Une lettre signée par le ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République est virale sur la toile depuis jeudi soir. Ce document marqué du sceau confidentiel s’adresse au ministre de la Justice avec copie au ministre des Finances. M. Ngoh Ngoh Ferdinang « répercuter les hautes instructions du chef de l’Etat prescrivant l’arrêt des poursuites engagées contre le nommé Basile Atangana Kouna dans l’affaire porté en objet». Il s’agit précisément de l’affaire qui oppose la Cameroon Water Utilities Corporation (Camwater) à deux anciens directeurs généraux (DG) M. Atangana Kouna et Jean William Sollo. Ils passent en jugement en compagnie de quatre prestataires de services.
Le secrétaire général de la présidence de la République demande au Garde des Sceaux «d’en informer le président du Tribunal criminel spécial, le procureur général près ledit tribunal et le ministre des Finances, en vue de la mise en œuvre des modalités pratiques de reversement au Trésor public du corps du délit cantonné dans les comptes bancaires de l’intéressé, au montant arrêté par le juge d’instruction et de [lui] rendre compte de [ses] diligences, pour la très haute information du chef de l’Etat». le contenu de la correspondance, jugé improbable pour de nombreux citoyens, est depuis au centre des discussions dans de nombreux ménages.
La correspondance de M. Ngoh Ngoh n’est pourtant pas surprenante pour les habitués du TCS. Voici un peu plus d’un an que le parquet essaie d’obtenir que le tribunal ordonne la lavée des scellés dans les comptes bancaires de l’ancien ministre de l’Eau et de l’Energie afin de lui permettre de restituer les sommes d’argent mis à sa charge dans le procès qui l’oppose en compagnie de M. Jean William Sollo, son successeur à la Camwater, devant le TCS.
Mardi, 26 janvier dernier, soit quelques jours avant que la lettre de M. Ngoh Ngoh fuite sur les réseaux sociaux, le parquet a renouvelé ses réquisitions dans ce sens au cours de l’audience réservée au procès des deux anciens dirigeants de la Camwater. Invité à faire ses observations sur une demande de jonction de procédure introduite par l’homme d’affaires Stanislas Atangana. Le concerné est en jugement pour un supposé détournement de la somme de 1,3 milliard de francs perçu au titre d’honoraire à la Camwater entre 2013 et 2015 pour des prestations qualifiées de fictives par l’accusation. Le problème : ces faits sont en examen devant deux collégialités des juges de la juridiction d’exception et font partie des griefs reprochés M. Sollo poursuivi pour complicité des faits déplorés.
Ouverture des scellés
Mais le ministère public a un temps esquivé le sujet préférant « réitérer » son réquisitoire présenté le 9 juin 2020 concernant l’offre de restitution de la somme de 1,2 milliard de francs formulée par M. Atangana Kouna, le 26 novembre 2019. En effet, les avocats de l’ancien ministre avaient introduit une requête portant « mainlevée partielle » sur les comptes bancaires de leur client saisis peu avant son inculpation. Cette démarche devrait lui permettre de « restituer le corps du délit », préalable à une demande d’arrêt des poursuites. Les avocats de l’ancien membre du gouvernement expliquent qu’il se trouve incapable de restituer autrement, parce que ses biens avaient été saisis et bloqués par le juge d’instruction. Afin de matérialiser la restitution du montant imputé à l’ex-ministre, ce dernier avait, d’une part, signé le 23 septembre 2019 au profit de l’Etat un ordre de virement d’un montant de 125 millions de francs, un montant à retirer dans son compte bancaire domicilié à la BGFI Bank. Il propose en outre le prélèvement de la somme de 1,1 milliard de francs dans un coffre-fort loué dans la même banque.
Il y a une semaine donc, les acteurs de ce procès devaient se retrouver pour que le parquet se prononce sur la demande de jonction deux procédures concernant M. William Sollo, dont l’affaire pour laquelle il est poursuivi en compagnie de M. Atangana Kouna. La demande avait été faite par l’homme d’affaires Stanislas Atangana. Le représentant du parquet a créé la surprise en reprenant la lecture intégrale des réquisitions faites le 9 juin 2020 dans le sens de la levée partielle sur les comptes bancaires de l’ex-ministre.
Il y a pourtant 7 mois le tribunal avait joint ladite requête au fond. Ce qui signifie qu’il envisage de l’examiner à la fin du procès. Mais le représentant du parquet a critiqué cette attitude. «Si le ministère public revient à la charge c’est parce qu’il estime qu’une demande de mainlevée cantonnée d’un scellé en vue d’une restitution du corps du délit ne constitue point une exception à la procédure pour mériter d’être jointe au fond […] L’ouverture des scellés demandée par l’accusé n’a aucune incidence sur la suite du déroulement du procès actuel». Sans hésiter de rappeler que le ministère public «est la partie principale au procès devant toute juridiction répressive».
Le ministère public a réaffirmé que «la restitution offerte par l’accusé n’entame en rien la garantie du paiement de tout ce que la partie civile pourra réclamer dans la mesure où la mainlevée cantonnée à la somme totale de 1,2 milliard de francs ne concernera qu’une partie des biens saisis et cela ne pourra dès lors préjudicier aux intérêts de la victime, ni entraver la recherche de la vérité dans le cadre de cette procédure pénale ».
Pour lui, «la valeur des biens saisis aussi bien en numéraire qu’en matériel, dont la liste ressort clairement dans l’ordonnance de renvoi, est de très loin supérieure au montant de la mainlevée, qui plus est, jusqu’à l’issue de la présente procédure judiciaire, reste des biens saisis, y compris les sommes non débloquées, ni retirées des comptes bancaires et coffre-fort ». Selon lui, « c’est l’Etat du Cameroun qui est le bénéficiaire (…] et en cas de condamnation de l’accusé […] engrangera tous les biens éventuellement saisis et confisqués». Avant de préciser : «ce sera justice parfaite si, dès à présent, la victime, l’Etat du Cameroun, peut récupérer sur l’accord express de son offenseur, la totalité des fonds qui lui avaient été dérobés par ce dernier. C’est cela la finalité de la justice, plus précisément la finalité du TCS à savoir rétablir l’Etat du Cameroun dans ses droits le plus rapidement et le plus équitablement possible».
Débat désuet
Après s’être séparé de Me Chankou, le Minfi a constitué trois nouveaux avocats parmi lesquels Me Ndjodo Bikoun. Ce dernier a fait chorus avec le représentant du parquet. Pour lui, le TCS «au-delà des fonctions pénales ou criminelles spéciales a également une vocation de recouvrement».
La posture des avocats du Minfi est aux antipodes de celle exprimée par Me Chankou suivi par les avocats de la Camwater le 9 juin 2020. Ces derniers avaient demandé au tribunal de rejeter la requête de M. Atangana Kouna au motif qu’elle évoque simultanément «la mainlevée partielle » et «la restitution du corps du délit». Or, indiquaient-ils, le texte encadrant la restitution du corps du délit n’implique par le juge dans le mécanisme. Me Fousse Dominique, l’avocate de la Camwater, a sollicité un renvoi pour consulter sa cliente avant de faire de nouvelles observations sur l’offre de restitution. Ce sera ce 9 février.
Au titre de rappel, M. Atangana Kouna et son successeur directe à la Camwater Jean William Sollo sont en jugement pour de supposées irrégularités décelées dans leur gestion respective de l’entreprise publique entre 2003 et 2016. On impute à l’ex-ministre un supposé détournement de la somme de 1,2 milliards francs. M. Sollo , lui, répond d’une supposé complicité de détournement de la somme de 3,3 milliards de francs en compagnie de de M. Maah Dieudonné, l’ex-directeur des affaires financières de la Camwater, Stanislas Atangana, René Martin et Jean Parfait Koe. Depuis l’ouverture du jugement de cette affaire le 26 novembre 2019, les discussions achoppent sur l’offre de restitution de Basile Atangana Kouna. Outre cette procédure judiciaire, l’ancien ministre a déjà bénéficié d’un premier arrêt des poursuites en compagnie de l’homme d’affaires belge Yves Massart.
Chose curieuse : au moment où le parquet renouvelle, mardi dernier, ses réquisitions dans le sens d’obtenir que les scellés soient levés sur les comptes de M. Basile Atangana Kouna, la correspondance de M. Ngoh Ngoh répercutant les instructions du chef de l’Etat est vieille de presque deux mois. Elle dit clairement que le chef de l’Etat a prescrit « l’arrêt des poursuites engagées contre le nommé Basile Atangana Kouna». Dès lors, une bonne partie des réquisitions du ministère public manque de sincérité ; d’autant qu’il entretient le mystère sur « l’arrêt des poursuites», laissant croire que l’Etat pourrait obtenir plus que le montant mis à la charge de M. Atangana Kouna par le juge d’instruction. Le représentant du procureur général est-il ignorant «ces hautes instructions du chef de l’Etat» à ce moment-là ? C’est possible, sauf que les trois avocats du ministère des Finances, autre destinataire de la correspondance du SG de la présidence de la République, disent ne pas découvrir la démarche du ministère public dans la salle. D’ailleurs l’un d’eux Me Ndjodo Bikoun a indiqué : « nous Etat du Cameroun nous voulons recouvrer. Parce que nous voulons recouvrer, un débat sur une offre de restitution nous semble désuet. ». Une sortie qui est venue rappeler que ce n’est pas la première fois que l’Etat camerounais engage des négociations avec des présumés détourneurs des deniers publics.
On se souvient qu’en 2010, des tractations ont eu cours entre le ministère de la Justice et Yves Michel soupçonné de détournement de deniers publics en coaction pour la somme d’environ 24 milliards de F CFA, et qui était encore en détention préventive à la prison centrale de Yaoundé depuis le 1er décembre 2010.
Au terme d’un protocole d’accord transactionnel signé le 14 août 2013, d’une part par Yves Michel Fotso, et d’autre part par le liquidateur de la Camair, les parties convenait que l’inculpé Fotso paiera à titre de solde de tout compte à la partie civile, le montant de 1, 75 milliard. C’est ainsi que le 24 juillet 2013, la liquidation de la Camair recevait des mains d’un représentant d’Yves Michel Fotso la somme de 50 millions FCfa en espèces.
Deux semaines plus tard, le 9 août 2013, elle reçevait du même intermédiaire la somme de 200 millions en espèces. Le 14 août 2013, deux chèques Uba, dont un de 95 millions F et un autre de 70 millions sont remis au liquidateur de la Camair, soit au total 165 millions F Le 19 novembre 2013, la liquidation de la Camair qui avait intenté un procès contre Fotso en Suisse, abandonnait les poursuites contre ce dernier. Il décide à son tour de céder, au profit de la liquidation de la Camair, la caution de 250 millions F qu’il avait versée dans le cadre de cette procédure. Au 19 novembre 2013, Yves Michel Fotso avait déjà remboursé 665 millions F. Le protocole d’accord prévoyait que la somme restante qui était de 1,33 milliard F devait être payée conformément à la procédure de restitution du corps du délit prévue par la loi du Tribunal criminel spécial. N’empêche qu’en décembre 2014, Yves Michel Fotso est renvoyé en jugement au Tribunal criminel spécial pour le détournement de 69 milliards F. L’accusé brandit le protocole d’accord signé avec le plaignant (la liquidation de la Camair) et les 665 millions de francs qu’il lui a déjà remboursés. L’Etat jugeant avoir été lésé dans cet accord, premièrement, parce qu’au moment de la signature de ce protocole l’Etat n’était pas partie. Et deuxièmement, que Yves Michel Fotso ne reconnaissait que 1, 75 milliard F dans ce protocole, avait estimé que le préjudice subi était plus grand que l’argent que l’ancien Adg de la Camair voulait rembourser. De plus, l’Etat avait refusé de prélever l’argent sur les comptes saisis et appartenant à Yves Michel Fotso. Ses comptes bancaires bloqués, Yves Michel Fotso proposait d’offrir sa résidence de Bandjoun, évaluée à plus de 1, 75 milliard F L’accusation dira niet. On veut le cash. Fotso demande alors que le juge d’instruction débloque ses comptes afin qu’il puisse rembourser en espèces. Le Tcs marque une fin de non-recevoir. Ses conseils vont se pourvoir en cassation. La Cour suprême tranche en défaveur de Fotso.