Malgré sa mobilité réduite, M. Onana Ananga, gendarme retraité, d’un âge plutôt avancé, n’a pas perdu les réflexes d’un bon soldat. Le 9 février dernier, à l’appel de l’affaire qui l’oppose au ministère de la Défense devant le Tribunal administratif de Yaoundé, il a d’abord rendu les honneurs aux juges par un «café», le fameux salut militaire, avant de se mettre au garde-à-vous. L’effet sonore de ses gestes très appuyés a aussitôt provoqué une petite clameur dans la salle d’audience. Mais derrière ce côté quelque peu solennel, se cache une amertume.
En fait, M. Onana Ananga en veut à l’Etat. Le 3 mai 2016, il a saisi la juridiction d’un recours dans lequel il sollicite que le ministère de la Défense soit condamné à régulariser sa pension permanente d’invalidité à compter du 20 septembre 2005, augmentée d’une indemnisation de 50 millions de francs pour le préjudice moral qu’il dit avoir subi. Il a perdu la bataille judiciaire sur tapis vert. Le tribunal a déclaré son recours irrecevable pour dépôt tardif.
Pourtant, pendant que le juge-rapporteur présentait les éléments de l’accusation au tribunal, le «vieux» soldat tenant une petite paperasse avait l’air serein. Dans cette affaire, le plaignant raconte que le 2 novembre 1980, alors qu’il était en fonction au peloton d’escadron mobile de Douala, il a été victime d’un grave accident de la circulation en compagnie de ses collègues. Ce jour-là, ils revenaient tous d’une mission de travail commandée. Neuf morts sur le carreau. Il est le seul survivant de l’hécatombe. Néanmoins, il s’est tiré du drame avec de nombreuses blessures. Ces blessures ont été constatées par l’homme de l’art notamment le médecin-colonel directeur de la santé des forces de défense et de police au moment des faits. Ce dernier a qualifié le drame d’«accident de travail». Ce qui donne au plaignant le droit à une pension d’invalidité.
Multiples fractures
De fait, la loi portant statut de la Fonction publique définit «la pension d’invalidité» comme «une allocation pécuniaire servie au fonctionnaire qui se trouve dans l’impossibilité définitive et absolue de continuer ses fonctions par suite de maladie, blessure ou infirmité grave indûment établie». Y est éligible, «le fonctionnaire qui devient invalide avant d’atteindre l’âge de mise à la retraite peut prétendre à cette pension si la cause d’invalidité dont il est l’objet est imputable au service». Toutefois, «le taux d’incapacité permanent et partielle est déterminé par le Conseil national de santé». M. Onana Ananga indique que depuis que 1998 qu’il a été admis à «la pension d’invalidité permanente d’office», il n’a touché aucun radis de son allocation.
Le juge-rapporteur a fait remarquer qu’entre 2013 et 2014, le «vieux» soldat a saisi à deux reprises la direction de la santé militaire du ministère de la Défense pour s’enquérir de la situation de sa pension d’invalidité. De ce fait, son recours introduit en 2016 intervient «longtemps après la connaissance de l’acte querellé». De plus, il n’a présenté aucun élément permettant d’apprécier sa demande d’indemnisation. Avant de suggérer que le recours soit déclaré irrecevable.
On a ensuite assisté à un échange nourri entre le tribunal et le plaignant. «Pourquoi vous avez attendu si longtemps pour attaquer l’Etat?», demande le tribunal. «J’attendais prendre ma retraite parce que je serais libre. Pour ne pas aller à l’encontre du ministre», répond M. Onana Ananga. Avant d’ajouter que l’accident déjà évoqué lui a causé de «multiples fractures», et qu’il y a des moments où il ne peut pas se tenir débout. «Les procédures ont un délai», indique un juge. Le plaignant réplique, imputant le dépôt tardif de son recours à l’administration. Pour lui, «le délai a été respecté. C’est eux qui n’ont pas voulu travailler, on leur demande de venir s’expliquer ici, ils ne viennent pas». Sans hésiter d’indiquer que «le départ de la pension d’invalidité est à compter de la constatation des faits. Maintenant, ils inventent des choses pour dire que je suis forclos».
Le tribunal va longuement expliquer au «vieux» soldat qu’il a «peut-être raison au fond», mais la loi a défini les conditions et délais permettant de traîner l’Etat en justice : «Si l’administration a posé un acte qui vous déplaît, vous avez trois mois. Vous pouvez avoir raison au fond mais si le délai est passé…» «Et si l’Etat a donc foulé ses propres textes ? Qu’est-ce qu’il faut faire ? Continuer à subir ?», s’interroge le plaignant. «Quand c’est passé, c’est passé», répond le tribunal.