C’est un homme qu’on ne verra certainement plus dans les couloirs et les salles d’audience du Tribunal criminel spécial (TCS), au milieu de ses collègues et avec sa robe rouge. Jean Pierre Abouem Esseba, puis qu’il s’agit de lui, a été nommé le 19 février 2021 comme Secrétaire permanent de la Commission des droits de l’Homme du Cameroun. Le magistrat hors hiérarchie 2e groupe, qui exerçait depuis juillet 2017 comme vice-président (juge) au sein de la juridiction d’exception est désormais la cheville ouvrière de le Cdhc, puisqu’il «est chargé de l’administration, de la coordination de tous les services administratifs et techniques de la commission».
Sorti de l’Ecole nationale d’Administration et de la Magistrature (Enam) en 1985, le haut magistrat a effectué toute sa carrière jusqu’ici au sein des juridictions et dans les services centraux du ministère de la Justice. Les 16 premières années de sa vie professionnelle se sont déroulées dans les parquets. Il aura donc été trois fois procureur de la République (à Yokadouma, Edéa, et à Mokolo, dans l’Extrême Nord du pays), après un bref passage d’une seule année comme substitut général à la Cour d’appel de Douala.
Il s’est ainsi forgé aux tâches administratives et d’enquête avant d’être affecté plus tard aux taches de juge, notamment comme vice-président dans les Cours d’appel du Sud (2001 à 2007) et du Centre (2012-2017), avec un intermède de 5 années comme inspecteur (rang de directeur) à l’inspection générale des services judiciaires, sous le magistère de la très rigoureuse Josette Essomba, de regretté mémoire. C’est sans doute auprès de ce vétéran de la magistrature (à cette époque), que le nouveau secrétaire permanent a consolidé ses compétences en matière d’administration et de contrôle des services, notamment les centres pénitenciers, qui feront parties, entre autres, de son champ de compétence désormais.
Il y a longtemps pourtant que l’actuel secrétaire permanent de la Cdhc avait souhaité se consacrer à autre chose. En 2010, il avait fait acte de candidature pour occuper le poste de Chargé d’études à la Division des investigations de la Commission nationale Anti-corruption (Conac). Retenu parmi les rares élus, sur plus de 12 mille candidats venus de l’Administration, tous postes de travail compris, il ne va jamais prendre ses quartiers à la Conac, bloqué par les dispositions de Statut de la magistrature, qui lui aurait été appliqués «avec sévérité», comme le dit un de ses collègues magistrat. En dépit de toutes les démarches menées pour obtenir l’autorisation de rejoindre la Conac, le magistrat va rencontrer le mur. Ce désir d’aller voir ailleurs a-t-il joué sur sa carrière ? Certains le pensent, son départ de l’Inspection générale pour la Cour d’appel du Centre, étant perçu comme une sanction.
Au TCS où il est arrivé en 2017, il a laissé la marque d’un juge pointilleux, amoureux du travail bien fait, amateur d’humour, très avenant avec les collaborateurs du greffe. «C’est un juge qui ne hausse pas souvent le ton, mais qui tient son audience d’une main de fer, voire une main de maitre», témoigne un avocat. Ce fonctionnaire à l’ancienne est l’antithèse de la plupart de ses collègues magistrats, puisqu’il vit dans la modestie matérielle. C’est ce magistrat de 64 ans, marié et père de 3 enfants, qui a laissé les amis partout où la carrière l’a amené, y compris dans les prisons qu’il a souvent contrôlées, qui apporte son expertise plurielle à la commission.