Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Un principe financier voudrait que le banquier qui paie mal, paie deux fois. C’est ce principe qui est au centre des débats dans la bataille judiciaire que se livrent devant le Tribunal criminel spécial (TCS) le ministère public à la Commercial Bank of Cameroon (CBC) accompagnée de ses cinq employés, notamment M. Kamwouo Tchuente, Dorothée Youass, Michel Daoue et Dominique Kwada (le seul accusé en détention provisoire).
Au centre du procès, un paiement effectué en trois tranches d’un montant total de 105 millions de francs entre les mains de Pascal Ojong en fuite et qualifié de faussaire par l’accusation. Les fonds en cause ont été payés sur un compte bancaire domicilié à la CBC et appartenant à la Société de Développement du Coton (Sodecoton) à l’aide de fausses factures entre octobre 2014 et janvier 2015. L’entreprise d’Etat s’est constituée partie civile (victime) dans la procédure.
Le 28 juillet dernier, le tribunal a entendu le premier témoin à charge, le nommé Amadou SouaÏbou. Le concerné occupait au moment des faits les fonctions de chef du service des opérations financières à la Sodecoton. Il a planté le décor sans pour autant préciser le rôle que chaque mis en cause aurait joué dans la commission du forfait déploré. En répondant aux questions des parties, il a expliqué de manière constate que c’est en procédant à des vérifications que son collègue Abdoulaye, comptable à la Sodecoton, a mis en lumière la fraude décriée.
Signature masquée
Il a expliqué que lorsqu’un fournisseur a réalisé une prestation de service à la Sodecoton, il établit sa facture demandant des traites (paiement échelonné) en mentionnant le montant sollicité et la preuve de la livraison du service fait. Le dossier est traité au niveau du service des opérations financières qui vérifie la conformité des informations avancées par le fournisseur. Une traite normale doit comporter la date d’émission, l’échéance, le numéro du compte bancaire à débiter, le montant en chiffre et en lettres, le bénéficiaire, etc. Le dossier est ensuite transmis au contrôleur financier qui s’assure de la régularité du paiement en y apposant son visa ou non en cas de rejet, puis transmet le dossier au directeur financier et comptable qui appose lui-aussi son visa. Quand toutes ces étapes sont remplies, le directeur général (DG) de la Sodecoton autorise le paiement sollicité en signant la traite. Le dossier est retourné au service des opérations financières qui photocopie les documents et remet les originaux au fournisseur qui se charge lui-même de les déposer dans une banque où la Sodecoton dispose d’un compte.
Toutefois, a précisé M. SouaÏbou, à l’époque des faits, la Sodecoton avait centralisé le paiement des traites dans un compte logé à la CBC parce que ledit compte disposait d’un montant de plus d’un milliard de francs, mais aussi 50 à 60% de ses recettes y étaient reversées. Il prétend que chaque fois, avant le paiement d’une traite, la CBC appelait ou envoyait un mail aux dirigeants de la Sodecoton pour qu’ils confirment la régularité des opérations. Après paiement, la liasse était retournée à la Sodecoton pour être comptabilisée. Mais lors des opérations querellées, la CBC n’a ni appelé ni envoyé un mail.
Pour M. SouaÏbou, la fraude saute aux yeux lorsqu’on observe de près les traites querellées. De fait, l’imprimé (papier) utilisé dans la fraude diffère de celui usité à la Sodecoton. De plus, le cachet rond apposé sur les documents critiqués était de couleur bleue et non rouge, la couleur utilisée dans l’administration publique. Il était apposé sur la signature imitée du DG de la Sodecoton pour «la masquer avec l’encre». Or, habituellement, le DG signe à côté du cachet, dit-il.
Numéro de série
Les documents dénigrés étaient attribués à l’entreprise TMC. Sodecoton s’est aussitôt tourné vers TMC pour voir clair. Il lui était demande de donner le nom de son supposé agent qui a déposé les documents décriés à la CBC. La même question était posée à la banque. Il se trouve qu’au moment des faits, les factures de la TMC étaient encours de traitement à la Sodecoton. L’une des traites querellées d’un montant de 25 millions de francs a des données identiques à celles de la traite signée au profit de TMC. En réaction, TMC avait décliné sa responsabilité et son directeur s’était rendu à la Sodecoton pour davantage explications.
Pendant le contre-interrogatoire de M. SouaÏbou, les avocats de la défense ont cherché à démontrer par leurs questions que la CBC n’avait aucune raison ni possibilité de douter de la régularité des traites payées. «Pourquoi ces traites ne sont pas valides ?», demande un avocat. «Les éléments particuliers avec lesquels nous travaillons les traites ne figurent pas dans ces documents», répond le témoin. Il a par ailleurs expliqué que les imprimés des traites sont livrés à la Sodecoton sous-forme de carnets sans numéros de série. «C’est à l’établissement de la traite qu’on porte le numéro à la main». «Comment peut-on savoir que deux traites différentes sont issues de carnets différents ?», demande un avocat. «Rien !», répond M. SouaÏbou. «Si la CBC nous avait appelé, on n’en serait pas là. On lui aurait dit immédiatement qu’on ne reconnaît pas ces traites», insiste-il. De plus, indique-t-il, les spécimens des signatures du DG de la Sodecoton et celle de son adjoint sont déposés à la CBC. L’interrogatoire des autres témoins de l’accusation est programmé le 8 septembre prochain.