Les 43 mois déjà passés derrière les barreaux n’ont pas entamé le moral de Louis-Max Ayina Ohandja, ex-secrétaire d’Etat aux Travaux Publics. En tout cas, c’est avec un air plutôt relaxé que le concerné a enfin donné sa version des faits dans la bataille judiciaire qui l’oppose à l’Etat du Cameroun devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Le 5 octobre dernier, il s’est en effet défendu sur les deux chefs d’accusation du détournement présumé de la somme totale de 540 millions de francs retenus contre lui au sujet de sa gestion à l’Institut Universitaire de Technologie (IUT) de Douala, un établissement supérieur rattaché à l’Université de Douala, qu’il a dirigé pendant 11 ans. Répondant aux questions de ses avocats, l’ex-membre du gouvernement a rejeté tous les griefs mis à sa charge. Son contre-interrogatoire par l’accusation est prévu le 12 octobre.
On reproche à M. Ayina Ohandja de s’être prétendument immiscé dans les fonctions de comptable en procédant aux retraits de fonds dans les comptes bancaires de l’IUT de Douala et en réglant les factures de cet établissement. L’accusation prétend que les 1098 retraits de fonds effectués dans les conditions critiquées ont entraîné la distraction de près de 535 millions de francs entre 2008 et 2010.
Coopération française
Pour sa défense, M. Ayina Ohandja explique qu’entre 1999 et 2002, l’IUT de Douala avait bénéficié de deux projets financés à travers deux conventions internationales. Le premier projet est issu de l’accord de rétrocession des crédits de l’Association internationale de Développement (IDA) portant sur la formation et l’enseignement technique supérieur. Cet accord avait été signé entre l’Etat du Cameroun et la Banque Mondiale le 5 novembre 1998. Le second accord conclu entre les gouvernements français et camerounais en 2002 porte sur la coordination et la modernisation de l’enseignement supérieur technique, en abrégé Cometes.
Selon M. Ayina Ohandja, l’établissement disposait de trois comptes bancaires domiciliés à la Bicec. Deux de ces comptes bancaires recevaient les fonds issus des droits universitaires ainsi que la subvention de l’Etat. «Ces deux comptes bancaires sont cogérés par le directeur de l’IUT et l’agent-comptable», déclare l’accusé. Quant au troisième compte bancaire, l’ex-secrétaire d’Etat indique qu’il hébergeait exclusivement les frais d’inscriptions aux différents concours organisés par l’établissement, notamment le Brevet de Technicien supérieur (BTS), les aides et bourses aux étudiants, les recettes issues des relations avec les milieux industriels ainsi que les divers approvisionnements des entreprises. C’est la gestion de ces derniers fonds qui fait problème.
En fait, l’accusation fait le reproche à M. Ayina Ohandja de n’avoir pas fait intervenir ni le contrôleur financier ni l’agent comptable de l’Université de Douala dans le processus de déblocage des fonds allégués ; et de n’avoir pas «travaillé» avec le contrôleur financier pour l’apurement des dépenses afférentes. Face à ces allégations, l’accusé répond que «les dépenses liées aux fonds qui y étaient hébergés n’étaient pas prévu dans le budget de l’établissement. Leur gestion n’impliquaient pas une intervention ni du contrôleur financier ni de l’agent-comptable». L’accusé soutient donc que ces autorités financières «n’avaient pas à viser les dépenses». Par contre, dit-il, la procédure de déblocage des fonds en cause «implique le chef service de l’intendance nommé par le gouvernement et le chef de bureau de la solde nommé par le recteur par ailleurs désigné caissier de l’établissement».
Centre d’interface
Avant 2003, indique l’accusé, «les frais d’inscription aux concours n’étaient plus budgétés». Par ailleurs, les recettes issues des partenariats avec les entreprises et «les dépenses afférentes étaient initiées par le Centre d’interface avec les milieux industriels (Cimi), une structure créée par le projet Cometes». Le Cimi était encadrée par les coopérants technique français.
Pour justifier l’utilisation des fonds litigieux, l’ex-secrétaire d’Etat a évoqué une série interminable de dépenses liées aux activités entourant l’organisation des concours et recrutements au cycle BTS : paiement des correcteurs, acheminement des épreuves dans les sous centres à travers le pays, traitements des données etc. «Entre janvier 2008 et le 31 décembre 2010, nous avons conduit 1098 opérations de missions, 14 avaient seulement une valeur supérieure à 25,6 millions de francs». Pour ce qui est des activités liées au Cimi, il affirme que les fonds ont servi à financer la contribution à la remise à ateliers de remise à niveau des ateliers et des laboratoires, les cérémonies de remises des attestations de fin de formation, les vacations des intervenants, des missions de prospections auprès des entreprises, la supervision et coordination générales, quelques bourses, entre autres.
Le dernier grief retenu contre M. Ayina Ohandja concerne le supposé détournement de près 5 millions de francs pour la perception d’une indemnité de non-logement alors qu’il occupait un logement de fonction, selon l’accusation. L’ex-secrétaire d’Etat estime qu’il ne s’agit pas d’un détournement, car une résolution du Conseil d’administration de l’Université de Douala datée du 3 septembre 1999 alloue la somme de 100 mille francs aux responsables ayant le rang de directeur ou assimilé pour leur loyer. De plus, il ne jouissait pas d’une maison de fonction pendant son séjour à l’IUT de Douala. Il a versé aux débats plusieurs justificatifs au soutien de ses déclarations. Son contre-interrogatoire promet.
Rappelons que M. Ayina Ohandja est incarcéré à la prison centrale de Yaoundé depuis mars 2018, comme l’ex-recteur Bruno Bekolo Ebe, entre autres. Ils passent en jugement devant le TCS pour de présumées irrégularités décelées par une mission de vérification du Contrôle supérieur de l’Etat qui a audité leur gestion à l’Université de Douala.