Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Le Centre d’instruction douanière (CID) de Nomayos, une localité située dans l’arrondissement de Mbankomo, affiche fière allure. Mais derrière ce joyau architectural composé de deux bâtiments à la stature imposante se déroule une petite bagarre au sujet de ses deux hectares de terre. Cet espace avait été mis à la disposition du ministère des Finances (Minfi) à la suite d’une expropriation pour cause d’utilité publique en vue de la construction des bâtiments devant abriter ce centre de formation professionnelle.
Le problème : Me Meku Tagako Brigitte Suzanne épouse Fotso, une notaire basée à Yaoundé, fait partie des personnes identifiées comme victimes de l’expropriation alléguée. La dame se plaint de n’avoir rien perçu au titre de dédommagement. Elle a donc porté l’affaire devant la justice, notamment le Tribunal administratif du Centre, où elle sollicite la condamnation du Premier ministre, auteur du décret d’indemnisation ayant omis son nom, à lui octroyer 50 millions de francs de dommages et intérêts. Les parties ont croisé le verbe lors de l’audience du 6 avril dernier.
Constat et évaluation
Dans ce procès, Me Meku Tagako explique qu’elle était propriétaire d’un lopin de terre d’une superficie de 543 mètres carrés situé à Nomayos, et que couvrait jusque-là le titre foncier N° 0386/Mefou Akono. En 2013, suite à un arrêté de déclaration d’utilité publique du ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (Mindcaf), son terrain avait été incorporé dans une vaste étendue de 2 hectares de terre nécessaire aux travaux de construction du Centre d’instruction douanière.
A la suite de son arrêté, le Mindcaf avait institué une commission de constat et d’évaluation afin de recenser les biens touchés par le projet ainsi que les propriétaires desdits biens. Cette commission avait identifié Me Meku Tagako comme faisant partie des victimes de l’expropriation et avait évalué l’indemnisation de son terrain à 4,7 millions de francs, soit 3,8 millions de francs au principal et 900 mille francs pour la «majoration des frais de procédure».
Contre toute attente, Me Meku Tagako raconte qu’elle avait été surprise de constater que la direction générale des Douanes avait engagé la construction de son Centre d’instruction alors qu’elle n’avait perçu aucun radis représentant son dédommagement. Or, la réglementation en vigueur prévoit que l’indemnisation des victimes d’une expropriation se fait avant la réalisation du projet y afférent. Face à cette situation, elle avait aussitôt intenté une procédure judiciaire contre la direction générale de la Douane pour faire stopper les travaux en question. Et c’est à cette occasion qu’elle dit avoir eu connaissance du décret du Premier ministre (PM) déjà mentionné, et dans lequel son nom est invisible. De ce fait, la notaire s’estime victime d’une grosse injustice et veut voir l’Etat condamné à réparer le tort causé.
Simple omission
Initialement visé par la plainte du notaire, le PM a plutôt confié le dossier au ministère de la Justice en sa qualité de «conseil de l’Etat» devant la Justice. Le représentant de l’Etat a d’abord décliné la compétence du tribunal prétextant que les faits querellés résultent «d’une voie de fait» dont la constatation est de la compétence exclusive de la Chambre administrative, et la réparation en faveur de la victime relève du juge judiciaire. La voie de fait est en fait une irrégularité manifeste portant atteinte au droit de propriété ou à une liberté publique commise par l’administration dans l’accomplissement d’une mission.
Mais le représentant de l’Etat a finalement abandonné cet argument, reconnaissant que le décret attaqué n’est pas un acte illégal, et donc pas de voie de fait. «L’omission s’est glissée au niveau du décret portant indemnisation. La commission a identifié la plaignante parmi les victimes. Dire qu’elle n’a jamais été informée, c’est faire preuve de mauvaise foi», a indiqué le représentant de l’Etat en donnant lecture de la teneur d’une «fiche récapitulative des titres fonciers empiétés». Dans cette fiche, le nom de la notaire et le montant de l’indemnisation qu’on lui alloue sont bel et bien mentionnés. «C’est vrai que l’indemnisation est préalable, mais dans la pratique, dans les usages, c’est après les travaux que les bénéficiaires sont souvent indemnisés», a temporisé le représentant de l’Etat. Le tribunal a prévu rendre son verdict dans ce procès le 8 mai prochain