C’est la deuxième fois que l’adjudant de gendarmerie Léonard Mang Eckre se présente devant le Tribunal administratif du Centre sans que son cas soit jugé. La première fois, le 8 octobre 2019, l’affaire était sortie du rôle parce que le parquet général avait demandé du temps pour examiner le protocole d’accord signé entre le ministère de la Défense (Mindef), le ministère des Finances (Minfi) et le Crédit foncier du Cameroun (CFC) en 2011, objet du litige, absent au dossier administratif de l’affaire. Le texte, ordonné par le président de la République, devait entériner une promesse formulée envers les militaires lors du cinquantenaire des armées à Bamenda, en 2010. Les éléments du Mindef devaient profiter de prêts immobiliers auprès du CFC à un taux préférentiel dont le remboursement s’échelonnait sur un nombre d’année précis.
A l’audience du 2 février 2021, l’avocat du CFC a demandé au tribunal de renvoyer la suite des débats pour qu’il prenne connaissance des pièces du dossier. En fait, le plaideur a déclaré n’avoir pas eu les écritures des différentes parties opposés au procès et les documents utilisés pour soutenir leurs positions, puisqu’il n’était pas encore constitué comme avocat de l’entreprise étatique. Les seuls éléments en sa possession seraient selon lui les recours gracieux et contentieux introduits auprès de CFC par Léonard Mang Eckre. Il soutient néanmoins l’argument d’incompétence du juge administratif à connaitre de cette affaire évoquée par les représentants des autres administrations incriminées à l’audience du 8 octobre 2019. Il va ensuite soutenir que le statut du CFC, institution financière à caractère public, mentionné par le plaignant a connu des modifications dans le temps pour épouser les contours d’un établissement financier normal. De ce fait, il pense que le Tribunal administratif n’a pas qualité pour juger cette affaire. Un argumentaire qui venait ainsi à la rescousse de son prédécesseur du Minfi.
Le représentant de cette institution est resté fidèle à son raisonnement de la précédente audience, en 2019. L’homme a réitéré que la nature de l’acte attaqué n’est pas du ressort du droit administratif mais plutôt du droit privé, et plus précisément du droit des affaires. De ce fait, le Minfi soutient que les actes de cette structure ne devraient pas être considérés comme les actes administratifs. «Les actes entre une banque et son client ne peuvent en aucun cas relever du Tribunal administratif», a martelé le représentant du Minfi. Le magistrat du parquet avait quant à lui qualifié le protocole d’accord signé le 14 octobre 2011 par le président de la République et visé par les trois institutions concernés, d’acte sous seing privé, c’est-à-dire n’engageant que des particuliers. Il invitait alors le tribunal à se déclarer incompétent pour juger ce litige.
Dommages et intérêts
Le raisonnement est tout autre du côté de M. Mang Eckre qui croit dure comme fer que les propos du Minfi sont empreints de malice puisque dans le décret créant le CFC, en son article 1, il est précisé qu’il est «un établissement public à caractère commercial». Malgré le fait que ses contestataires ne cessent de vouloir le convaincre qu’il y a eu d’autres textes modifiant les attributions et le fonctionnement de la structure, l’adjudant ne demande que des preuves de ces allégations.
Pour bien comprendre cette affaire, il convient de rentrer 11 années plutôt. En effet, le gendarme se base sur une promesse du chef de l’Etat formulée envers les militaires lors du cinquantenaire des armées à Bamenda, en 2010. Ces derniers devaient bénéficier des prêts immobiliers alléchant auprès du CFC afin qu’ils puissent avoir accès à des propriétés foncières. L’instruction est matérialisée, le 14 octobre 2011, par un protocole d’accord signé entre le Mindef, le Minfi et le CFC. L’année suivante, les militaires sont appelés à déposer leurs dossiers mais aucun d’eux n’est retenu comme bénéficiaire. M. Mang Eckre, qui avait sollicité un crédit de 20 millions de francs, s’est alors rapproché de son administration de tutelle qui lui demande de patienter. Plus de sept années plus tard, rien n’est concrétisé par les signataires de l’accord. C’est ainsi que l’adjudant se résout à demander réparation devant le Tribunal administratif du Centre puisqu’il estime que même si l’opération était lancée après l’année 2018, il ne pourrait plus en bénéficier car le remboursement de sa dette devrait s’étaler sur vingt ans, suivant les conditions d’octroi. Il réclame 150 millions de francs en réparation du préjudice matériel et moral qu’il dit avoir subi. L’affaire sortie du rôle. L’homme en tenue espère avoir plus de chance à la prochaine audience pour faire valoir pleinement ses arguments.