décision le 20 juillet 2021.