Par Jacques Kinene – jkine7@yahoo.fr
En dépit de ses 75 ans, Jean Louis Beh Mengue, dont deux années passées en détention à la prison centrale de Yaoundé Kondengui, l’ancien directeur général de l’Agence de Régulation des Télécommunications (ART) n’a pas perdu la lucidité. Le 18 et 19 mai 2021, Beh Mengue a enfin présenté sa version des faits devant le Tribunal criminel spécial (TCS) au sujet des supposés détournements de deniers publics que lui sont imputés par le ministère public sur la base d’un rapport d’une mission de vérification du Contrôle supérieure de l’Etat (Consupe) dépêchée à l’ART en juillet 2013. Il en a profité pour exprimer son désarroi en dénonçant ce qu’il qualifie de procès de règlement de comptes.
Les récriminations retenues contre M. Beh Mengue portent sur les salaires indûment perçus, les fonds alloués au Comice agropastorale d’Ebolowa, les fonds perçus dans le cadre de l’ancienneté nouvelle, les fonds de souveraineté, les appuis à la tutelle et la complice d’un détournement présumé de la somme de 389 millions de francs imputé à Gaston Michel Eteta’a Ntonga, l’ancien agent-comptable de l’ART, qui est considéré en fuite.
Pour sa défense, l’ancien DG de l’ART a nié avoir perçu indûment le moindre sou dans le cadre des salaires dont le montant est évalué à 2, 5 millions de francs. «Le ministre des Finances a déclivré en décembre 1999, un bulletin nul qui montrait la fin de mes paiements au ministère des Postes et Télécommunications», a-t-il déclaré. Avant d’expliquer qu’après sa nomination, un comité de réflexion composé des experts venant de plusieurs départements ministériels, avait été mis sur pieds pour assurer le bon démarrage de l’ART.
Comice d’Ebolowa
Le comité avait pour mission de préparer certains textes devant régir l’organe de régulation des Télécommunications. Ceux-ci, dit-t-il, n’avaient été validé que pendant la réunion du Conseil d’administration (CA)du 8 octobre 1999 à l’issue de laquelle une grille de rémunération des salaires, le budget de l’ART, son organigramme, le règlement intérieur, le titre des activités de l’année en cours avaient été adoptés ainsi que la liste des premiers agents devant être recrutés. Selon M. Beh Mengue, il n’était pas possible d’accorder un salaire au personnel en l’absence des résolutions du CA. Le budget et la grille salariale adoptés en octobre 1999 portent sur la période allant du 1er juillet 99 au 30 juin 2000. Il ajoute qu’aucun rappel de salaire n’avait été engagé dans la période de juillet à octobre 199. L’exploitation des données du budget avant le 8 octobre 99 ne repose sur aucune disposition règlementaire, dit-il.
Par ailleurs, M. Beh Mengue rejette les accusations selon lesquelles son salaire de base avait connu une majoration irrégulière pour un montant total de 72 millions de francs en dix ans. Il indique que c’est la résolution d’octobre 99 qui avait calculé le salaire du DG et de l’ensemble du personnel de sa structure. Son traitement mensuel global avait alors été fixé à 1,5 million de francs avec pour salaire de base la somme de 626 000 francs. Le traitement global avait été relevé à 3 millions de francs lors du conseil d’administration du 25 février 2000. Une autre résolution du CA avait réaménagé le salaire de base mensuel du DG en lui accordant 600 mille francs de plus le 3 décembre 2003,. C’est cette somme qui donne un montant annuel de 7,2 millions de francs soit 72 millions de francs pour une période de 10 ans. Jean Louis Beh Mengue, a expliqué n’avoir jamais pris personnellement un acte lui attribuant un salaire dans une structure où les différents présidents du conseil d’administration étaient des personnes aguerries en droit, en l’occurrence feu Robert Mbella Mbappe.
S’agissant du détournement supposé de 9 millions de francs supposément réalisé à l’occasion du comice agropastorale d’Ebolowa en 2010, l’ancien DG de l’ART rappelle que le décret du 8 septembre 1998 portant organisation et fonctionnement de cet organisme autorise à sa structure d’exercer toute mission d’intérêt général que pourrait lui confier le gouvernement. Dans ce cas précis, il explique que le ministre des Postes avait sollicité l’ART pour vendre l’image de marque de l’entreprise parapublique pendant l’événement et d’assurer un certain nombre de missions technique et sécuritaire des installations de télécommunications pendant le comice. C’est dans le cadre de cette opération que la somme de 16 millions de francs, dit-il, avait été débloquée dans la caisse d’avance gérée par l’agent comptable avec l’avis favorable du PCA. Il soutient que cette somme avait été mise à la disposition de l’équipe qui l’accompagnait, constituée notamment du directeur général adjoint et d’un nombre important du personnel technique et d’appui. M. Beh Mengue s’étonne du fait que le rapport du Consupe ne fasse allusion qu’à la somme de 9 millions de francs qui lui est imputée comme détournement de deniers publics.
Pour ce qui est des fonds querellés au sujet de ce qu’on désigne par ancienneté nouvelle, Jean Louis Beh Mengue, explique qu’au moment de sa nomination à la tête de l’ART, il avait déjà accumulé 25 ans d’ancienneté à la Fonction publique. Et ce sont les 18 passés à l’Agence de Régulation des Télécommunications qui avaient été considérés par les experts de la commission de réflexion comme étant une ancienneté nouvelle.
L’autre grief qui pèse sur M. Beh Mengue, est d’avoir financé certaines activités organisées par sa tutelle technique : le ministère des Postes et Télécommunications (Minpostel) notamment les réunions, cérémonies diverses, comités, prise en charges des billets d’avions pour un montant total de 259 millions de francs. Par rapport à ces accusations, l’accusé a reconnu que l’ART avait été régulièrement sollicité par le Minpostel et le ministère des Finances (Minfi) pour, entre autres, des appuis aux délégations qui prennent part aux réunions statutaires internationales, au paiement en urgence au nom de l’Etat du Cameroun, des contributions statutaires, les participations de l’Etat au fonctionnement du Comité interministériel des télécommunications. Il indique que toutes ses dépenses étaient souvent inscrites dans le budget adopté par le conseil d’administration et étaient ordonnancé dans le respect des pratiques usuels. Il marque sa surprise quand ces dépenses sont considérées par l’accusations comme des détournements de fonds publics alors que toutes ces opérations avaient été soumises à chaque fin d’exercice au contrôle du CA de l’ART, du Minfi et d’un auditeur externe.
Fonds de souveraineté
Parlant du chef d’accusation relatif à la perception qualifiée d’indue des «fonds de souveraineté », M. Beh Mengue a déclaré qu’il s’agit d’une ligne budgétaire ordinaire qui est engagé par un acte de gestion du DG pour faire face à certaines sollicitations de la hiérarchie. «Elle avait 25 millions de francs par an soit 125 millions de francs en cinq ans. Je dispose des justificatifs des dépenses effectuées pour un montant de 73,6 millions de francs sur 125 millions de francs. Les crédits non consommés avaient été reconduits à l’exercice suivant et non reversés dans les poches du DG », a-t-il confié.
Enfin, il est reproché à M. Beh Mengue, d’être complice d’un détournement présumé de la somme de 389 millions de francs imputé à Gaston Michel Eteta’a Ntonga, l’ancien agent-comptable de l’ART, qui est actuellement en fuite. L’accusation l’associe à ce supposé forfait pour avoir cosigné les chèques querellés avec l’agent comptable de l’ART pour le retrait des fonds de l’ART logés dans un compte bancaire à la Chatereted Bank. Réagissant à ces récriminations, l’ancien DG de l’ART contestent les montants arrêtés par le juge d’instruction. Selon lui, il y a des écarts entre les chiffres du rapport du Consupe et ceux de l’agent comptable qui a présenté, malheureusement, les pièces justificatives de la gestions desdits fonds après la rédaction du rapport de la mission du Consupe. «Cinq mois plus tard, l’agent comptable faisait valoir ses droits à la retraite et pour passer le service à son remplaçant, la mission de contrôle du Minfi n’avait mentionné aucun cas de détournement des deniers publics», a-t-il déclaré.
Au terme de son témoignage, Jean Louis Beh Mengue n’a pas pu faire admettre par le tribunal les pièces de soutien à la défense au motif qu’elles ne sont pas à la forme requise par la loi. Ses avocats qui n’ont pas baissé les bras, en dépit des difficultés qu’ils disent rencontrent à faire certifier conforme les documents par les responsables actuels de l’ART, ont promis de tout mettre en œuvre dans la mesure du possible pour obtenir des pièces authentifiées lors de la prochaine audience prévue le 5 juillet 2021.
Rappelons que le rapport de la mission du Consupe impute à Jean Louis Beh Mengue des fautes de gestion ayant une incidence financière de l’ordre de 837 millions de francs réalisées au cours des années budgétaires de 1999 à 2013. S’agissant de Mme Maryamou, il lui est reproché d’avoir perçu des salaires qu’elle ne méritait pas, la commission nationale d’évaluation des formations dispensées à l’étranger du ministère de l’Enseignement supérieur ayant déclaré «faux» le Baccalauréat en comptabilité obtenu par cette accusée à Ndjamena au Tchad.
Beh Mengue : «J’ai géré 300 milliards sans le moindre reproche»
«Le procès qui se présente comme le procès de la gestion de l’ART n’est en réalité qu’une sorte de règlement de comptes sur une tentative de lutte d’influence qui a échoué. Cette lutte portait sur le budget du marché de construction de l’immeuble siège qui se construit sur le boulevard du 20 mai en face de l’Hôtel Hilton et dont le coût s’élevait à 13 milliards. Une entreprise qui postulait à ce marché, a instrumentalisé les institutions de l’Etat pour me discréditer et m’anéantir. Je détiens des documents confidentiels que je peux mettre à la disposition du tribunal pour un examen à huis clos. J’ajoute que pendant 30 ans de service public, j’ai géré plus de 300 milliards de francs sans recevoir un moindre reproche de ma hiérarchie».